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Il y a plus d’un siècle, Robert Borden imposait la conscription aux Canadiens ; il y a 75 ans, William Lyon Mackenzie King leur demandait de libérer son gouvernement d’une promesse de n’en rien faire. Des deux conscriptions[1], les Québécois n’ont retenu que l’émeute de 1918 et le plébiscite de 1942. C’est pourquoi j’aimerais insister ici sur un moment moins connu[2], à savoir la période d’inscription d’août 1940, car elle a une importance, microhistorique si l’on peut dire, qu’il ne faudrait pas sous-estimer.
Les leçons de 1917-1918
Avant et pendant la campagne électorale fédérale de 1940, King avait promis de ne pas imposer la conscription. Il s’agissait d’éviter une crise d’unité nationale que le premier ministre craignait comme la peste. Il faut se souvenir qu’il était peut-être le seul politicien anglophone d’avant-plan à avoir soutenu Laurier dans son opposition à Borden en 1917. La politique qu’il décide de suivre durant le second conflit mondial est la conséquence de ce qu’il retient du premier[3], outre le fait que King avait un instinct politique sûr. Les ministres québécois réellement influents de la guerre, Lapointe, Power et plus tard Saint-Laurent et Claxton, partageaient cet état d’esprit.
Rappelons que la période d’enregistrement et le processus d’exemption découlant de la loi de conscription de 1917, et le contexte de l’élection générale de décembre 1917, ont entraîné une confusion générale ainsi qu’un sentiment de frustration et d’injustice chez les conscrits québécois, confusion et frustration qui sont à l’origine des émeutes de la fin de semaine de Pâques 1918[4]. Et l’on sait que la démobilisation en 1919 fut lente, et également désorganisée, ce qui conduisit des soldats à la mutinerie en Grande-Bretagne, sans compter que plusieurs démobilisés mécontents furent des troubles de Winnipeg en 1919[5].
Ces ratages marquent profondément la génération au pouvoir en 39-45. Si bien que le cabinet, peut-être inquiet que l’histoire se répète, commande à l’automne 1939 un rapport à l’historien officiel de la Première Guerre mondiale, le colonel A. Fortescue Duguid, rapport sur ce que devrait être les transferts sociaux aux mobilisés et à leur famille, du recrutement jusqu’aux pensions d’invalidité ou de veuves et orphelins, ainsi que les primes de démobilisation à prévoir. Les suggestions de l’historien sont évidemment inspirées des erreurs de 1917-1919, et de mesures adoptées durant les années 1920 et 1930[6]. Cela afin d’encourager le volontariat et éviter la conscription et, si celle-ci devait tout de même être imposée, de diminuer les conséquences néfastes pour les familles de conscrits. En quelque sorte, il s’agissait de créer un climat de mobilisation plus serein que celui de 1917.
Les peurs du début de la Deuxième Guerre mondiale
Avant l’été 1940, il est difficile de jauger les attitudes de la population. Mais on peut s’en faire une idée, certes pas entièrement objective[7], en explorant les archives de ministres fédéraux.
Lapointe était ministre de la Justice depuis 1924. Il était surtout le lieutenant québécois de King, qui le consultait pour tous les dossiers importants[8]. Chubby Power, ministre des Pensions et de la Santé nationale à la déclaration de guerre, puis ministre de l’Air et ministre associé à la Défense, était aussi consulté, sans qu’à aucun moment le dynamique député de Québec ait eu le poids politique du député de la circonscription voisine, Lapointe. De plus, Power ne se ralliera pas à la décision d’imposer la conscription pour service outre-mer de novembre 1944. Un autre, inconnu au Québec, Ian Mackenzie, député de Vancouver-Centre, joue un rôle important dans les dernières années de la paix et les premières de la guerre. Il est ministre de la Défense au début de septembre 1939, remplace Power aux Pensions dans le remaniement de la mi-septembre, tout en demeurant le principal organisateur politique libéral jusqu’à 1943[9]. Lapointe et Mackenzie ont laissé des archives qui nous seront utiles ici[10].
Ces acteurs s’écrivent. Ainsi, la veille du remaniement, Power transmet à Lapointe une longue lettre de Lucien Cannon, juge à la Cour supérieure, qui fait part de ses observations sur l’entrée en guerre du Canada, de l’état de l’opinion publique au Québec et de l’attitude à tenir[11]. (Une telle lettre est aujourd’hui impensable.) D’emblée, Cannon explique que 1939 n’est pas 1914, et ce pour plusieurs raisons : le contexte électoral est plus favorable aux Libéraux en 1939 qu’en 1914 ; l’idée de l’inévitabilité de la guerre « est malheureusement devenue familière dans tous les foyers » ; « les gens sont renseignés et se renseignent davantage tous les jours » ; la visite du roi et de la reine en mai-juin 1939 a fait bonne impression[12] ; Hitler a une personnalité qui « suscite un sentiment de haine » ; et finalement, « la guerre vient comme un soulagement aux chômeurs ». Le juge Cannon se dit d’accord avec « l’engagement formel » du gouvernement de s’en tenir au système volontaire. Il prévient pourtant Power, et par conséquent Lapointe, que la Milice, c’est-à-dire la réserve, devrait être entièrement mobilisée, officiers inclus, en particulier les avocats et autres professionnels qui se pavanaient en uniforme entre les deux guerres, et ce parce que Cannon craint le mauvais exemple. (Le juge méprise-t-il les avocats ?) Il attend du haut clergé des instructions claires au bas clergé « qui doit être guidé et discipliné ». Il demande que la censure soit renforcée, particulièrement à l’encontre de personnalités comme Paul Gouin et René Chaloult, et pour deux quotidiens, Le Devoir et L’Action catholique.
Le Bureau du premier ministre est évidemment inquiet de l’attitude des Canadiens français, ce pour quoi il prend le pouls de l’opinion. Avec les outils de l’époque. Ainsi, un long relevé de la presse canadienne-française est préparé au début du mois d’octobre 1939, séquençant l’analyse en trois périodes : avant le vote aux Communes (24 août au 8 septembre), pendant le vote et avec les réactions immédiates à la déclaration de guerre (9 au 13 septembre), et finalement les trois semaines qui suivent. On s’y attache surtout aux journaux francophones jugés susceptibles de critiquer le gouvernement, soit L’Événement-Journal et L’Action catholique de Québec, Le Devoir et Le Petit Journal de Montréal et Le Droit d’Ottawa. Il ne s’agit pas des journaux les plus lus[13]. Une étude récente estime que le tirage du Devoir représente en moyenne 7 % du tirage des principaux journaux francophones entre 1910 et 2000 ; au début des années 1940, il tire à un peu plus de 20 000 exemplaires, comme La Patrie, mais La Presse imprime plus de 220 000 exemplaires[14]. Tous les gros tirages sont proches des Libéraux.
