L’évolution des patronymes au Québec depuis le XVIIe siècle est un phénomène qui a été étudié par de nombreuses équipes pluridisciplinaires. La Bibliothèque de l’Assemblée nationale s’est appuyée sur ces travaux, entre autres, pour préciser des patronymes incertains au sein du groupe des parlementaires québécois qui ont siégé depuis 1764. En effet, certains d’entre eux ont soit un nom à la graphie variable, un nom dit ou ont l’habitude de signer leur patronyme de plusieurs façons. Au sein de cet ensemble composé d’environ 1725 individus, le sous-groupe des femmes parlementaires se distingue de plusieurs façons. Son existence récente – 134 femmes ont été élues depuis 1961 – coïncide avec une période sociopolitique marquante pour l’évolution des droits des Québécoises. La réforme du Code civil de 1981 attire particulièrement notre attention en raison de sa portée sur leur dénomination. Ainsi, plusieurs élues portent le patronyme de leur mari durant leur carrière politique ou l’accolent à leur nom de jeune fille. Reprendre celui-ci plus tard dans leur vie suscite plusieurs interrogations dans un milieu institutionnel comme l’Assemblée nationale : comment nommer ces femmes dans les communications officielles et dans un outil de référence comme le Dictionnaire des parlementaires québécois de 1764 à nos jours ? Quels critères doit considérer un historien pour déterminer avec exactitude le nom à conseiller aux autorités qui, elles, souhaitent dénommer une salle de l’hôtel du Parlement ou ériger un monument à la mémoire d’une femme politique ? Doit-on suivre la règle de la Commission de toponymie, qui préconise d’utiliser le « nom sous lequel elle est la mieux connue ? » Nous expliquerons d’abord comment nous avons clarifié les dénominations fluctuantes de parlementaires des XVIIIe et XIXe siècles afin de les intégrer à des instruments de recherche aux normes éditoriales strictes. Dans un deuxième temps, nous rappellerons les défis institutionnels et mémoriels que représentent les dénominations doubles ou multiples de certaines femmes parlementaires, spécialement dans la conception d’un projet comme le Monument en hommage aux femmes en politique, dévoilé en 2012 à l’Assemblée nationale. Cet exemple met en évidence la complexité du cas de Marie-Claire Kirkland, nom légal de la première élue au Parlement de Québec, mais connue comme « Claire Kirkland Casgrain » durant sa carrière publique. Au décès de Kirkland en 2016, ces deux dénominations ont créé une grande confusion dans les médias. Au total, quatre variantes de son nom ont été véhiculées, signe annonciateur du dilemme auquel nous sommes confrontés aujourd’hui : sous quel nom commémorer et transmettre dans l’espace public, un geste porteur de sens pour la collectivité, la mémoire de cette femme emblématique ? Cette question n’est pas exclusive à l’Assemblée nationale ; elle intéresse toutes les institutions qui ont du pouvoir en matière de commémoration. Leurs responsabilités sont grandes, surtout s’il s’agit d’un acte commémoratif prenant la forme d’un aménagement permanent. Dans ce cas, la Commission de la capitale nationale du Québec estime que « les sujets de commémoration devront subir l’épreuve du temps à tous égards » et évoquer « de façon claire et non équivoque » les personnes que l’on veut honorer, ce qui nécessite un « contrôle rigoureux du contenu intellectuel des messages » qui figurent sur ces aménagements. Compte tenu de notre position privilégiée auprès des parlementaires et de notre familiarité avec différents enjeux politiques et mémoriels, notre analyse propose des pistes de réflexion et des éléments inédits susceptibles d’aider à remédier à ce problème qui ne peut être pris à la légère. La façon de nommer un individu a beaucoup varié au fil du temps en Occident. Si les descendants des colons venus …
Dénominations multiples et commémoration : le cas de Marie-Claire Kirkland[Record]
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Frédéric Lemieux
Bibliothèque de l’Assemblée nationale