Dossier : Francofugies et francopétiesArticles

Nationalismes périphériques, ethno-nationalisme canadien et chronologie : aux origines du communautarisme acadien[Record]

  • Joel Belliveau

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  • Joel Belliveau
    Université laurentienne

De nombreux auteurs ont déjà observé, utilisant des concepts variés, que les Acadiens, parmi toutes les minorités linguistiques du continent, ont l’une des identités collectives les plus affirmées. Retenons pour l’instant la « cartographie mentale alternative » du fait français en Amérique du Nord proposée par Joseph Yvon Thériault en 2008. Celle-ci est structurée autour de deux axes, représentant chacun un continuum distinct, qui divisent les multiples réalités francophones minoritaires du continent en quatre tableaux, désignant autant de types de minorités (voir figure 1). Selon l’évaluation de Thériault, les communautés acadiennes (tant celle du Nouveau-Brunswick que celles des autres provinces maritimes et des Cajuns louisianais) seraient caractérisées par un plus haut degré de communautarisme que les autres francophonies minoritaires. Il existe effectivement au sein des communautés acadiennes un discours communautaire (le plus souvent désigné comme étant « national ») cohérent, présentant une identité culturelle forte ainsi qu’une mémoire bien définie, auquel s’identifie une portion substantielle de la population. Ce sentiment communautaire fort peut même sembler aller de soi lorsqu’on est dans les régions acadiennes des Maritimes, où l’on en retrouve constamment des signes (drapeaux, décorations aux motifs du drapeau, festivals et autres manifestations culturelles, médias et discours médiatiques, institutions communautaires, valorisation élevée du bilinguisme officiel et du principe de la « dualité linguistique », etc.). Pourtant, une telle affirmation communautaire est loin d’être inéluctable chez les minorités linguistiques, et n’existe pas partout avec une pareille force. Comment expliquer un tel état de fait ? Des événements clés dans l’histoire acadienne peuvent-ils nous aider à mieux comprendre cette particularité ? Cette dernière représente-t-elle un héritage issu d’expériences très spécifiques ? Dans cet article, nous arguerons que si les Acadiens ont une conception de soi – comme groupe – et une conception du monde – plus communautariste que celles de la majorité des autres minorités linguistiques historiques du continent, c’est dû au fait qu’ils ont développé une référence nationale bien définie qui est antérieure à la première affirmation d’un nationalisme se voulant pancanadien. Ce communautarisme acadien a très probablement des causes multiples. On pourrait citer la géographie, par exemple. Bien que les discours sur les Acadiens aient tendance à faire grand cas de leur dispersion, en réalité, ceux qui demeurent dans les provinces maritimes occupent des régions relativement compactes, au sein desquelles la plupart d’entre eux sont majoritaires ou paritaires, du moins au Nouveau-Brunswick. Ceci contraste avec la situation de la plupart des communautés francophones de l’Ontario ou de l’Ouest. Parmi les autres sources possibles du communautarisme acadien, il y a aussi, bien sûr, la nature dramatique de la déportation des Acadiens de 1755-1758, événement qui s’est bien prêté – et se prête encore bien – aux efforts de nation-builders de tout acabit. Cela dit, les discours particularisants entourant l’acadianité ont quand même dû être diffusés et popularisés avec succès, ce qui, en milieu nord-américain, est loin d’avoir été une évidence, peu importe le nombre de conditions favorables. Pourrait-il y avoir des facteurs conjoncturels ayant favorisé la diffusion de cette identité collective et l’adhésion à celle-ci ? Puisant dans une thèse du sociologue espagnol Juan Linz, j’avancerai ici que la propension acadienne au communautarisme tient, en partie, à la chronologie et au timing du développement du discours nationaliste acadien. Linz, se basant sur ses observations et analyses des nationalismes périphériques en Europe, en est venu à présenter le xixe siècle comme le théâtre d’une véritable « course » à la construction nationale, course remportée le plus souvent par l’État (et les élites qui lui sont liées), mais parfois par des élites régionales. L’originalité de la thèse …

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