Passons au contenu. Le ou les analystes estiment d’abord que la presse écrite, y compris celle qui est ordinairement en désaccord avec les Libéraux, ne s’oppose généralement pas aux mesures techniques, comme le contrôle des prix ou la levée d’un impôt spécial pour financer la guerre, sauf L’Écho du Nord de Saint-Jérôme. Ce sont plutôt les déclarations publiques de King et de certains ministres entre le 1er et le 3 septembre qui « causent de l’étonnement », d’abord sous forme de soulagement devant la fin des tensions perceptibles depuis l’annonce du pacte germano- soviétique (d’où la date du début de l’analyse le 24 août), puis à partir du 4 septembre, une franche hostilité à l’endroit de King, parce que le premier ministre place le pays devant un « fait accompli ». Cet étonnement[15] se lit surtout dans Le Devoir et Le Droit.
Après les premiers jours (fin de la période I et les périodes II et III des analystes), ce sont les opinions exprimées dans Le Devoir et L’Action catholique qui préoccupent les rédacteurs, avec quelques mentions du Droit. Ressortent alors les vieux sujets de querelles : un Canada trop condescendant devant les impérialistes canadiens anglais et britanniques, et, bien sûr, le spectre de la conscription, donc l’unité nationale.
Plus le temps avance, plus le nom de Lapointe est associé à celui de King dans les critiques du Devoir et de L’Action catholique. Mais les analystes ne semblent plus faire beaucoup de cas de l’opposition du Droit, tandis que la position de L’Événement-Journal (journal conservateur) en est une de résignation. Ces deux derniers journaux se montrent satisfaits du remaniement ministériel qui a lieu ces jours-là, remaniement visant à écarter le ministre de la Défense, Ian Mackenzie, éclaboussé par un scandale – l’octroi d’un gros contrat d’armement sans appel d’offres. La conclusion générale du relevé est extrêmement satisfaisante pour le gouvernement : « La conclusion que l’on peut tirer de cette analyse de l’opinion exprimée par les journaux canadiens-français est qu’en général le ton de la presse canadienne-française est modéré. Cela reflète probablement l’attitude de la population de la province de Québec[16]. »
Évidemment, l’opinion publique sur la guerre est en partie fonction du déroulement favorable ou défavorable du conflit. Il en est ainsi des événements dramatiques de l’année 1940[17], qui provoquent des bouleversements dans l’alliance occidentale, et font de la conscription une réalité tôt dans la guerre.
Les lois de 1940
Fin janvier 1939, lorsqu’il est devenu évident qu’Hitler ne respecterait pas la promesse faite à la conférence de Munich de se contenter du territoire des Sudètes, l’état-major a revu les principes devant guider la mobilisation à venir[18]. Le plan final, daté du 29 août 1939, tout juste révisé pour tenir compte du pacte germano-soviétique, est essentiellement une réaction à la mobilisation chaotique de l’été 1914. L’état-major part de l’hypothèse qu’un corps d’armée de 60 000 hommes sera levé de manière entièrement volontaire. Il s’agira d’activer des unités de réserve (plutôt que d’en créer de nouvelles comme en 1914), qui devront compléter leurs effectifs avec des volontaires. Les plus longues sections du plan sont consacrées à cette question. Les troupes n’auront ni armes ni véhicules, puisque le Canada est en pratique dépourvu d’armes modernes, sauf la Marine, qui a une poignée de navires récents. Néanmoins, les chefs d’état-major préconisent le recrutement immédiat afin d’entraîner les hommes. Ils comptent sur l’industrie britannique pour équiper l’Armée de Terre et l’Aviation. Peu importe les délais d’équipement, les chefs considèrent que la guerre ne sera ni limitée ni courte, de sorte que le Canada aura le temps d’entraîner et d’armer les forces prévues par le plan.
Est également analysé le recrutement au Canada français. Il faudra éviter les vexations nuisibles aux Canadiens français, du genre de celles que Sam Hughes, le ministre de la Milice de l’époque, se plaisait à multiplier en 1914. Le recrutement se fera sur une base territoriale. Il est prévu qu’une brigade (quatre bataillons) entièrement francophone soit levée (promesse qui ne sera pas tenue). Finalement, les chefs précisent qu’il n’est pas question d’obliger les membres de la Milice à servir. En clair, cela veut dire que les membres de la force permanente et les réservistes d’avant l’entrée en guerre ne seront pas appelés, comme le permet la loi. Le corps d’armée envisagé sera donc formé d’hommes devant signer un nouvel engagement.
L’un des attendus de départ des trois chefs d’état-major était que « le Parlement décide ». Cela peut être pris au sens où, contrairement à 1914, l’entrée en guerre et l’envoi d’un corps expéditionnaire ne se fera pas du simple fait d’un télégramme arrivant de Londres, que c’est plutôt le Parlement canadien qui décidera s’il y aura entrée en guerre et quelle nature prendra la participation canadienne. Toutefois, il est clair que les chefs songeaient à autre chose, c’est-à-dire à la possibilité que la guerre se prolonge du fait que la Pologne est sans défense et la France trop faible pour résister seule, avec pour conséquences que l’engagement du Canada devienne important et, possiblement, que la conscription soit votée. Il est d’autant plus probable que c’était bien ce à quoi pensaient les trois généraux lorsqu’on considère qu’ils prirent soin de rappeler comment la Grande-Bretagne est passée de l’apaisement en 1936-1938 à la conscription, introduite là en avril 1939[19].
