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Une « brève histoire » ou un long essai ?[Record]

  • Julien Prud’homme

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  • Julien Prud’homme
    Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)
    Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ)
    Centre interuniversitaire de recherche sur la science et les technologies (CIRST)

On attend depuis longtemps un ouvrage de référence sur la Révolution tranquille. Les historiennes et les historiens ont exploré intensivement la période depuis quinze ans et il devient impérieux de faire le point. Malgré son titre, l’ouvrage de Martin Pâquet et Stéphane Savard ne fait pas tout à fait cela : il offre un peu plus, et un peu moins. En effet, les auteurs, selon leurs propres mots, proposent deux projets à la fois : « essai et synthèse » (p. 15). J’ai mieux aimé l’essai. Le livre est en partie un essai, car il propose un argument et en fait la démonstration. L’argument, exposé en introduction, est que la Révolution tranquille est mieux comprise si on l’aborde comme une mutation de la « culture politique ». Les auteurs proposent un vocabulaire conceptuel élaboré pour décrire cette culture. Le « vivre-ensemble » se décline en divers volets, soit le « vouloir-vivre collectif » (les références partagées), le « devoir-vivre collectif » (les normes de l’action légitime) et le « comment-vivre-ensemble » (les rapports de force). La société évolue quand de nouvelles « élites définitrices », dans un contexte donné, implantent des normes, des référents et des leviers de pouvoir qui modifient l’écosystème du pouvoir. Ce vocabulaire alourdit la lecture (on n’évite pas toujours le jargon), mais il est utile : il permet notamment d’insister sur le caractère définitionnel du politique. Au fil du texte, les auteurs précisent aussi les concepts de « rapport au temps » et de « prise de parole ». Ainsi équipés, les auteurs formulent leur thèse : de 1959 à 1983, la Révolution tranquille est le moment où le Québec abandonne son ancienne culture politique, une « société démocratique consociationnelle » qui privilégie la « bonne entente » informelle entre les élites communautaires de groupes ethnoreligieux aux institutions séparées, et la remplace par une « représentation hégémonique de l’État comme garant du bien commun », basée sur des normes plus formelles et une référence partagée à la Cité québécoise. Cette évolution connaît trois phases : de 1959 à 1967, de nouvelles élites technocratiques investissent l’État et appliquent le changement « d’en haut » ; de 1967 à 1974, « l’élargissement de l’habilitation civique » favorise la prise de parole d’une société civile qui veut imposer « d’en bas » ses propres définitions du politique ; de 1974 à 1983, l’aventure du Parti québécois fait voir le projet de conjuguer ces deux impulsions, avant que l’échec référendaire et la crise économique ne lézardent la « représentation hégémonique » de l’État-providence québécois. Les chapitres suivants servent en bonne partie à démontrer le bien-fondé de cette terminologie et de cette périodisation. Les chapitres 1 et 2 nous mettent en contexte. Le chapitre 1 expose les tendances mondiales de 1940 à 1970. La prospérité d’après-guerre, la guerre froide, l’apogée de l’État-providence, le baby-boom, la réaction des religions organisées au courant de sécularisation, puis les projets d’émancipation que sont la décolonisation et le mouvement des droits civiques, organisent le « village global » dont le Québec forme une petite part. Le chapitre 2 dresse la généalogie des projets étatistes qui, de la Crise à l’anti-duplessisme, percent des brèches dans l’écosystème politique d’avant 1960. Il décrit ensuite le régime de Duplessis. L’argument principal est que Duplessis « se distingue peu de ses prédécesseurs », déléguant à l’Église et cultivant un temps « cyclique » et attentiste, bien distinct du « temps linéaire, orienté vers le progrès » de ses opposants modernistes (p. 78-79). Continuateur du « système démocratique consociationnel » du XIX …

Appendices