Samuel de Champlain aurait eu un rêve. Élevé dans la France des guerres de Religion, vivant dans une époque marquée par la cruauté et la violence, notamment celles exercées en Amérique par les Espagnols à l’endroit des Amérindiens et des esclaves importés d’Afrique, il aurait cherché à créer en Amérique du Nord un monde plus humain, où chacun respecterait l’autre, nonobstant ses différences. Ce rêve, qu’il aurait partagé avec les autres Français impliqués dans le développement de la Nouvelle-France, leur aurait été inspiré par Henri IV dans l’intimité duquel, selon l’historien américain David Hackett Fischer, Champlain et ses parents seraient entrés. Cette ouverture envers l’autre aurait fait du roi et des fondateurs de la Nouvelle-France, des humanistes avant la lettre, des précurseurs des Lumières. Paru en 2008, Le rêve de Champlain, la biographie que consacre au fondateur de Québec D. H. Fischer, a remporté tout de suite un immense succès populaire. Traduit trois ans plus tard en français, le livre est consacré « Coup de coeur » d’une grande chaîne de librairies québécoise et fait rapidement l’objet d’un docufiction produit par TV-Ontario. Lancé alors que la ville de Québec célébrait son quatre-centième anniversaire et alors que le gouvernement canadien mettait sur pied la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) qui visait à favoriser l’établissement d’une relation juste et équitable entre les membres des Premiers Peuples et le reste des habitants du Canada, le livre de Fischer tombait à point. Les valeurs qui auraient été celles d’Henri IV et de ses représentants en Amérique auraient permis de marier les influences européennes et amérindiennes afin de créer une identité métissée. Un retour à ces valeurs permettrait de trouver des solutions aux différents problèmes qui subsistent dans les relations entre Autochtones et non-Autochtones. Ce n’est pas un hasard si, désigné à titre de 28e gouverneur général du Canada en 2010, David Johnston s’est présenté à la tribune avec un exemplaire du livre, qu’il a même évoqué dans son discours. Il a également fait allusion à la biographie de Champlain lors de sa prise de fonction officielle. Pour sa part, Jean-Pierre Blais, président du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, s’extasiait le 24 novembre 2016 devant « un homme qui embrassait des idées du XXIe siècle, 400 ans avant le temps ». Le chroniqueur du Soleil, François Bourque, a traduit l’état d’esprit général lorsqu’il a écrit, après avoir vu la série télévisée tirée de l’oeuvre de Fischer : « J’avoue avoir éprouvé une certaine fierté à la pensée que ma ville avait été fondée par cet homme nouveau et visionnaire, plutôt que par un obscur chercheur d’or ou voyageur égaré. » Dix ans après sa publication, ce livre, et les idées qu’il transmet, est toujours considéré par plusieurs, comme le premier ministre Justin Trudeau, comme un des plus importants de leur bibliothèque. Les trois articles proposés dans ce dossier explorent les principales idées de Fischer et les raisons du succès de sa biographie de Champlain. Le rêve « humaniste » de Champlain, un rêve imaginé par l’historien, correspondait si bien à la réalité politique canadienne du début du XXIe siècle que bien des hommes publics ont voulu y voir une réalité. Henri IV et les hommes qu’il envoie outre-Atlantique avaient en commun, selon Fischer, un même idéal humaniste développé en réaction aux horreurs et violences survenues lors de la période des troubles de religion qui secouent la France de 1562 à 1598. Au terme de celle-ci, Henri IV aurait été porté par la vision d’un royaume uni par la tolérance, l’acceptation de …
La réalité d’un rêve imaginé : la tolérance de Samuel de Champlain[Record]
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Michel De Waele
Département des sciences historiques, Université Laval