Hors-dossierChronique d’histoire militaire

1940, la conscription (1re partie)[Record]

  • Yves Tremblay

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  • Yves Tremblay
    Historien, ministère de la Défense nationale

Il y a plus d’un siècle, Robert Borden imposait la conscription aux Canadiens ; il y a 75 ans, William Lyon Mackenzie King leur demandait de libérer son gouvernement d’une promesse de n’en rien faire. Des deux conscriptions, les Québécois n’ont retenu que l’émeute de 1918 et le plébiscite de 1942. C’est pourquoi j’aimerais insister ici sur un moment moins connu, à savoir la période d’inscription d’août 1940, car elle a une importance, microhistorique si l’on peut dire, qu’il ne faudrait pas sous-estimer. Avant et pendant la campagne électorale fédérale de 1940, King avait promis de ne pas imposer la conscription. Il s’agissait d’éviter une crise d’unité nationale que le premier ministre craignait comme la peste. Il faut se souvenir qu’il était peut-être le seul politicien anglophone d’avant-plan à avoir soutenu Laurier dans son opposition à Borden en 1917. La politique qu’il décide de suivre durant le second conflit mondial est la conséquence de ce qu’il retient du premier, outre le fait que King avait un instinct politique sûr. Les ministres québécois réellement influents de la guerre, Lapointe, Power et plus tard Saint-Laurent et Claxton, partageaient cet état d’esprit. Rappelons que la période d’enregistrement et le processus d’exemption découlant de la loi de conscription de 1917, et le contexte de l’élection générale de décembre 1917, ont entraîné une confusion générale ainsi qu’un sentiment de frustration et d’injustice chez les conscrits québécois, confusion et frustration qui sont à l’origine des émeutes de la fin de semaine de Pâques 1918. Et l’on sait que la démobilisation en 1919 fut lente, et également désorganisée, ce qui conduisit des soldats à la mutinerie en Grande-Bretagne, sans compter que plusieurs démobilisés mécontents furent des troubles de Winnipeg en 1919. Ces ratages marquent profondément la génération au pouvoir en 39-45. Si bien que le cabinet, peut-être inquiet que l’histoire se répète, commande à l’automne 1939 un rapport à l’historien officiel de la Première Guerre mondiale, le colonel A. Fortescue Duguid, rapport sur ce que devrait être les transferts sociaux aux mobilisés et à leur famille, du recrutement jusqu’aux pensions d’invalidité ou de veuves et orphelins, ainsi que les primes de démobilisation à prévoir. Les suggestions de l’historien sont évidemment inspirées des erreurs de 1917-1919, et de mesures adoptées durant les années 1920 et 1930. Cela afin d’encourager le volontariat et éviter la conscription et, si celle-ci devait tout de même être imposée, de diminuer les conséquences néfastes pour les familles de conscrits. En quelque sorte, il s’agissait de créer un climat de mobilisation plus serein que celui de 1917. Avant l’été 1940, il est difficile de jauger les attitudes de la population. Mais on peut s’en faire une idée, certes pas entièrement objective, en explorant les archives de ministres fédéraux. Lapointe était ministre de la Justice depuis 1924. Il était surtout le lieutenant québécois de King, qui le consultait pour tous les dossiers importants. Chubby Power, ministre des Pensions et de la Santé nationale à la déclaration de guerre, puis ministre de l’Air et ministre associé à la Défense, était aussi consulté, sans qu’à aucun moment le dynamique député de Québec ait eu le poids politique du député de la circonscription voisine, Lapointe. De plus, Power ne se ralliera pas à la décision d’imposer la conscription pour service outre-mer de novembre 1944. Un autre, inconnu au Québec, Ian Mackenzie, député de Vancouver-Centre, joue un rôle important dans les dernières années de la paix et les premières de la guerre. Il est ministre de la Défense au début …

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