Les chefs d’état-major respectaient entièrement les intentions du gouvernement. Ils savaient que le premier ministre n’avait aucune envie d’aller très loin en matière de mobilisation des forces armées[20]. D’ailleurs, celui-ci avait déclaré le 30 mars 1939 que « le présent gouvernement croit que la conscription d’hommes pour service outre-mer ne sera pas nécessaire ou utile. Aucune mesure du genre ne sera introduite par cette administration[21]. »
Toujours prudent, King n’excluait pas la conscription de manière catégorique. Et en effet, tout change avec l’effondrement de la France en mai-juin 1940, « qui crée une nouvelle situation en ce qui concerne la défense du territoire et les besoins d’une aide plus importance au Royaume-Uni[22] », et provoque une « quasi-panique » à Ottawa selon l’historien officiel C.P. Stacey[23]. La nouvelle situation rend « l’opinion publique », en réalité, les politiciens et la presse du Québec, plus « disposée à accepter des mesures qu’elle n’eût pas tolérées plus tôt[24] ». Les ministres sont d’accord, y compris Lapointe et, ce qui surprend King, Power[25]. La situation était d’autant plus délicate que durant les élections générales d’octobre 1939 au Québec et de mars 1940 au Canada, les Libéraux avaient renouvelé la promesse de mars 1939. Quoi qu’il en soit, le matin du 18 juin, King discute avec les hauts fonctionnaires de l’annonce qui sera faite aux Communes dans l’après-midi d’imposer un service militaire national. La loi est introduite le jour même[26] et votée dans la nuit du 20 au 21 juin, sans véritable opposition. Entre-temps, le 18 juin à six heures du soir, King et ses conseillers avaient discuté du mécanisme d’enregistrement. Un comité interdépartemental fut aussitôt constitué[27] aux fins de déterminer la façon de procéder.
L’annonce de l’adoption rapide de la « Loi sur la mobilisation des ressources nationales » (LMRN) n’est pas sitôt faite que la base libérale s’inquiète. Le Club ouvrier libéral de Québec envoie un télégramme à Ernest Lapointe à 13 h 24 le 18 juin 1940, ainsi libellé :
APPRENONS A LINSTANT MEME PAR RADIO DECISION PRISE PAR GOUVERNEMENT DIMPOSER SERVICE MILITAIRE OBLIGATOIRE AU PAYS SOMMES EN FAVEUR POUR LE PAYS SEULEMENT ET CONTRE POUR TOUT SERVICE A LETRANGER NE LOUBLIEZ PAS CAR LUNITE CANADIENNE EST A CE PRIX[28]
En faisant adopter en vitesse une loi permettant d’enrégimenter des conscrits (et toute la main-d’oeuvre, hommes et femmes), King profitait du choc causé par les mauvaises nouvelles arrivant de France. On pouvait l’accuser de manquer à sa promesse, mais il pouvait espérer que la crise qu’il redoutait tant au Québec soit évitée, parce que la conscription serait limitée au territoire national.
Les réactions modérées à l’intérieur de la famille politique libérale pouvaient rassurer King et Lapointe. Jean-François Pouliot, député de Témiscouata, rapporte qu’il a sondé « nos amis mutuels » lors de la fin de semaine à Rivière-du-Loup, et que « tous réalisent la gravité de l’heure », ajoutant que « quelques-uns ont été jusqu’à dire qu’ils ont été favorables à l’idée de conscription pourvu que ce fût uniquement pour la défense du Canada ». Il insiste sur le contexte : « La rapidité avec laquelle les événements se succèdent fait faire à tous de sérieuses réflexions. L’opinion publique se modifie de jour en jour[29]. » Pouliot fait part de l’opinion de citoyens de Rivière-du-Loup avant l’annonce publique de la conscription par King. J.-A. Crête, de Saint-Maurice-Laflèche, réagit a posteriori avec des sentiments différents, s’inquiétant du flou des limites géographiques au déploiement des conscrits (il aura raison), laissant entendre qu’il n’est pas d’accord avec la décision de King[30], même s’il ne vote pas contre la loi.
Des Libéraux plus rétifs sont ennuyés par la chute rapide de la France. Maxime Raymond, député fédéral de Beauharnois-Laprairie, l’un des trois députés à s’être opposé à la déclaration de guerre[31], qui militera contre la conscription pour l’outremer lors du plébiscite de 1942 et au moment du décret de 1944, vote pourtant la loi sur la mobilisation en juin 1940[32]. René Chaloult, libéral indépendant à l’Assemblée législative à Québec, propose une motion contre la loi LMRN, mais elle est défaite par la majorité libérale qui suit le premier ministre Godbout[33]. Reste que, sur l’instant, et compte tenu du précédent de 1917-1918 et des promesses électorales de 1939-1940, le gouvernement pouvait se sentir en sol relativement ferme.
C’est encore King qui dépose une résolution le 9 juillet afin de créer un ministère spécial pour administrer certaines parties de la loi LMRN : le Ministère des Services nationaux de guerre. L’affaire est menée aussi rondement que pour la loi LMRN, cette nouvelle loi étant adoptée elle aussi en trois jours. Ce ministère a la charge de réaliser l’inscription des Canadiens et Canadiennes potentiellement mobilisables par l’armée et l’industrie.
L’urgence créée par la défaite de la France et la célérité à procéder ont favorisé un climat « d’entente » minimal. Avec le temps, ce climat ne pouvait être maintenu que si l’on agissait avec doigté. Si l’élection récente et la forte majorité libérale[34] épargnaient au gouvernement King de se retrouver dans le drame électoral de la seconde moitié de 1917, il fallait aussi éviter un processus d’inscription chaotique et des exemptions en apparence injustes, les causes directes de l’émeute de 1918. De nombreux écueils demeuraient ; le premier test serait l’inscription.
L’opération d’enregistrement d’août 1940
Camillien Houde, le maire de la métropole canadienne, est arrêté le soir du 5 août, au moment où se met en place l’organisation de l’inscription. C’est peut-être pour cela que l’inscription, et l’appel des premiers conscrits qui suit, passent inaperçus dans l’historiographie québécoise, alors que microhistoriquement c’est le phénomène essentiel.
