Dossier : La représentation en Nouvelle-FranceArticles

Présence et fonctions symboliques des portraits du monarque dans les intérieurs domestiques en Nouvelle-France[Record]

  • Pierre-Olivier Ouellet

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  • Pierre-Olivier Ouellet
    Ph.D., Professeur associé, Département d’histoire de l’art, UQAM

Dans sa thèse soutenue à l’École des Chartes (France) et publiée en 1930 sous le titre Les lettres, les sciences et les arts au Canada sous le régime français, l’historien Antoine Roy (1905-1997) proposait une première histoire culturelle de la Nouvelle-France. Il ouvrait également un volet de l’histoire de l’art consacré au goût des particuliers qui possédaient des oeuvres d’art sous le Régime français. L’auteur mettait alors en évidence le fait qu’à cette époque, « L’Église n’exerçait aucun monopole [sur les arts]. Elle n’empêchait aucunement les laïques d’aimer les tableaux et d’en posséder. » Pour alimenter ses réflexions et sa démonstration, l’historien énumérait quelques cas tirés d’actes notariés (fonctionnaires, marchands, etc.), mettant au jour un nombre considérable d’objets d’art et de sujets, pavant ainsi la voie aux recherches subséquentes. Dans la lignée de Roy, les études menées au cours des dernières années allaient notamment permettre de comprendre le marché et la circulation des objets d’art dans la vallée laurentienne et de déterminer quelles étaient la quantité et la nature de ceux-ci chez les particuliers de la colonie. De même, de manière plus globale, l’importante synthèse dirigée par l’historien de l’art Laurier Lacroix allait offrir un regard renouvelé sur cette période, nous permettant d’élaborer, maintenant, des recherches plus spécifiques sur certains aspects artistiques d’alors. À cet égard, en plus des informations statistiques pouvant être tirées des sources premières – au cours de nos recherches, nous avons recensé 2056 objets d’art dans 242 documents, principalement des inventaires après décès datés entre 1640 et 1759 – nous constatons qu’émerge une véritable culture des images, comprise comme « une totalité complexe faite de normes, d’habitudes, de répertoires d’action et de représentations, acquises par l’homme en tant que membre d’une société. » L’étude particulière des portraits du roi, présentés dans les intérieurs domestiques des laïcs en Nouvelle-France, permet d’interroger cette culture, dont certains volets touchent directement les domaines du politique et du pouvoir. La plus évidente manifestation de cette réalité concerne les représentations des rois de France qui, associés à notre période, sont ceux de Louis XIV (1638-1715) et de Louis XV (1710-1774). Sans nécessairement offrir ici un rappel spécifique de leurs règnes distincts et sur lesquels, par ailleurs, existe une abondante littérature, rappelons surtout que différentes recherches ont bien mis en évidence la directe corrélation entre le roi et l’État. Il suffit de rappeler la célèbre formule de Louis XIV : « L’État, c’est moi ». Mais, plus encore, sous Louis XIV s’opère un changement de la relation à l’image royale qui va aussi se perpétuer sous le règne de son arrière-petit-fils. De fait, par l’ostentation du corps du prince, rendu public et dont on diffuse les différents rites célébrés à la cour, la construction de la représentation impliquera le recours aux nombreuses formes visuelles. On assiste dès lors à la propagation et à la mise en scène du portrait du roi, parfois à outrance comme c’est le cas à Versailles, auxquels s’ajoute un contrôle des productions artistiques : en 1664, un ministère est effectivement créé afin de veiller à la fabrication d’images royales favorables à la sacralisation et à la consolidation du pouvoir de la couronne. En plus de ces facteurs spécifiques, soulignons l’apport d’autres études qui ont permis de rendre compte de la relation étroite entre le roi et son portrait comme substitut, ouvrant ainsi tout horizon d’interprétations. Il reste toutefois que si cet aspect a bien été examiné dans le contexte français d’Ancien Régime, la présence en Nouvelle-France de ces images dans les intérieurs domestiques, ainsi que …

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