Hors-dossierNote de lecture

Si proche et parfois si loin : note critique en réponse à la vision cosmopolite des choses de Robert C. H. Sweeny[Record]

  • Robert Tremblay

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  • Robert Tremblay
    Ph. D., Chercheur indépendant

J’aime bien Robert Sweeny. C’est un chercheur aguerri et exigeant, qui aime explorer les eaux profondes, en même temps qu’un esprit iconoclaste à qui il ne rebute pas de sortir des sentiers battus et de bousculer les lieux communs de la pensée historique, quitte à se remettre lui-même en question. Mais avant tout c’est un historien qui a toujours su ajuster ses réflexions avec une certaine praxis sociale. Ceci dit, toutes ces qualités ne l’empêchent pas pour autant de commettre des erreurs d’appréciation, ni de sombrer parfois dans des conclusions qui relèvent du pur sophisme. À preuve, sa persistance à voir la décennie des années 1830 marquée par les revendications patriotes dans le Bas-Canada (et particulièrement dans la région de Montréal) comme le lieu d’une « lutte cosmopolite ». Ainsi, dans son article « L’État des choses » paru dans un récent numéro de la RHAF, Robert Sweeny affirme en faisant référence à son livre, Why did we Choose to Industrialize ? : Surpris par une telle déclaration à l’emporte-pièce, je suis retourné à son livre, Why did we Choose to Industrialize ?, et je me suis souvenu que certains passages m’avaient laissé perplexe à l’époque, et ce, malgré le caractère monumental et remarquable de cet ouvrage. Le problème ici avec Robert Sweeny réside dans le fait qu’il ne nous livre jamais une véritable définition de ce qu’il entend par cosmopolitisme. Il faut avoir une assez grande habileté à lire entre les lignes pour saisir l’essence de ce concept auquel il réfère, et ce, au risque de sombrer dans l’erreur. Certains esprits peu habitués à la rhétorique de Robert seraient portés à croire que sa vision du cosmopolitisme cache une aversion pour l’éveil des nations ou l’émancipation nationale, perçus comme le fruit d’une idéologie romantique, rétrograde et conservatrice. Personnellement, je ne crois pas que ce soit vraiment le cas. À mon humble avis, Robert a plutôt voulu balayer du revers de la main la thèse de Maurice Séguin, élaborée dans les années 1960, voulant que la Rébellion de 1837 ait consisté en un double soulèvement initié par deux nations antagoniques se livrant à une sorte de guerre civile : l’une canadienne-française porteuse d’un projet républicain d’affirmation nationale, l’autre, anglo-saxonne, loyale à la Couronne britannique et attachée à la grandeur du dessein impérial de la royauté. Ceci étant dit, Robert s’est surtout servi du concept de cosmopolitisme à des fins instrumentales (au sens étroit de pluralité identitaire) dans le but de montrer que les conditions matérielles, démographiques et socioculturelles nécessaires à l’expression d’un fort sentiment national n’existaient pas de part et d’autre durant les années 1830. Dans son étude de Montréal, l’un des châteaux forts du colonialisme britannique, Robert note de nombreuses interactions et même l’existence d’un certain esprit consensuel au sein des classes populaires, sans égard à l’origine ethnique de ses membres ; il observe également que le tissu social de la ville était composé en bonne partie d’immigrants (Anglais, Écossais, Irlandais, Gallois, Allemands, Américains, etc.) venus s’installer depuis peu dans la colonie, dont les horizons historiques, culturels et linguistiques étaient à ce point variés qu’on ne pourrait parler dans de telles circonstances d’une nation anglo-canadienne dotée d’une cohésion interne, et encore moins soutenir l’idée d’un affrontement entre deux entités nationales durant les Rébellions de 1837-1838, ce qui amène l’auteur à ainsi minimiser la dimension ethnique dudit soulèvement. En somme, toute la difficulté que pose la thèse de Robert Sweeny vient du fait qu’il sous-estime l’ampleur, l’historicité et les fondements philosophico- politiques du concept de cosmopolitisme, rendant ainsi son interprétation fragile, sujet sur lequel nous reviendrons plus loin dans …

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