Le 31 juillet, Le Droit consacre sa une aux dispositions de la loi LRMN intéressant les conscrits. Il est prévu d’amorcer l’inscription des seize ans et plus des deux sexes le 19 août, même si les modalités ne sont pas spécifiées. Le journal rapporte que les premiers conscrits, tous des hommes, seront appelés pour un entraînement obligatoire le 1er octobre, en commençant par les 21-22 ans, l’objectif étant d’entraîner tous les mobilisables de 21 à 45 ans en appelant deux classes d’âges chaque mois (ce qui ne sera pas fait), au total 30 000 hommes par mois (ce qui ne sera pas atteint). Ces hommes pourront servir au Canada, à Terre-Neuve et au Labrador, en Islande ou dans les Antilles, comme l’avait craint le député Crête. Ils recevront la même solde que les volontaires, soit 1,20 $ par jour pour la durée de l’entraînement[35].
C’est dans ce contexte que survient l’internement de Houde. Dans un article du Droit, reprenant une dépêche détaillée de la Presse canadienne, on rappelle que la déclaration de Houde aux journalistes assemblés à son invitation dans son bureau de l’Hôtel de Ville le 2 août (un vendredi) avait commencé par une tirade contre l’administrateur nommé par la Commission municipale du Québec au mois de mai précédent. Celui-ci administrait la ville pour pallier la mauvaise gestion de l’administration Houde. Or l’administrateur désigné venait d’autoriser l’usage de cinq édifices municipaux pour servir de centres d’enregistrement.
Les propos effectivement tenus devant les journalistes par le maire le 2 août ne sont pas connus avec exactitude selon un article Wikipédia mis à jour le 22 avril 2017. Ce qui est sûr, c’est que le censeur de la presse à Montréal en a bloqué la publication dans les journaux du lendemain, bien que The Gazette, dans son édition du vendredi soir, ait fait passer la partie de la déclaration appelant à ne pas respecter l’inscription obligatoire. Manifestement, The Gazette voulait nuire à Houde. Ce n’est que le surlendemain, le dimanche 4 août, qu’un journal en français, La Patrie, publie à son tour une version de la déclaration en se servant d’une autre dépêche de la Presse canadienne, celle-ci du 3 août, rapportant des questions posées à la Chambre des Communes, et dont le contenu n’est pas censuré. Plus important, sans que l’on connaisse tous les détails, le censeur revient sur sa décision du vendredi (sans doute devant l’embarras de King et de Lapointe, aussi rapporté dans Le Droit), ce qui permet au quotidien d’Ottawa de citer la partie la plus litigieuse des propos de Houde dans son édition du mardi 6 août : « Je ne me crois pas obligé de me conformer à ladite loi, et je n’ai pas l’intention de le faire. Je demande à la population de ne pas s’y conformer, en sachant très bien ce que je fais actuellement, et à quoi je m’expose[36]. » Les motifs du maire de Montréal n’étaient pas parfaitement désintéressés – il voulait rétablir son aura publique et récupérer ses pouvoirs des mains de la Commission municipale. Mais ses propos avaient de quoi inquiéter, d’où la décision de le mettre à l’ombre.
Dans le même numéro du Droit du 6 août paraît un entrefilet par lequel la Jeune Chambre de Commerce d’Ottawa cherche des volontaires pour l’enregistrement à venir[37]. Cette petite annonce est une indication que des réseaux d’associations volontaires de toute nature, et pas seulement patriotiques, se sont joints plus ou moins spontanément aux surnuméraires engagés pour l’opération. Le génie de l’opération d’inscription d’août 1940 réside dans cette mobilisation avant la lettre. On gagnerait à l’étudier attentivement, car je pense qu’elle explique en partie le consensus dans lequel le gouvernement King a pu gérer la guerre.
Le formulaire d’inscription est une longue page avec dix-huit questions comportant jusqu’à cinq sous-questions. Il existe en anglais et français, les recto et verso d’une même feuille[38]. Un mode d’emploi complexe est publié le samedi 17 août, deux jours avant l’ouverture de l’inscription[39].
Vu l’ampleur d’une opération préparée en peu de temps, on serait en droit de s’attendre à de gros problèmes. C’est le contraire. À Hull, l’enregistrement est aux trois-quarts terminé le premier jour[40]. À l’échelle du pays, les formulaires, huit millions, sont rentrés partout dans les temps prévus, sauf trois comtés, deux des Maritimes et un de Colombie-Britannique[41]. Les seuls incidents graves ont lieu au Québec : un vol de document à Montréal et le dynamitage du pont de Saint- Nicéphore, comté de Drummondville, pour nuire à l’inscription[42].
Plusieurs raisons expliquent le succès. L’une, souvent mise de l’avant dans les journaux, est la collaboration du patronat, soit que les employeurs libèrent sans difficulté leurs employés pour s’inscrire, soit qu’ils procèdent à l’inscription sur le lieu de travail[43]. Il y a aussi qu’à cette époque l’obéissance à la loi est intériorisée un peu partout, d’autant que les leaders d’opinion se rangent du côté du gouvernement, les quotidiens[44] et les autorités ecclésiastiques[45] appuyant le mot d’ordre de s’inscrire. D’ailleurs, le ministre des Services nationaux remercie par un communiqué du 23 août les chefs des Églises, toutes dénominations confondues, ainsi que les journaux du pays[46]. Ironiquement, le sort de Houde pouvait servir de contre-exemple[47].
Des anecdotes servent à rallier l’opinion publique au lendemain de l’inscription. Le Soleil, qui rapporte le succès des opérations dans le grand Est du Québec, de Trois-Rivières à l’île d’Anticosti, s’amuse à citer le registraire pour Québec-Est, la circonscription de Lapointe, maître Ernest Godbout : « En général, pour un homme qui répondait vite, il fallait un peu moins de dix minutes, alors qu’une femme prenait un peu plus de cinq minutes[48]. » On peut comprendre ici que les bénévoles supervisé(e)s par les registraires remplissaient généralement le formulaire. Dans la ville de Québec, qui comptait trois circonscriptions fédérales, se trouvaient 433 bureaux d’enregistrement (318 publics et 115 dans des institutions ou commerces) où 1 145 sous-registraires bénévoles (« dont environ la moitié était des dames et des jeunes filles ») ont inscrit à peu près 145 000 personnes[49]. Étant donné l’étendue de la ville de l’époque, c’est un tissage serré. Tout cela a fait dire au président et directeur-général du Soleil, Henri Gagnon, que « Québec donne le bon exemple[50] ».
