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Avec les changements technologiques et sociaux, la vie est aujourd’hui plus colorée. Pour imager ce changement, nous sommes passés de trois postes de télévision à 900. Socialement, nous sommes passés de trois saveurs de croustilles – nature, BBQ et vinaigre – à près d’une centaine.
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Le coeur des Québécois propose d’étudier les changements de la société québécoise entre 1976 et 2016 grâce à l’analyse d’un sondage publié par la maison CROP en collaboration avec la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval (CRIDP).
Basé sur un échantillonnage de 1000 répondants, le sondage avait deux objectifs principaux : d’une part, évaluer les représentations de la population québécoise à l’égard de l’année 1976 comparativement à l’année 2016, et d’autre part, sonder la population sur différents enjeux politiques et sociaux tels que la gestion du système de santé, la souveraineté du Québec et l’atteinte de l’équilibre budgétaire. En utilisant ce sondage comme source principale, les auteurs ont tenté de démontrer que la société québécoise avait évolué entre 1976 et 2016 et, dans un second temps, ils ont voulu identifier quelles étaient les caractéristiques politiques, sociales, économiques et idéologiques de cette évolution pour ainsi déterminer « les initiatives qui feront le Québec de demain ». Divisée en quatre parties, la démonstration est articulée autour de la mutation qui, selon les auteurs, s’est exercée dans le spectre politique québécois où l’opposition fédéraliste-souverainiste, alors dominante, s’est érodée au profit du binôme idéologique gauche-droite.
Dès l’introduction, le lecteur peut constater de nombreux problèmes méthodologiques qui ne semblent pas avoir été pris en compte, ni même mentionnés, par les auteurs du livre. D’abord, ils définissent l’année 1976 comme étant un moment décisif de la politique québécoise ; en effet, les auteurs martèlent que l’année 1976 serait perçue, dans l’imaginaire collectif, comme celle de l’émancipation de la société québécoise puisque c’est à ce moment que la notion vague et fortement hétérogène de « Québécois » a définitivement remplacé son ancêtre conceptuel de « Canadien français ». Contrairement à ce que les auteurs affirment dans leur livre, nous croyons plutôt que l’année 1976 a été un moment décisif pour une seule génération, soit celle des « baby-boomers », et non pas pour la société québécoise dans sa totalité, car cette « société québécoise » ne peut être considérée comme une entité homogène et monolithique possédant les mêmes référents sociaux, historiques et politiques. Le postulat présenté par les auteurs pourrait très bien s’appliquer à l’élection de Jean Lesage en 1960, à l’Exposition universelle de 1967, aux soulèvements de 1968, à l’échec de l’Accord du lac Meech et au référendum de 1995 ou bien, pour la génération Y, au printemps 2012, car tous ces événements ont activement participé, à différents degrés, à la politisation de certains groupes sociaux de la société québécoise. Il est selon nous impossible d’utiliser 1976 comme assise temporelle pour ensuite fonder un discours sur l’évolution de la société québécoise, car le système de représentation des auteurs leur permettant de conceptualiser a posteriori l’année 1976 est construit sur une perception subjective et idéalisée – ce que les auteurs tentent de nier – de 1976. Nous croyons en effet que le seul fait de catégoriser 1976 comme « quasi mythique » dès la première phrase du livre est en soi un acte d’idéalisation. Une précision s’impose cependant. Il est tout à fait normal que 1976 occupe une place importante dans le « coeur » et l’esprit des auteurs et de certains répondants, mais la rigueur académique exige et impose un effort de distanciation entre l’analyse d’un fait social et notre perception subjective du fait social en question. On ne peut cependant nier l’importance de l’année 1976 et l’élection du gouvernement de René Lévesque dans l’histoire politique du Québec, mais l’utiliser comme point de départ pour démontrer l’évolution de la société québécoise semble à notre avis discutable.
