Dossier : Les cent ans de la CSN : éléments d’histoireIdées

Le Deuxième front de la CSN. Des gains importants. Un échec[Record]

  • Michel Rioux

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  • Michel Rioux
    Directeur de l’information de la CSN de 1977 à 1991

Quelques mois à peine après avoir remplacé Jean Marchand à la présidence de la CSN, Marcel Pepin publiait, au congrès de 1966, un percutant rapport moral : Une société bâtie pour l’homme. On y préconisait par exemple, pour l’État québécois, un « rôle d’entraîneur de l’économie, ou d’initiateur. » Le virage vers un syndicalisme davantage radical et revendicateur, qui serait la marque du nouveau président, commençait à prendre forme. Deux ans plus tard, dans un nouveau rapport moral, Pepin ouvrait ce qu’on a appelé le Deuxième front. On y retrouve ce constat : Une idée était plantée en terre syndicale. Elle allait germer de diverses façons dans le demi-siècle qui suivra. En témoigne ce que Jacques Létourneau a appelé son « testament syndical » livré en juin 2021 au Conseil confédéral de la CSN. Celui qui quittait son poste de président de la CSN pour se présenter à la mairie de Longueuil a alors inscrit cette décision dans la foulée du rapport de 1968. On a l’habitude de situer le début de la Révolution tranquille à l’arrivée au pouvoir du Parti libéral de Jean Lesage en juin 1960. Mais comme l’ont avancé plusieurs, dont le syndicaliste et essayiste Pierre Vadeboncoeur, cette révolution avait été amorcée depuis quelques années dans les milieux intellectuels, dans certains partis politiques et dans les syndicats, dont la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC), qui, quelques mois après l’élection des libéraux, prit le nom de Confédération des syndicats nationaux (CSN). Dans une préface au recueil de textes de Vadeboncoeur réunis en 1990 dans Souvenirs pour demain, le président de la CSN, Gérald Larose, écrivait que ce dernier « avait expliqué comment le terreau syndical a servi de lieu de culture pour les idées qui ont, par la suite, nourri la révolution qui a transformé la société québécoise. » Les années qui ont suivi ont vu s’ouvrir les fenêtres et entrer des bouffées d’air frais dans tous les secteurs d’activité. Portés par cet élan d’émancipation, les travailleuses et les travailleurs revendiquent, comme jamais auparavant, de meilleures conditions en même temps que la reconnaissance de la valeur sociale de leur travail. En quelques années, dans les secteurs public et parapublic, la syndicalisation fit des pas de géants : fonctionnaires, professionnels, ingénieurs, employés d’hôpitaux se sont donné des syndicats qui ont osé prendre de front un paternalisme d’État qu’a bien illustré cette phrase de Jean Lesage : « La Reine ne négocie pas avec ses sujets ! » Dans le secteur privé, on n’était pas en reste. Une audace nouvelle s’était emparée des syndicats et de leurs membres. On ne reculait plus devant les employeurs, anglais et américains en majorité. En plein coeur de ce qu’on a appelé plus tard les Trente glorieuses, des gains impossibles à imaginer jusque-là ont été acquis. Les salaires ont explosé. L’arbitraire patronal a été remis en cause. Les syndicats ont finalement été reconnus comme des interlocuteurs qui ne pouvaient continuer d’être ignorés. Mais un piège allait mettre en péril tous ces gains acquis par la négociation de conventions collectives : la consommation ! Longtemps freiné par le manque de ressources financières, le désir d’améliorer son train de vie a rapidement conduit à une consommation que les salaires, même si fortement améliorés, ne pouvaient arriver à satisfaire. C’est ainsi que dans les années soixante, les travailleurs, leurs syndicats et la CSN constataient que les gains obtenus grâce aux négociations de conventions collectives fondaient comme neige au soleil quand ils redevenaient des citoyens/consommateurs. Comme les banques et les Caisses populaires faisaient très peu de prêts personnels, ce sont ce …

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