Les résultats officiels sont compilés par le Bureau fédéral de la statistique : 7 862 920 inscrits, dont 3 979 680 hommes, 1 050 000 de ces derniers voyant leurs fiches transférées au ministère de la Défense ; ce sont les mobilisables par les forces armées. Le statisticien en chef ne précise pas le nombre de fiches transférées par province, mais l’on sait que le nombre total d’inscrits québécois est de 2 157 210 (1 068 490 hommes et 1 068 720 femmes) dont 1 668 250 se déclarent d’origine française, 1 154 080 unilingues français, 664 320 bilingues (français et anglais) et 325 010 unilingues anglophones[51].
Je n’ai pu vérifier la couverture de tous les quotidiens, mais je ne pense pas me tromper en disant que celle du Devoir est atypique et caractéristique. Atypique en ce qu’elle est plus que succincte, pendant et après l’opération d’inscription, contrairement aux autres quotidiens, qui répercutent la nouvelle à pleines pages. C’est seulement avant l’inscription que Le Devoir est prolixe, critiquant l’opération à venir dans la crainte que le volontariat outre-mer ne soit qu’une étape vers la conscription. Il ne conseille pourtant pas la désobéissance[52].
Caractéristique, parce que les démons du vieux nationalisme catholique[53], dont on pourrait penser qu’ils résident surtout à L’Action catholique, s’affichent sans vergogne au Devoir, qui n’est pas le journal libéral qu’il deviendra dans les années 1950. Deux exemples : alors que les autres quotidiens parlent abondamment de l’inscription le 20 août, le premier jour de reportages sur le sujet, Le Devoir ne fait état que de deux problèmes. Au bureau d’enregistrement situé au 34 de la rue Dorchester, aucun sous-registraire ne comprend le français. À celui du 4610 rue Hutchinson, « les sous-registraires sont non seulement juifs mais unilingues anglais », ce qui a conduit à un incident ainsi rapporté (la moitié du petit article) :
Des femmes canadiennes-françaises se sont présentées hier pour s’enregistrer. Tout d’abord, elles n’ont pu se faire comprendre en français ; secondement, on a voulu sans raison leur faire prêter serment sur une prétendue Bible protestante. Ces femmes ont fait des instances pour avoir un sous-registraire de langue française et pour faire remplir leurs formules côté français, après avoir fait avaler à ces sous-registraires juifs (ignorant le français) quelques vérités élémentaires. Finalement, l’un d’eux est allé chercher un autre Juif, capable celui-là de parler un peu le français[54].
La qualité de « juif » est au moins autant en évidence que l’incapacité à parler correctement le français. L’article se conclut ainsi : « Les deux cas ci-dessus sont choisis entre cent. Dans l’ensemble, l’inscription est nombreuse, malgré des incidents parfois désagréables. » Le lecteur n’a aucune idée de ce que peuvent être les cent problèmes en question.
Et il ne faut pas croire que Le Devoir devient féministe en exaltant ces courageuses Canadiennes françaises. Dans un bilan postérieur, le journal explique que les femmes volontaires pour le service armé ont été peu nombreuses et que ce sont des Anglophones « désoeuvrées », exemple à ne pas imiter pour ne pas déranger « l’équilibre » entre les deux sexes, car il vaut mieux se perfectionner « dans un art domestique quelconque[55] ».
De la même eau sont plusieurs lettres parvenues à Ernest Lapointe entre 1936 et 1941[56]. Et René Chaloult, « avocat, homme politique, promoteur de l’adoption d’un drapeau québécois[57] », député libéral à l’Assemblée législative, qui sympathisera avec le Bloc populaire canadien[58] à compter de 1942, pouvait écrire à un opposant ce qui représente sans doute une partie de « l’opinion publique » confectionnée par nos élites nationales et conservatrices :
Je voudrais bien savoir en quoi et comment le Canada peut être menacé d’invasion. Parce que monsieur Lapointe l’a dit, dans un moment de ferveur impérialiste, cela ne suffit pas à me répondre.
Je dois vous avouer d’ailleurs que si je n’apprécie pas la dictature politique de monsieur Hitler je ne prise pas non plus la dictature économique anglo-juive sous laquelle nous vivons au Canada.
Je suis favorable à un ordre social et économique nouveau recommandé dans les encycliques et je crois que le Canada devrait réserver ses énergies à l’établissement de cet ordre plutôt que de se ruiner pour la défense d’une cause jugée très différemment par les autorités religieuses de différents pays.
Vous n’ignorez pas sans doute, vous qui rappelez le nom du cardinal Villeneuve, les directives du cardinal Dohergty, de Philadelphie, celle de la plupart des évêques américains, des cardinaux allemands et italiens. Je crois que le point de vue des cardinaux américains et italiens est tout aussi respectable que celui des cardinaux britanniques.
Vous m’amusez beaucoup quand vous parlez de « trait[r]es ». Vous imitez d’une manière un peu servile monsieur Lapointe, le champion de la liberté, qui qualifie ainsi tous ceux qui ne pensent pas comme lui. On devrait parler moins de liberté et la pratiquer davantage[59].
La lettre est datée du 15 août 1940 et est donc parvenue au destinataire la veille de l’inscription. Celui-ci a dénoncé Chaloult au ministre de la Justice le 28 septembre. Une reproduction photographique de la missive incriminante est réalisée, probablement pour la GRC. Il n’y a pas d’autre pièce dans le dossier Chaloult du Fonds Lapointe. L’affaire n’a donc pas eu de suite sur le moment. Il est permis de penser que si le dénonciateur met six semaines à rapporter Chaloult, c’est qu’il a vu son courage enhardit par l’absence de réactions à l’enregistrement, et peut-être également l’absence de réactions aux premières convocations pour entraînement obligatoire. Lapointe a eu la sagesse de ne pas donner suite. (Toutefois, après sa mort et après le plébiscite de 1942, on sait que Chaloult a été inculpé pour avoir encouragé la désobéissance aux amendements de juillet 1942. Il fut rapidement acquitté[60].)
Quant aux personnes qui atteignirent l’âge d’inscription de 16 ans après août 1940, elles devaient se présenter au maître de poste local.
Fin de la première partie
Appendices
Notes
-
[1]
J’ai évoqué dans une chronique antérieure les précédents des deux conscriptions du XXe siècle : « Chronique d’histoire militaire. Masculinité et conscription », Bulletin d’histoire politique, vol. 18, n° 3, printemps 2010, p. 157-170.