Le deuxième problème se trouve dans la « source » utilisée par les auteurs. Fonder une étude scientifique sur un sondage mené auprès de 1000 répondants est, selon nous, une importante lacune méthodologique. Les événements des dernières années ont montré à quel point les sondages sont dorénavant des outils à manier avec une grande prudence du fait qu’ils ne peuvent plus prétendre à refléter un portrait objectif et rationnel de la société étudiée. Les cas du Brexit, de l’élection de Donald Trump et de la montée fulgurante d’Emmanuel Macron et du mouvement En Marche ! démontrent selon nous que les sondages ne peuvent plus être pris comme des reflets de la pensée politique d’une société.
De plus, le sondage CROP-CRIDP ne peut que produire, en raison de son échantillonnage, des résultats anachroniques. Rappelons ici que l’objectif de l’ouvrage était de déterminer les modalités de l’évolution de la société québécoise entre 1976 et 2016, et ce, grâce à l’analyse détaillée d’un seul sondage. Or, lorsque l’on se penche sur les différentes tranches d’âges de l’échantillonnage, on peut constater que près de 30 % des répondants n’étaient pas nés en 1976. Dès lors, deux questions viennent immédiatement à l’esprit : d’une part, comment est-il possible de proposer une analyse de l’évolution de la société québécoise à partir de l’année 1976 qui soit cohérente et valable d’un point de vue scientifique si près d’un tiers des répondants n’étaient pas nés à cette époque ? D’autre part, comment est-il possible de proposer pareille analyse si les questions du sondage portent quasi exclusivement sur des problèmes de gouvernances actuels ? Certes, l’année 2016 est « bien représentée » par ces données, mais aucune question du sondage ne porte sur les enjeux de gouvernance de 1976, et c’est tout à fait normal puisqu’il est impossible de récolter de telles données à moins de se fier à des sondages de l’époque. Les caractéristiques de gouvernance de 1976 sont quant à elles reconstruites à l’aide d’une vision anachronique du passé, ce qui est fortement discutable sur les plans méthodologique et conceptuel. Ces erreurs méthodologiques se sont déclinées dans l’ensemble de l’ouvrage, ce qui a empêché les auteurs d’effectuer une démonstration satisfaisante et cohérente de l’évolution de la société québécoise.
À titre d’exemple, les auteurs mentionnent dans leur conclusion que la société d’aujourd’hui est plus « colorée » et complexe que celle de 1976, et ce, en utilisant une image fort maladroite – quoiqu’humoristique – en comparant la complexité du XXIe siècle au très grand nombre de chaînes de télévision et de saveurs de croustilles. Or, chaque société, et ce peu importe le cadre spatio-temporel, est complexe, car le social et ses paramètres sont par définition complexes. Les auteurs ne semblent pas avoir de sources pour établir que la société québécoise de 1976 « pouvait paraître plus simple et les codes sociaux plus clairs » qu’aujourd’hui. Il est dès lors réducteur d’affirmer que les « codes sociaux [étaient] plus clairs » en 1976 du fait que les « codes sociaux » d’une société reposent sur un système de représentation extrêmement complexe qui ne peut être analysé indépendamment de son cadre spatio-temporel et des mentalités qui ont participé activement à la construction de ce système. Par conséquent, le seul postulat que l’on peut affirmer est que les différences entre la société de 1976 et celle de 2016 ne résident pas dans une déclaration unilatérale que 1976 était plus « simple » que 2016, mais plutôt que les modalités de cette complexité sociale sont différentes et qu’elles ont évolué dans le temps. L’élection du gouvernement de René Lévesque a apporté son lot de complexité dans l’administration quotidienne des affaires de l’État, car il s’agissait du premier gouvernement souverainiste à prendre la barre de l’État. Nous doutons fortement, en somme, que les fonctionnaires fédéraux et provinciaux pouvaient qualifier les relations intergouvernementales et les « codes sociaux » de ces relations par les vocables « simple » ou « clair ».
Enfin, nous ne croyons pas que Le coeur des Québécois apporte quelque chose de nouveau à la connaissance que nous avons de l’histoire politique du Québec. Nous comprenons cependant que les auteurs ont tenté de déterminer et d’analyser les modalités de l’évolution de la société québécoise et que cette avenue pourrait certainement apporter des résultats intéressants. Or, la méthode utilisée ne permet pas de décrire avec précision et rigueur les modalités de cette évolution et ne peut que proposer, en définitive, des conclusions fortement discutables.