Hors-dossierIdées

Critique de l’équité : de la sociologie militante à la bureaucratie d’État. Autour de Frances Henry et al., The Equity Myth. Racialization and Indigeneity at Canadian Universities, Vancouver, UBC Press, mai 2017[Record]

  • Arnaud Bernadet

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  • Arnaud Bernadet
    Université McGill

Dans un article publié le 8 mai 2016 par The Globe and Mail, « Canada Universities Fail to Meet Diversity Hiring Targets », Chris Hannay mettait en lumière les difficultés du programme fédéral des chaires de recherche à relever les défis en matière d’équité pour ce qui a trait à la sélection et à la rétention de chercheurs exceptionnels dans le monde universitaire. Il relayait ainsi l’inquiétude de Kirsty Duncan, alors en poste au ministère des Sciences et des Sports (du 4 novembre 2015 au 20 novembre 2019), qui venait de demander à ce sujet une évaluation du programme mis en place quinze ans plus tôt. Le journaliste rapportait surtout la position officielle du comité directeur, formé par les présidents des trois organismes subventionnaires (IRSC, CRSH, CRSNG) et les sous-ministres (Industrie et Santé Canada). Dans une lettre ouverte à l’intention des recteurs des universités, Ted Hewitt déplorait ainsi « la grande lenteur des progrès » réalisés par le milieu académique en fait de représentation des quatre groupes cibles, les femmes, les personnes handicapées, les Autochtones et les minorités dites visibles. À l’image du cabinet nommé en 2015 par le premier ministre Justin Trudeau, « le plus diversifié de l’histoire du Canada », l’auteur estimait que les institutions d’enseignement et de savoir avaient l’obligation « de soutenir et d’intensifier » leurs efforts en ce domaine, cette stratégie constituant à ses yeux un gage pour que se développent « des centres d’excellence de calibre mondial ». Au risque de heurter nos convictions démocratiques les mieux enracinées, on peut toutefois légitimement s’interroger sur le lien logique qu’il établissait ici entre la question de la diversité et celle de l’excellence scientifique, comme si ce rapport allait de soi et ne méritait pas au préalable d’être dûment démontré. Au reste, ces déclarations publiques importent moins dans l’immédiat par les prémisses qui les gouvernent que par les actions concrètes qui en ont découlé. En effet, c’est en mai 2017 que la ministre Duncan soumet le programme des chaires de recherche du Canada à son Plan d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, particulièrement contraignant. Étant « fermement résolu » à défendre et « garantir » ces valeurs, le pouvoir fédéral qui, pour cette raison, estime alors devoir interférer dans les compétences éducatives des provinces, exige des établissements qu’ils mettent en oeuvre « un examen sérieux et rigoureux du milieu de travail et des pratiques de recrutement », et qu’ils satisfassent à un échéancier serré sous peine de voir suspendus « le versement de fonds et l’évaluation par les pairs des candidatures » aux chaires. Au nom de l’équité, on assiste donc à cette date à une réorientation de la Politique de la recherche au Canada. Car cette inflexion ne vise pas uniquement les règles institutionnelles ou les modalités pratiques de l’activité savante (en matière de financement ou de recrutement). Elle altère peut-être aussi plus radicalement sa philosophie et ses objectifs. Du moins est-ce la question que l’on peut adresser à l’imposante enquête collective dirigée par Frances Henry : The Equity Myth. Racialization and Indigeneity at Canadian Universities, en raison non seulement de la synchronie exemplaire qui l’unit, à sa sortie des presses en mai 2017, au plan d’action fédéral, mais, de manière plus évidente encore, de la convergence des observations et des intérêts : des chercheurs aux dirigeants, un vocabulaire et des préoccupations analogues mis au service d’un diagnostic commun, la sous-représentation spectaculaire des groupes cibles dans les universités canadiennes, particulièrement deux d’entre eux, les Autochtones et les minorités visibles, sur lesquels se concentre l’étude. De nature interdisciplinaire, l’entreprise …

Appendices