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Will Langford, The Global Politics of Poverty in Canada : Development Programs and Democracy, 1964-1979, Montréal/Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2020[Record]

  • Steven High

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  • Steven High
    Département d’histoire, Université Concordia

Le développement a émergé en réponse aux inégalités de la croissance économique (puis au déclin) et aux disparités constatées selon les appartenances géographiques au Canada et à l’étranger. Les pauvretés urbaine et rurale devenaient alors de plus en plus préoccupantes, exigeant des actions urgentes. Les années 1960 et le début des années 1970 ont été marqués par la philosophie modernisatrice, l’État interventionniste et la notion néfaste de la « culture de la pauvreté », qui prétendait que la pauvreté n’était pas seulement une situation matérielle produite par des forces structurelles, mais également une condition comportementale qui nécessitait une intervention extérieure ou une forme d’animation sociale. L’exploration de l’animation sociale et de ses nombreuses variantes, effectuée de manière approfondie dans ce livre, confirme la place centrale qu’elle a occupée dans la pensée du développement au Québec, en particulier au cours de cette période. Comme le suggère le titre de l’ouvrage, Langford met l’accent tout au long de celui-ci sur la politique mondiale de la conception du développement. Les origines impériales du développement communautaire, comme partie intégrante des projets coloniaux français et britanniques, sont clairement mises en évidence, tout comme l’attrait subséquent des perspectives de décolonisation mondiale sur les militants de gauche de la Compagnie des jeunes Canadiens (CJC). Langford est particulièrement habile dans son examen des courants idéologiques du réformisme libéral, de la nouvelle gauche et de l’extrême gauche, qui se disputaient l’influence au sein de la CJC. Ces volontaires idéalistes de la classe moyenne s’inspiraient « des idées de libération du tiers-monde ainsi que des écrits gauchistes d’Europe continentale… [ils] s’inscrivaient dans un mouvement de contestation transnationale de l’autorité politique et culturelle dominante » (p. 127). Une des caractéristiques malheureuses de l’histoire intellectuelle de la gauche au Canada est l’érection des activistes de la classe moyenne comme seuls protagonistes, au détriment des membres plus locaux et moins éduqués de la classe ouvrière. Dans cet ouvrage, ces derniers, de même que les personnes racisées, sont une fois de plus éclipsés. Il ne pourrait difficilement en être autrement puisque Langford se fie en grande partie sur des documents produits par l’État, à savoir ceux de la CJC/CCJ, de la Société de développement du Cap-Breton et du CUSO. En effet, s’il évite intelligemment de nous offrir une histoire institutionnelle, son appui sur les archives institutionnelles mobilise son interprétation et détermine les protagonistes de son étude. Langford est conscient de cet enjeu et critique le « néo-impérialisme » potentiel de ces jeunes de la classe moyenne dont il dépeint le travail de développement au sein de ces divers groupes. Mais l’historien ne risque-t-il pas ainsi de reproduire involontairement lui-même ici cette perspective néo-impériale ? Dans le cas de Saint-Henri, Langford attribue l’effervescence de l’activisme de quartier à Paulo Freire et aux marxistes autonomes d’Italie du Nord plutôt qu’à une longue histoire de luttes de la classe ouvrière au sein du quartier lui-même ou d’organismes plus localement enracinés comme le Projet d’organisation populaire, d’information et de regroupement (POPIR). La thèse doctorale de Fred Burrill, sur le point d’être achevée et qui porte sur Saint-Henri durant cette période, offrira bientôt un correctif important à cet argumentaire. Dans le chapitre sur la Petite-Bourgogne, traitée ici comme faisant partie de Saint-Henri (ce qui est discutable, comme je le montre dans mon propre livre à paraître), Langford ne parvient pas non plus à intégrer de la documentation importante concernant la communauté noire, laissant cette communauté, pourtant aujourd’hui indissociable de la Petite-Bourgogne, dans l’ombre de l’histoire. L’étude aurait été considérablement renforcée si davantage de sources locales avaient été consultées et si des entretiens d’histoire orale ciblés avaient été menés. …

Appendices