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Dans sa thèse soutenue à l’École des Chartes (France) et publiée en 1930 sous le titre Les lettres, les sciences et les arts au Canada sous le régime français, l’historien Antoine Roy (1905-1997) proposait une première histoire culturelle de la Nouvelle-France. Il ouvrait également un volet de l’histoire de l’art consacré au goût des particuliers qui possédaient des oeuvres d’art sous le Régime français. L’auteur mettait alors en évidence le fait qu’à cette époque, « L’Église n’exerçait aucun monopole [sur les arts]. Elle n’empêchait aucunement les laïques d’aimer les tableaux et d’en posséder.[1] » Pour alimenter ses réflexions et sa démonstration, l’historien énumérait quelques cas tirés d’actes notariés (fonctionnaires, marchands, etc.), mettant au jour un nombre considérable d’objets d’art et de sujets, pavant ainsi la voie aux recherches subséquentes.
Dans la lignée de Roy, les études menées au cours des dernières années allaient notamment permettre de comprendre le marché et la circulation des objets d’art dans la vallée laurentienne[2] et de déterminer quelles étaient la quantité et la nature de ceux-ci chez les particuliers de la colonie[3]. De même, de manière plus globale, l’importante synthèse dirigée par l’historien de l’art Laurier Lacroix allait offrir un regard renouvelé sur cette période[4], nous permettant d’élaborer, maintenant, des recherches plus spécifiques sur certains aspects artistiques d’alors. À cet égard, en plus des informations statistiques pouvant être tirées des sources premières – au cours de nos recherches, nous avons recensé 2056 objets d’art dans 242 documents, principalement des inventaires après décès datés entre 1640 et 1759[5] – nous constatons qu’émerge une véritable culture des images, comprise comme « une totalité complexe faite de normes, d’habitudes, de répertoires d’action et de représentations, acquises par l’homme en tant que membre d’une société[6]. »
L’étude particulière des portraits du roi, présentés dans les intérieurs domestiques des laïcs en Nouvelle-France, permet d’interroger cette culture, dont certains volets touchent directement les domaines du politique et du pouvoir. La plus évidente manifestation de cette réalité concerne les représentations des rois de France qui, associés à notre période, sont ceux de Louis XIV (1638-1715) et de Louis XV (1710-1774)[7]. Sans nécessairement offrir ici un rappel spécifique de leurs règnes distincts et sur lesquels, par ailleurs, existe une abondante littérature, rappelons surtout que différentes recherches ont bien mis en évidence la directe corrélation entre le roi et l’État. Il suffit de rappeler la célèbre formule de Louis XIV : « L’État, c’est moi[8] ». Mais, plus encore, sous Louis XIV s’opère un changement de la relation à l’image royale qui va aussi se perpétuer sous le règne de son arrière-petit-fils. De fait, par l’ostentation du corps du prince, rendu public et dont on diffuse les différents rites célébrés à la cour, la construction de la représentation impliquera le recours aux nombreuses formes visuelles[9]. On assiste dès lors à la propagation et à la mise en scène du portrait du roi, parfois à outrance comme c’est le cas à Versailles, auxquels s’ajoute un contrôle des productions artistiques : en 1664, un ministère est effectivement créé afin de veiller à la fabrication d’images royales favorables à la sacralisation et à la consolidation du pouvoir de la couronne[10]. En plus de ces facteurs spécifiques, soulignons l’apport d’autres études qui ont permis de rendre compte de la relation étroite entre le roi et son portrait comme substitut[11], ouvrant ainsi tout horizon d’interprétations. Il reste toutefois que si cet aspect a bien été examiné dans le contexte français d’Ancien Régime, la présence en Nouvelle-France de ces images dans les intérieurs domestiques, ainsi que les fonctions rattachées à ces représentations du roi, demeure un aspect fort peu connu de la réalité coloniale.
À l’aune de ces premières constatations, nous proposons donc un examen des données recueillies en fonction de cette principale question : les portraits du monarque sont-ils révélateurs du statut et des relations au pouvoir des propriétaires de ces oeuvres ? Nous porterons ainsi notre attention sur ces objets, sur les espaces domestiques ainsi que sur leurs possesseurs. Nous relèverons de plus certaines pratiques et quelques usages associés à ce type d’oeuvres, tels que décelés dans ce que nous pourrions considérer comme des cadres normatifs intégrés par la société des XVIIe et XVIIIe siècles. Débutons néanmoins par quelques informations sommaires sur les portraits royaux retrouvés chez les laïcs afin de restituer une image générale du corpus de référence.