-
[2]
Les ouvrages d’histoire politique les plus renseignés sur les deux conscriptions restent les volumes de l’Histoire de la Province de Québec de Robert Rumilly et les chapitres touffus de Mason Wade dans The French Canadians. Lire ensuite J.L. Granatstein et J.M. Histman (Broken promises : a history of conscription in Canada, Toronto, Oxford University Press, 1977, [vi] -281 p.). Sur la crise de 1917-1918, on peut encore lire Elizabeth H. Armstrong, Le Québec et la crise de la conscription, 1917-1918, trad. de l’anglais, Montréal, VLB éditeur, 1998 (éd. orig. 1937), 296 p. Plus récemment, Patrick Bouvier (Déserteurs et insoumis : les Canadiens français et la justice militaire (1914-1918), Montréal, Athéna, 2003, 149 p.) et Jean Martin (Un siècle d’oubli : les Canadiens et la Première Guerre mondiale (1914-2014), Montréal, Athéna éditions, 2014, 235 p.). Le Québec sous la loi des mesures de guerre 1918 de Jean Provencher (nouv. éd. Montréal, Lux Éditeur, 2014, 163 p.), sur la crise de 1918, manque d’objectivité (c’est du théâtre). Pour l’autre guerre mondiale, le travail d’André Laurendeau est trop plein de pathos. Ajoutons les pages pertinentes de C.P. Stacey, Six années de guerre et surtout Armes, hommes et gouvernements. Voir les notes suivantes pour d’autres études.
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[3]
L’ensemble du dossier ou à peu près se trouve dans J.W. Pickersgill, The Mackenzie King record, volume 1 1939-1944, Toronto, University of Toronto Press, par exemple les pages 22-23 pour les peurs de King de répéter 1917-1918.
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[4]
Desmond Morton, Histoire militaire du Canada, nouv. éd. rev. et augm., Montréal, Athéna éditions, 2009, p. 171-178, pour le récit d’un historien sympathique au Québec. On mettra à jour avec Jean Martin (Un siècle d’oubli, op. cit., p. 183-208) et Béatrice Richard, « Le Québec face à la conscription (1917-1918) : essai d’analyse sociale d’un refus », dans Charles-Philippe Courtois et Laurent Veyssière (dir.), Le Québec dans la Grande Guerre : engagements, refus, héritages, Québec, Les éditions du Septentrion, 2015, p. 118-130.
-
[5]
Bref mais vivant résumé de la démobilisation de 1919 dans Desmond Morton, Billet pour le front : histoire sociale des volontaires canadiens, 1914-1919, Montréal, Athéna éditions, 2005, p. 298-302.
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[6]
« Report of the sub-committee of post discharge pay and war service gratuity », juin 1940, exemplaire dans le Fonds du Dependent’s Bureau of Allowances (Bibliothèque et Archives Canada, fonds RG36-18, boîte 1). Les mises à jour de ce rapport peuvent être lues dans le Fonds du ministre des Pensions et de la Santé nationale, Ian Alistair Mackenzie (BAC, MG27, IIIB5, boîte 84).
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[7]
Dans un rapport anonyme d’une page (non daté mais probablement d’avant juin 1940) transmis au cabinet d’Ernest Lapointe (Bibliothèque et Archives Canada, Fonds Ernest Lapointe, MG27, IIIB10, boîte 20), on se plaint que les deux officiers du renseignement militaire basés à Québec soient des Anglophones qui « détestent les Canadiens français » et alimentent une campagne de dénigrement dans le Toronto Telegram. Classé « SECRET », ce rapport est rédigé en français, seul cas du genre que je connaisse.
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[8]
J.W. Pickersgill, The Mackenzie King record, volume 1, p. 7-8, introduction de Pickersgill. Il explique que Lapointe était l’un des trois confidents principaux avec O.D. Skelton, sous-ministre des Affaires extérieures, et Norman Rogers, ministre de la Défense en 1939-1940. Les trois décèdent tôt dans la guerre : Rogers en juin 1940, Skelton en janvier 1941 et Lapointe en novembre 1941. De tous les proches de King, seuls Lapointe et Rogers l’appelaient par son prénom selon Arnold Heeney (The thing’s that are Caesar’s : memoirs of a Canadian public servant, Toronto, University of Toronto Press, 1972, p. 58). Sur Lapointe, voir John MacFarlane, Ernest Lapointe and Quebec’s influence on Canadian foreign policy, Toronto, University of Toronto Press, 1999, 270 p. ; et Lita-Rose Betcherman, Mackenzie King’s great Quebec lieutenant, Toronto, University of Toronto Press, 2002, xi-426 p.
-
[9]
On peut constater dans les fonds I.M. Mackenzie et B. Claxton (BAC, respectivement MG27 III B5 et MG32 B5), que le passage des responsabilités organisationnelles s’opère dans la foulée du congrès de la Fédération libérale nationale de septembre 1943.
-
[10]
Power aussi a laissé des archives, mais rien de substantiel sur 39-45.
-
[11]
Copie d’une lettre dactylographiée de quatre pages de L. Cannon à C.G. Power, 13 septembre 1939, transmise à Lapointe par Power le 18, dans BAC, Fonds Lapointe (MG27, IIIB10), boîte 18, dossier 46. Échange tout en français.
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[12]
Le trajet suivi par le couple royal est expliqué dans Renée Gagnon-Guimond, « Leurs Majestés au Québec : la visite royale de 1939 », Cap-aux-Diamants, vol. 5, n° 4, hiver 1990, p. 23–26.
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[13]
Le ou les analystes remarquent que La Presse de Montréal a le plus fort tirage des journaux francophones et que ce quotidien est favorable au gouvernement. Ils mentionnent aussi Le Soleil de Québec, Le Canada, Le Jour et La Patrie de Montréal comme appuyant généralement les positions gouvernementales. Autrement, ces derniers journaux sont peu mentionnés dans le relevé.
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[14]
Marie-Ève Carignan et Claude Martin, « Analyse de statistiques historiques sur le lectorat du quotidien québécois Le Devoir de 1910 à 2000 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 70, n° 3, hiver 2017, p. 63. Les auteurs n’ont pas pris en compte les journaux des petites villes, ce qui diminue encore un peu le poids relatif du Devoir et de L’Action catholique. On devrait aussi tenir compte du lectorat de La Terre de chez nous.
