Voilà un titre qui n’est pas sans rappeler les travaux dirigés jadis par Fernand Dumont, Jean Hamelin et Jean-Paul Montminy sur les idéologies au Canada français, travaux qui ont formé toute une (sinon deux) génération d’historiens et historiennes au Québec. Avec le présent ouvrage, bien qu’il ne s’en réclame pas ouvertement, Hugues Théorêt reprend pour l’essentiel le même credo en investissant journaux et revues afin de cartographier un pan du paysage intellectuel québécois du XXe siècle. Pour se faire, l’historien a constitué un corpus de 690 textes tirés parmi vingt publications de l’époque qui, selon lui, reflètent « l’ensemble du spectre idéologique du Canada français de l’entre-deux-guerres » (p. 13). De ce corpus, Théorêt désire analyser « la circulation des discours entourant les droites radicales européennes » (p. 12), celles incarnées par les dictatures de Mussolini, d’Hitler, de Franco et de Salazar. Grosso modo, il s’agit d’examiner comment les journalistes d’ici ont réagi à l’avènement des régimes autoritaires en Europe et quelles ont été les modalités de réception des journaux canadiens-français devant ces projets de société. À cette proposition, l’auteur pose deux conditions. La première est de considérer le climat idéel du Québec d’alors, caractérisé par la position hégémonique de l’Église catholique sur la scène discursive et les mentalités. Une position fondée sur la valorisation de thèses traditionalistes et qui, compte tenu de sa prééminence, est susceptible de favoriser une certaine ouverture à l’égard de modèles faisant la promotion de la religion catholique (Mussolini, Franco et Salazar). C’est l’hypothèse que formule le chercheur. La deuxième condition est d’employer le terme « droites radicales » plutôt que « fascisme » pour désigner ces régimes conservateurs, étant donné qu’il n’existe pas de consensus historiographique sur l’emploi du terme « fascisme ». Une nuance dont on saisit mal l’importance, d’autant plus que la définition donnée par l’auteur à l’expression « droites radicales » apparaît évasive : « une terminologie englobante [qui] permet d’inclure l’ensemble des dictateurs et écrivains dont la pensée et le programme se situent à des degrés divers sur le spectre idéologique de l’extrême droite » (p. 13). On se demande alors concrètement de quoi il est question lorsqu’on parle d’extrême droite : s’agit-il d’un mouvement unitaire fondé sur un socle de valeurs et de pratiques particulières comme le titre de l’ouvrage le suggère au mode singulier, ou bien d’avatars historiques différenciés tel qu’évoqué en introduction ? Le chercheur lui-même jongle avec les deux conceptions du début à la fin. Divisé en six chapitres, l’ouvrage épouse une trame chronologique et narrative répondant en tout point à de l’histoire-bataille. Une histoire axée sur la dimension diplomatique, privilégiant une logique événementielle alimentée par de « grands personnages » (politiciens, papauté, SDN) et de « grandes dates » (publication d’encycliques, Marche sur Rome/1922, accords de Latran/1929, Guerre civile espagnole/1936-1939, accords de Munich/1938, Pacte germano-soviétique/1939, Seconde Guerre mondiale/1939-45, etc.). Au gré des conjonctures, on s’emploie ainsi à repérer les adhésions et les rejets véhiculés dans la presse sur certaines doctrines (corporatisme, nazisme, nationalisme), décisions politiques (occupation de l’Éthiopie par l’Italie, cooptation du Vatican par les régimes nazi et fasciste) ou préjugés (antisémitisme, anathème du communisme) endossés par ces régimes d’extrême droite. Convoquant de nombreux extraits de périodiques divers, allant des publications marginales de la jeunesse (Vivre, La Relève) au magazine féminin (La Revue Moderne), en passant par les quotidiens généralistes grand public (La Presse, La Patrie, Le Soleil) et des périodiques destinés à l’élite socioculturelle (Le Devoir, L’Ordre, L’Action nationale) ; l’auteur nous montre qu’effectivement, ces modèles politiques ont été amplement …
Hugues Théorêt, La presse canadienne-française et l’extrême droite européenne, 1918-1945, Montréal, Septentrion, 2018, 334 p.[Record]
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Maxime Trottier
Candidat à la maîtrise en histoire, UQAM