Présence des portraits du roi dans les intérieurs domestiques
Le roi Louis XIV a vu son effigie circuler dans tous les recoins de la France. Déjà consacré comme une figure omniprésente du royaume – l’historien de l’art Emmanuel Coquery évaluait entre 200 et 700 le nombre de représentations peintes et gravées du souverain au cours de son règne[12] – Georges Wildenstein affirmait, de plus, que « les portraits de Louis XIV [étaient] innombrables[13] » dans les intérieurs domestiques des bourgeois parisiens vers 1700. Bien que laissant présager une forte présence des représentations du monarque en Nouvelle-France, ces informations ne reflètent toutefois pas la réalité coloniale en Amérique du Nord. De fait, chez les particuliers de la colonie française, seulement quatorze effigies du Roi-Soleil ont été recensées entre 1670 et 1756. La majorité des oeuvres (12) ont d’ailleurs été inventoriées après le règne de Louis XIV, comme c’est le cas en 1753 au décès du marchand Paul Guillet (1690-1753). Le notaire Louis-Claude Danré de Blanzy note alors la présence d’une oeuvre dont la description laisse deviner qu’elle n’est pas récente : « un Tableau avec Son cadre doré En mauvais État representant Louis quatorze en bas age[14] ».
Le portrait du souverain Louis XV jouissait-il, pour sa part, d’une présence plus enviable dans les habitations en Nouvelle-France ? En nous fiant à nouveau à l’étude de Wildenstein, il semble qu’à Paris, dans la première moitié du XVIIIe siècle, on recensait peu d’oeuvres représentant le nouveau monarque dans les domiciles[15]. La situation n’est pourtant pas tout à fait la même en Nouvelle-France. En effet, 41 oeuvres à l’effigie du Bien-Aimé sont inventoriées entre 1726 et 1759[16], en particulier au cours des décennies 1740 (avec 20 portraits) et 1750 (12 portraits), laissant entendre un accroissement du nombre de portraits du monarque dans les dernières années de la colonie française.
Cette singulière différence de popularité, voire ce renversement face à la situation française, s’explique en partie par notre échantillon et le contexte colonial. De fait, la majorité des pièces notariées analysées pour cette étude ont été rédigées au XVIIIe siècle, en particulier dans les trois décennies qui précèdent la Conquête. Cette situation n’est pas surprenante étant donné que l’effort de colonisation ne débute réellement qu’à la prise en charge par le roi Louis XIV en 1663. La population, qui était estimée à peine à 240 personnes en 1641, passe à 6 282 en 1668. Au XVIIIe siècle, le nombre d’habitants augmente de manière importante et constante. En effet, évaluée à 16 417 âmes en 1706, la population atteint 42 701 personnes en 1739, puis 80 000 en 1758. Il est donc normal que la plupart des évaluations quantitatives suivent en quelque sorte la croissance démographique de la colonie et qu’incidemment, celle-ci explique partiellement un nombre plus important de portraits du roi Louis XV peu de temps avant la Conquête.
Cela étant dit, malgré cette augmentation notable dans les vingt dernières années de la colonie, peu de représentations des rois sont notées – recensées, du moins – dans les intérieurs domestiques à l’époque de la Nouvelle-France. Au total, seulement 55 oeuvres de ce sujet ont été décelées entre 1670 et 1759. En comparaison, à partir de l’échantillon complet de 242 pièces notariées, 512 objets d’art à sujet religieux ont été dénombrés chez les laïcs de la Nouvelle-France, pour une moyenne générale d’un peu plus de 2 représentations par domicile. Plus encore, les paysages, au nombre de 104, s’avèrent même quantitativement plus nombreux que l’effigie du roi. Mais, contrairement à ce dernier genre dont les oeuvres s’avèrent fréquemment regroupées chez quelques particuliers – par exemple, en juillet 1669, l’inventaire des biens du chirurgien Jean Madry (1625-1669) révèle un ensemble de « neuf tableaux representant des paysages bordes de bois doré en velin[17] » – il est plutôt rare que le portrait du roi soit autant concentré en plusieurs exemplaires chez les propriétaires laïcs. De fait, les 55 oeuvres du corpus ont été recensées chez 42 individus distincts, nobles et roturiers, démontrant une diffusion plus générale. De plus, le portrait du roi est souvent accompagné de celui de la reine, en particulier Marie Lesczcynska (1703-1768), épouse de Louis XV. Son effigie est répertoriée à 29 occasions entre 1726 et 1759, tandis qu’une seule image de Marie-Thérèse d’Autriche (1638-1683), épouse de Louis XIV, a été recensée en 1670[18]. Dans tous les documents consultés, à une exception près[19], le portrait de la reine forme une paire avec celui du roi, le couple royal étant ainsi recomposé dans les intérieurs domestiques.
