Hors-dossierChronique d’histoire parlementaire

Le mythe de la « taxe de Bienvenue »[Record]

  • Frédéric Lemieux

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  • Frédéric Lemieux
    Historien, service de la recherche, Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec

L’achat d’une nouvelle propriété est un moment heureux qui entraîne de nombreuses dépenses connexes. La fameuse « taxe de bienvenue » est certainement celle qui soulève le plus d’interrogations en raison de son ironie plus ou moins prisée. Pourquoi lui avoir donné pareil nom ? Et qui a eu la brillante idée de l’inventer ? C’est le 23 décembre 1976 qu’est sanctionnée la Loi autorisant les municipalités à percevoir un droit sur les mutations immobilières. Cette mesure du gouvernement péquiste de René Lévesque permettait aux municipalités d’augmenter leurs revenus par la perception de droits chaque fois qu’une propriété était achetée sur leur territoire. Avec le temps, elle a fini par être appelée ironiquement « taxe de bienvenue » par bon nombre de gens. De là, un glissement dans la graphie s’est opéré pour en attribuer la paternité à Jean Bienvenue, ministre dans le gouvernement libéral de Robert Bourassa (1970-1976). Nous avons distingué dans les textes quatre variantes de cette légende douteuse, mais persistant depuis plus de 40 ans dans la croyance populaire. Jean Bienvenue aurait donc : 1) parrainé cette loi en Chambre, 2) fait adopter cette loi en Chambre, 3) suggéré sa création à ses collègues ministres, ou, 4) simplement recommandé son adoption. Dans cet ordre, nous allons démontrer que ces affirmations ne constituent qu’un mythe tenace. Premier élément fondamental, Bienvenue est défait aux élections du 15 novembre 1976 qui portent le Parti québécois au pouvoir. Il n’a donc pu ni parrainer ni faire adopter cette loi en Chambre. Elle sera plutôt l’oeuvre du nouveau ministre des Affaires municipales, Guy Tardif, qui la parraine jusqu’à son adoption à l’Assemblée nationale le 22 décembre 1976. Cette réalité met à mal les deux premières interprétations, mais nous ne pouvons en rester là. En effet, il arrive souvent qu’un mythe change de forme après avoir été réfuté. Une de ces mutations veut que Jean Bienvenue ait suggéré l’idée de cette loi sans nécessairement avoir participé activement à son élaboration. Remontons dans l’histoire pour examiner plus longuement cette troisième interprétation reprise et propagée, à l’automne 2016, entre autres, par L’actualité. Au début des années 1970, la question des champs de taxation municipaux était un enjeu important. Les maires proposaient au gouvernement Bourassa de permettre aux villes d’imposer un pourcentage de taxes sur les mutations immobilières pour obtenir davantage d’autonomie fiscale. Cette suggestion aurait-elle été débattue au Conseil des ministres ? Bienvenue, qui en faisait partie, aurait-il pris part à ces échanges au point d’être réputé à l’origine de cette future loi ? Aucun élément ne permet de l’affirmer. À l’Assemblée nationale, Bienvenue n’est pas membre de la Commission permanente des affaires municipales où pourraient se discuter de telles mesures. Il n’a jamais non plus été titulaire des ministères responsables à ce chapitre, soit ceux des Finances, des Affaires municipales ou du Revenu. C’est en mai 1976 que Raymond Garneau, ministre des Finances et collègue de Bienvenue, annonce dans le discours sur le budget que leur gouvernement déposera bientôt un projet de loi donnant aux municipalités « le pouvoir de lever des droits sur les transferts d’immeuble ». Jean Bienvenue n’est sûrement pas au courant de cette annonce en raison d’une règle sacrée en politique : afin d’éviter les fuites, les mesures contenues dans le budget sont confidentielles jusqu’à leur dévoilement par le ministre des Finances. Monsieur Garneau nous confirme d’ailleurs qu’elles n’étaient pas discutées au Cabinet et que, de plus, Jean Bienvenue, alors ministre de l’Éducation, n’avait pas à être informé d’un sujet qui ne le concernait pas. À part Garneau, …

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