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Lamonde, la Brève histoire des idées au Québec et les défis d’une sociologie historique des processus de formation étatique, nationales et coloniales au Québec et au Canada[Record]

  • Frédérick Guillaume Dufour

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  • Frédérick Guillaume Dufour
    Département de sociologie, UQAM

La réputation de l’historien Yvan Lamonde en histoire des idées politiques au Québec n’est plus à faire. L’historien, qui s’est toujours tenu loin des polémiques publiques, a publié une oeuvre pour chercheurs généralistes et plus spécialisés à laquelle des colloques universitaires sont désormais consacrés avec raison. Nous reviendrons ici sur son plus récent ouvrage, Brève histoire des idées au Québec (1763 à 1965). Nous ferons quelques observations sur une section du travail de l’historien qui interpelle les sociologues et politologues qui s’intéressent à la question coloniale dans le Québec contemporain, soit la section sur l’appropriation des thèses anticoloniales par des intellectuels québécois durant les années 1960 et 1970. Ce retour sur ce premier contexte de débats, d’échanges et d’influences de courants théoriques issus d’une vibrante période de décolonisation est intéressant pour plusieurs raisons. D’abord, parce que plusieurs militants de l’époque ont eu le privilège de l’échange réel avec des auteurs, Berge, Memmi, Allende, qui sont aujourd’hui relus par une nouvelle génération de chercheurs. Puis, parce qu’une nouvelle génération de militants passe souvent rapidement sur la mise en contexte de cette première génération. Enfin, parce que le nationalisme québécois est aujourd’hui très éloigné du nationalisme de libération nationale qui émergea durant les années 1960 dans certains secteurs de la société civile. Certains lui reprochent de ressembler davantage au nationalisme conservateur auquel s’opposaient autant les cité-libristes que les parti-pristes à l’époque. Nous comparerons donc ici ce premier contexte d’appropriation avec le nouveau contexte de diffusion de ces thèses parmi une nouvelle génération de chercheurs au Québec et au Canada. Après avoir topographié la fracture générationnelle qui sépare ces générations d’interprètes et d’activistes, nous rappellerons l’importance du travail de Lamonde afin de développer une sociologie historique des processus de formations étatiques, coloniales et nationales au Canada. À elle seule, l’oeuvre de Lamonde ne donne évidemment pas l’ensemble des clés nécessaires en vue d’une telle sociologie historique, mais elle en fournit des matrices essentielles qui sont souvent négligées chez ceux qui s’empressent de calquer le contexte de la France ou celui des États-Unis pour comprendre la complexité du développement socio-historique canadien. Le cadre au sein duquel Lamonde reconstruit l’histoire intellectuelle débute en 1763. Avant la Conquête, estime-t-il, les sources ne fournissent pas encore suffisamment de matériaux pour reconstruire une histoire des idées inscrite dans un espace public aussi cohérent. Bien que compréhensible sur le plan méthodologique, ce cadrage impose cependant la Conquête comme point de départ du récit raconté. Le récit débute ici avec la colonisation des colonisateurs. La période de la Nouvelle-France est donc exclue de ce survol historique. S’il fallait résumer l’objet que Lamonde fait revivre à travers son oeuvre, ce serait dans une large mesure la quête identitaire protéiforme qui meuble l’espace public canadien-français. Les idées politiques des anglophones du Québec apparaissent rarement dans ce paysage. Lamonde reconstitue les débats dont est traversé cet espace public où la question du rapport au passé et à la destinée des Canadiens français occupe une place essentielle. Il décrit les conditions matérielles d’émergence de cette opinion publique entre 1760 et 1815 dans un chapitre du premier volume de son histoire des idées qui est ici repris sous forme synthétique. Cet espace n’est évidemment pas fréquenté uniquement par des bourgeois et des petits-bourgeois, des seigneurs, et surtout le clergé, catholiques de droite et catholiques de gauche, y occupent longtemps une place centrale. Plus tard, au XXe siècle, des intellectuels organiques du mouvement syndical y occuperont également une place non négligeable. Avec le temps, les acteurs qui investissent cet espace public seront de plus en plus issus des professions libérales, …

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