Usages et fonctions symboliques des portraits du roi
Bref, sans être d’une présence prépondérante, le roi prend place dans nombre de domiciles par son image. Il reste toutefois à déterminer qui désire se gratifier de cette représentation et dans quelle perspective ? En effet, si le tableau religieux se comprend généralement comme un signe de dévotion et permet de déduire certains comportements comme la prière, le portrait du roi engage nécessairement à ses propres considérations spécifiques, induites par certains discours, des consensus culturels, voire différents habitus[20] de la part des particuliers qui possèdent des oeuvres d’art.
Les XVIIe et XVIIIe siècles sont, à cet effet, marqués par la mise en place de conventions très strictes en France. Dans une logique de régulation de la collectivité et de ses pratiques, le processus de civilisation de cette époque – décrit et analysé par Norbert Elias[21] – produit des compétences psychologiques spécifiques, notamment par la rationalisation des affects et l’incorporation des règles de civilité, réglant de plus en plus différents aspects de la vie quotidienne. Dans cette optique, soulignons que l’étiquette implique même un comportement précis dans la vie aulique, en particulier en regard du portrait du roi. Ainsi, comme le révèle l’étude de Peter Burke : « Le fameux portrait du roi par Rigaud, par exemple, occupait sa place dans la salle du Trône à Versailles quand le monarque était ailleurs. Tourner le dos au portrait était un délit, au même titre que de tourner le dos au roi[22] ».
De toute évidence, l’effigie du monarque implique un comportement codifié, le tableau devenant le substitut symbolique de Sa Majesté. Mais, qu’en était-il des représentations du roi dans les espaces privés, éloignés de Versailles ? Dans le deuxième quart du XVIIIe siècle, l’encyclopédiste allemand Johann-Heinrich Zedler (1706-1751) nous renseigne à ce sujet. Il écrivait qu’ « il faut éviter de s’asseoir en lui présentant son dos [au portrait du roi], et personne, à l’exception des ambassadeurs, n’a le droit de paraître la tête couverte dans une salle où il y a un portrait du souverain[23] ». Ainsi, selon les propos de Zedler, la représentation du roi impose un comportement approprié, même dans les demeures privées. Cette manière d’agir, inscrite dans la réalité du Saint-Empire romain germanique, est reconnue en France, sans toutefois être appliquée automatiquement par ses sujets. Du moins, c’est ce que nous révèle le Traité de civilité d’Antoine de Courtin (1622-1685) qui indique : « Il y en a même qui ayant appris le raffinement de la civilité dans quelque païs étranger, n’osent en compagnie ni se couvrir, ni s’asseoir le dos tourné au portrait de quelque personne de qualité éminente.[24] » Bien que ce comportement décrit par l’auteur ne soit pas systématique et usité par tous, il permet néanmoins de saisir une forme de respect dans les demeures privées lorsque les gens sont « en compagnie », la présentation du portrait impliquant une représentation civile de soi auprès de la société. Autrement dit, si l’intention respectueuse de l’individu peut être honnête et toute personnelle, elle est en même temps conditionnée par une éducation conventionnée, puis n’est véritablement affectée que dans un cadre ostentatoire. Sans vouloir simplifier ou cloisonner le rapport au portrait du roi, dans certains cas, un public semble donc s’avérer essentiel à l’engagement effectif d’un comportement devant l’image du monarque.
Ce comportement apparent, fait pour être montré, peut se comprendre dans la mesure où le roi ne réfère pas à une figure intime, connue personnellement, mais à une figure publique. De plus, celle-ci occupe une place particulière dans ses manifestations artistiques étant donné la charge symbolique qui lui est associée. Selon la théorie des « deux corps » du roi, le portrait constitue plus qu’une représentation d’un individu : comme personne publique, la figure du roi est aussi indissociable de l’image du pouvoir royal, voire de l’État. Dans son Discorso publié en 1582, Gabriele Paleotti (1522-1597) énonce clairement les grandes lignes de la distinction des « deux corps » du souverain : « Les princes chrétiens, que Dieu a placés à leur rang comme des lois vivantes et des instruments de la justice et sagesse divines pour le gouvernement des peuples, portent deux personnes ensemble : une personne publique, et une personne privée[25] ». Comme personne publique, le roi représente symboliquement les lois, la justice, le pays… et c’est cette personne publique que représente l’effigie du roi, et ce, autant dans les intérieurs domestiques que dans tout autre lieu.