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[15]
La déclaration du 3 septembre est lue à la radio en anglais par King, en français par Lapointe. Cela donne lieu à « l’étonnement » de Lapointe : à un moment donné, il a l’impression que le texte qu’il lit suggère une entrée en guerre automatique aux côtés des Britanniques, comme en 1914. Inquiet, il interrompt sa lecture et cherche plus loin. Il trouve finalement que ce n’est pas le cas. Il reprend la lecture, mais pas avant huit longues secondes de silence, alors qu’il est en direct. L’incident montre que même entre deux hommes que l’on dit proches, l’entente pouvait être précaire sur des questions vitales. On doit cette découverte à John MacFarlane (op. cit., p. 151).
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[16]
BAC, Fonds Lapointe, boîte 23, dossier 79B, « French Canadian press and the war » dactylographié, n.d. mais début octobre 1939, 8-3-5 p. Le rapport est transmis à Lapointe par A.D.P. Heeney, secrétaire principal du premier ministre, le 4 octobre 1939. Trad. libre pour les passages cités. Quelques mois plus tard, l’Institut canadien des affaires internationales commande à Florent Lefebvre une étude du même genre que celle citée ici. L’Institut la publie en mars 1940. Plus systématique mais pas entièrement dénuée de parti pris procanadien, elle va dans le même sens. Florent Lefebvre serait-il l’auteur anonyme du relevé ? Voir Claude Beauregard, Serge Bernier et Edwige Munn (dir.), La presse canadienne et la Deuxième Guerre mondiale, Ottawa, ministère de la Défense nationale, 1996, p. 5. L’étude de Lefebvre (« La presse canadienne-française et la guerre »), reproduite aux p. 11-45, séquence en effet l’analyse de la même manière que dans celle du relevé transmis par Heeney.
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[17]
Du point de vue de la défense du Canada, voir C.P. Stacey, Histoire officielle de la participation de l’armée canadienne à la Seconde Guerre mondiale, volume I. Six années de guerre : l’armée au Canada, en Grande-Bretagne et dans le Pacifique, Ottawa, Imprimeur de la reine, 2e éd. rev. et corr., 1966, p. 75-82 ; Yves Tremblay, « L’instruction des officiers canadiens après mai 1940 », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 229, mars 2008, p. 79-102. Point de vue politique dans J.L. Granatstein, The politics of Mackenzie King government, 1939-1945, Toronto, University of Toronto Press, 1990 (1975), chap. 3.
-
[18]
Ministère de la Défense nationale, Direction Histoire et patrimoine, 2002/17, boîtes 125, dossiers 14 et18. et 126, dossiers 2 et 3. Il s’agit des diverses versions du plan de mobilisation rédigées entre février et août 1939. Pour le contexte dans lequel s’inscrivent ces plans, voir Roger Sarty, « Mr. King and the armed forces », dans Norman Hillmer et coll. (dir.), A country of limitations : Canada and the world in 1939/Un pays dans la gêne : le Canada et le monde en 1939, Ottawa, Comité canadien d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, 1996, p. 217-246.
-
[19]
Chiefs of Staff Committee, « Canada’s national effort (Armed Forces) in the early stages of a major war », 29 août 1939, document classé « SECRET », dactylographié, 13 p. (DHP, 2002/17, boîte 125, dossier 18, l’exemplaire n° 1 qui portent les signatures originales des trois chefs d’état-major).
-
[20]
Malgré tout, King est furieux que le plan de mobilisation prévoie un corps expéditionnaire, lui qui espérait un engagement uniquement aérien et naval (Roger Sarty, loc. cit., p. 235).
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[21]
Trad. libre. Cité par J.L. Granatstein, Makenzie King, his life and world, Toronto, McGraw-Hill Ryerson, 1977, p. 138. Cité dans une traduction différente par C.P. Stacey, Armes, hommes et gouvernements : les politiques de guerre du Canada 1939-1945, Ottawa, ministère de la Défense nationale, 1970, p. 438.
-
[22]
Site internet de BAC, Journal en ligne de William Lyon Mackenzie King, entrée du 17 juin 1940, p. 3.
-
[23]
Cité par Bernard Saint-Aubin, King et son époque, Montréal, Les Éditions La Presse, 1982, p. 322.
-
[24]
C.P. Stacey, op.cit., p. 36.
-
[25]
BAC, Journal en ligne de King, 17 juin 1940, p. 4.
-
[26]
Ibid., entrée du 18 juin 1940, p. 2.
-
[27]
Ibid., p. 4.
-
[28]
BAC, Fonds Lapointe (MG27 III B 10), boîte 48, dossier 21 A.
-
[29]
Lettre de J.-F. Pouliot à Ernest Lapointe, 17 juin 1940 (BAC, Fonds Lapointe, boîte 18, dossier 47).
-
[30]
Lettre de J.-A. Crête à Ernest Lapointe, 19 juin 1940 (BAC, Fonds Lapointe, boîte 18, dossier 47).
-
[31]
Ian McKay et Jamie Swift (The Vimy trap or, how we learn to stop worrying and love the Great War, Toronto, Between the Lines, 2016, p. 125) parlent de la pétition que Raymond dépose le 9 septembre 1939 à cet effet. Elle a été réalisée par correspondance avec des signatures au bas de formules dactylographiées ou polycopiées, ou encore par lettres manuscrites répétant la formule suggérée. Environ un millier de ces pièces se trouvent dans le Fonds Lapointe (MG27 IIIB10, boîtes 23, 24 et 48). Ce livre sur la fabrication du mythe de Vimy est plus riche que le titre le suggère, en particulier sur les années King.
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[32]
John MacFarlane, op. cit., p. 175 ; Elizabeth Armstrong, « L’opinion des Canadiens français sur la guerre, janvier 1940 — juin 1941 », dans Claude Beauregard, Serge Bernier et Edwige Munn, op. cit., p. 68. Il s’agit d’une autre étude commandée par l’Institut canadien des affaires internationales, celle-ci d’abord publiée en 1942.
-
[33]
John MacFarlane, op. cit.
