Dossier : Duplessis et duplessisme : nouveaux regards

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  • Le comité de rédaction

Maurice Lenoblet Duplessis. Encore aujourd’hui, il suffit de prononcer ce nom dans l’espace public pour provoquer des réactions fortes. Le nom de l’ancien premier ministre est généralement considéré comme une insulte ; associer son adversaire politique à l’ancien politicien trifluvien revient à le vouer aux gémonies, à l’associer à des pratiques politiques et électorales peu recommandables : conservatisme réactionnaire, patronage, corruption, anticommunisme primaire, manipulation, autocratisme, magouilles. Cependant, quelques-uns se revendiquent de son héritage. Des politiciens comme Martin Lemay ou encore récemment le premier ministre François Legault, et des commentateurs et analystes par ailleurs eux-mêmes conservateurs louent son « gros bon sens », son nationalisme autonomiste concret et pragmatique, son ancrage dans la réalité, son contact avec le vécu des Canadiens français de son époque, sa gestion saine des finances publiques, en bon père de famille. Ainsi, les failles du duplessisme se transforment en forces dans lesquelles la Révolution tranquille a pu puiser pour advenir et s’épanouir à sa mort. Loin d’être l’épouvantail longtemps décrié, Duplessis devient alors le père de la modernisation accélérée du Québec dans les années 1960. Qu’en est-il des historiens et des sociologues qui se sont penchés sur l’ancien Chef ainsi que sur ces années d’Union nationale ? Là encore, on ne peut que constater que les cénacles universitaires sont perméables aux débats publics. En effet, comme le rappelait il y a quelques années Alexandre Turgeon, le mythistoire de la Révolution tranquille est le reflet de son exact opposé : celui de la Grande noirceur. Pour le dire autrement, l’un n’existe pas sans l’autre, et les universitaires n’échappent pas à la dichotomie un peu manichéenne opposant tradition et modernité, passéisme et progrès. Ou plutôt, c’était le cas jusqu’à récemment. En effet, au tournant des années 1990 on assiste à une relecture politique du duplessisme sous la plume des sociologues uqamiens Jacques Beauchemin, Jules Duchastel et Gilles Bourque. S’inscrivant dans une lecture critique du libéralisme classique, ils ne peuvent que constater que Duplessis est aussi « progressiste » que peut l’être alors un politicien économiquement libéral. C’est-à-dire que l’État doit, pour lui, être mis au service du capitalisme, fût-il étranger, pour assurer le développement économique de la province. De ce principe découle le reste : politiques sociales garantissant la soumission des travailleurs, électrification et développement des infrastructures de transport de façon à faire baisser les coûts d’installation des entreprises, « concordat » tacite avec l’Église et bâillon des artistes et intellectuels pour que règnent la paix sociale et l’unanimité idéologique. Cette unanimité n’est cependant que de façade et les années 1950 sont tout à fait tumultueuses à bien des égards : on parle, on conteste, on écrit beaucoup ; se trament déjà en coulisse les idées qui éclateront sous peu. La relecture du duplessisme se poursuit dans les années suivantes, avec, dans l’historiographie, quelques jalons importants. L’objet de cette courte présentation n’est pas de faire le récit exhaustif de ce champ foisonnant. Cependant, on peut penser notamment à un numéro de la revue Société de 1999, « Le chaînon manquant », où on voit poindre, sous cette relecture, quelque chose comme une critique de certains effets délétères de la Révolution tranquille. Une « nouvelle sensibilité » historiographique est née, qui se pose la question : aurait-on jeté le bébé avec l’eau du bain ? En tournant le dos au Canada français et en embrassant la « modernité » de la Révolution tranquille, aurions-nous perdu une part de sens et d’âme ? Autre question qui taraude les auteurs de ce numéro : comment expliquer la soudaineté des réformes de 1960, comment comprendre le caractère proprement révolutionnaire post-Duplessis, si ce …

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