-
[34]
Les élections fédérales viennent d’avoir lieu et les Libéraux fédéraux ont été reportés au pouvoir avec une confortable majorité, y compris au Québec. Ils obtiennent 63 % du vote au Québec et 61 des 65 sièges (52 % au Canada avec 181 sièges sur 245) en 1940 ; ils obtiendront en 1945 encore 51 % du vote québécois (53 sièges), mais seulement 41 % dans l’ensemble du pays (121 sièges, minoritaire). L’effet de la conscription est donc relatif.
-
[35]
Le Droit, mardi 30 juillet 1940, p. 1 et 5. Ils recevront ensuite 1,30 $ puis 1,40 $ s’ils demeurent en uniforme.
-
[36]
« Le maire Houde, de Montréal, est interné », Le Droit, mardi 6 août 1940, p. 1 et 10.
-
[37]
Le Droit, mardi 6 août 1940, p. 14.
-
[38]
Le fac-similé est publié d’avance, comme dans Le Droit du 12 août 1940, p. 7. Le Droit, 9 août 1940, p. 14, insiste pour qu’on remplisse le formulaire français.
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[39]
Le Droit, 17 août 1940, p. 11. Dans la même édition, l’éditorialiste Camille L’Heureux, déplorant un affichage trop souvent unilingue, insiste à nouveau sur l’emploi du français (ibid., p. 3).
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[40]
Le Droit, mercredi 21 août 1940, p. 4.
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[41]
Le Droit, jeudi 22 août 1940, p. 8. Il semble que l’on ait manqué de formulaires à certains endroits.
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[42]
Ibid. Notez que l’un des deux événements les plus violents ayant suivi le décret pour service outre-mer du 23 novembre 1944 a aussi eu pour théâtre Drummondville avec une émeute le 24 février 1945 (Stacey, op.cit., p. 525). L’autre incident, encore plus grave, est la mutinerie à Terrace (C.-B.) le 25 novembre 1944 de trois unités de conscrits, dont une francophone (Reginald H. Roy, « From the darker side of Canadian military history : mutiny in the mountains – the Terrace incident », Canadian Defence Quarterly/Revue canadienne de défense, vol. 6, n° 2, automne 1976, p. 42-55.)
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[43]
Le Soleil, 9 août 1940, p. 9, donnant la liste des entreprises de plus de 100 employés qui optent pour le registraire in situ, comme les règlements l’autorisent. Voir aussi Le Droit du 9 août 1940, p. 9.
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[44]
Par exemple, un éditorial du Soleil du lundi 19 août 1940, p. 4.
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[45]
Elizabeth H. Armstrong, op. cit., p. 67.
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[46]
Le Droit, 23 août 1940, p. 14.
-
[47]
Selon Elizabeth H. Armstrong (op. cit., p. 68-69), peu de leaders d’opinion ont pris la défense de Houde hormis René Chaloult, Philippe Hamel et Paul Bouchard, et hormis Le Devoir, L’Éclaireur de Beauceville et L’Avenir du Cap de Cap-de-la-Madeleine.
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[48]
Le Soleil, mardi 20 août, p. 3 et 5. Voir aussi les p. 1, 2 et 4 pour un compte rendu des opérations régionales, et l’édition du lendemain 21 août (p. 1, 7 et 17-18) pour les résultats presque finaux.
-
[49]
Le Soleil, jeudi 22 août 1940, p. 3 et 5.
-
[50]
Ibid., p. 4.
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[51]
Department of National War Services et Dominion Bureau of Statistics, « National registration, August, 1940 – Preliminary statistical tabulations », dactylographié, 28 mars 1941, i-44 p. Exemplaire dans le Fonds I.A. Mackenzie (BAC, MG27, IIIB5), boîte 84.
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[52]
Éditorial d’Omer Héroux, Le Devoir, 12 août 1940, p. 1. Voir aussi les éditions des 15, 16 et 17 août pour les préparatifs de l’inscription, chaque fois l’occasion de critiques. Une publicité gouvernementale demandant des volontaires pour les 19-21 août est publiée dans l’édition du 15 août (p. 6). C’est remarquable, car l’on est seulement quatre jours avant le début de l’inscription.
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[53]
Je fais écho aux remarques déjà anciennes de Mason Wade (The French Canadians 1760-1945, Londres, Macmillan, 1955, p. 781) sur l’isolationnisme canadien-français. René Durocher parle « d’isolationnisme typiquement américain des Canadiens français » (« Le Québec en 1939 », dans N. Hillmer et coll. (dir.), A country of limitations, op. cit., p. 139).
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[54]
Le Devoir, 20 août 1940, p. 1. L’article, de la rédaction du journal, n’est pas signé.
-
[55]
M.H., « En marge de l’enregistrement », Le Devoir, 26 août 1940, p. 1.
-
[56]
Dans BAC, Fonds Lapointe, boîte 19, dossiers de lettres de particuliers 51, 52 et 52 A ; boîte 23, dossier 79 B, lettres et pétitions contre la guerre et la participation du Canada.
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[57]
Citation apparaissant sur la plaque commémorative officielle fixée sur sa maison de Limoilou, qu’on peut lire en zoomant l’image de l’article « Chaloult, René », Wikipédia français, page consultée le 11 mai 2017.
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[58]
Sur ce parti nationaliste éphémère auquel on a attaché trop d’importance, voir Paul-André Comeau, Le Bloc populaire, 1942-1948, 2e éd., Montréal, Boréal, 1998 (1982), 478 p.
-
[59]
Fonds Lapointe (BAC, MG27, III B 10), boîte 15, dossier 30, lettre de René Chaloult à Paul-E. Gagnon, 15 août 1940. Avec les fautes. John MacFarlane cite la phrase sur l’impérialisme dans sa biographie de Lapointe (op. cit., p. 175). L’idée d’une complicité anglo-juive anti-Québec se trouve encore chez André Laurendeau en 1962 (La crise de la Conscription 1942, Montréal, Les Éditions du Jour, 1962, p. 137).
-
[60]
« Si le peuple du Canada vote jamais pour le service militaire obligatoire outre-mer, que le gouvernement soit prêt à la guerre civile. » Cité par Richard Jones, dans Jean Hamelin (dir.), Histoire du Québec, Saint-Hyacinthe et Toulouse, Édisem et Édouard Privat, 1976, p. 470. L’affaire est résumée par A. Laurendeau, op. cit., p. 131-135.