Différentes pratiques publiques associées à l’effigie du monarque découlent de cette acceptation symbolique. Par exemple, la création d’une place royale dans la Basse-Ville de Québec en 1686 illustre bien la conception politique du portrait, et ce, vingt ans après la reprise en main de la colonie par le souverain. En effet, à la suite de l’incendie qui a dévasté la Basse-Ville (1682), l’intendant Jean Bochart de Champigny (1645-1720) décide de transformer une simple place de marché en place royale par la mise en exposition publique du buste du roi Louis XIV[26]. La situation élevée de la place par rapport au fleuve et la proximité du port se prêtent bien au dispositif de propagande, lié au désir non dissimulé, comme l’écrit Champigny dans sa correspondance, « de donner une idée du Roy à quantité de sujets qui étaient privés de le voir[27] ». La pratique répond bien, alors, à l’idée véhiculée par Le Mareschal dans ses Réflexions sur le portrait du Roy publiées en 1682, lequel présente le portrait du roi tel un spectacle utile : « Tous les Français animés les uns par la vue de sa personne et les autres, par celle de son portrait, seront engagés à l’honorer par devoir, à l’aimer pour ses vertus, et à souhaiter sa conservation pour leur propre gloire et la grandeur de leur empire[28] ».
Les réflexions dues à la plume de Le Mareschal donnent une lecture officielle de l’image où, en plus de devoir être traité avec respect, le portrait du monarque sert définitivement à nourrir les sentiments de loyalisme et de patriotisme. En quelque sorte, ces mêmes aspects peuvent être associés aux portraits du roi conservés chez les particuliers. Au même titre que les autres regalia (couronne, sceptre, etc.), le portrait constitue ainsi un insigne du pouvoir qui doit être respecté et révéré[29]. De fait, comme l’explique le jésuite français Louis Richeome (1544-1625), promoteur de la Contre-Réforme et auteur de nombreux ouvrages dont les Trois discours pour la religion catholique, des miracles, des saincts, & des images (1597), la représentation du roi confère un honneur à l’image :
[…] l’Image n’est vrayement de foy capable d’honneur : mais en tant qu’elle represente ce qui est digne d’honneur, elle en est capable. Un Ambassadeur du Roy quand il seroit le plus petit compagnon du Royaume, & de la personne indigne d’honneur, toutes fois en qualité d’Ambassadeur, il doit estre honoré, par-ce qu’il represente le Roy. Tout de mesme, le sceptre, la couronne, les lettres du Prince sont choses sans ames, & neanmoins honorables, a cause du rapport qu’elles ont au Prince.[30]
Objet respectable, dont la valeur symbolique est issue du sujet représenté, le portrait du roi constitue alors un support essentiel à la représentation de la France et du pouvoir d’institution, d’autorisation et de légitimation. En quelque sorte, ce respect semble trouver un écho chez les particuliers, notamment dans le fait que la valeur pécuniaire des portraits du roi se trouve particulièrement plus élevée que les autres sujets de représentation recensés en Nouvelle-France. De fait, de manière globale, les oeuvres religieuses sont estimées en moyenne à six livres et six sols, sans distinction de leur technique, et les paysages à deux livres et seize sols. En comparaison, les portraits du roi sont estimés, pour l’ensemble du corpus, à huit livres et huit sols. La forte valeur symbolique du sujet représenté semblerait alors rejoindre une évaluation monétaire élevée. Mais, plus spécifiquement, ces informations révéleraient surtout une volonté – et une capacité – de certains propriétaires de ces portraits à posséder des oeuvres qui seraient plus onéreuses. C’est le cas, par exemple, d’un grand et luxueux « tableau representant Louis quinze a cheval avec son cadre doré[31] », appartenant au secrétaire du gouverneur, Jacques de Lafontaine de Belcour (1704-1765), et qui est estimé à la coquette somme de soixante livres.
De toute évidence, puisque les habitants de la colonie n’ont pas l’obligation d’avoir un portrait du roi dans leur demeure et qu’ils doivent débourser une somme personnelle pour l’obtenir, certains propriétaires de ces oeuvres les considèrent comme dignes de cet investissement. Il reste toutefois qu’il existe certaines distinctions notables dans la valeur des portraits selon les catégories professionnelles de leurs propriétaires. Par exemple, seize des quatre-vingts marchands de notre étude accrochent un portrait du roi au mur de leur domicile[32]. Déjà moins présent statistiquement chez les marchands que chez les militaires – pour ces derniers, sur quarante individus, dix possèdent l’effigie du monarque –, ces portraits du roi présentent de plus une valeur estimée bien moindre. De fait, en moyenne, ils ne valent que cinq livres et quatorze sols chez les commerçants, par rapport à neuf livres et dix-neuf sols chez les militaires. La différence dans l’évaluation monétaire de l’effigie[33], voire dans l’investissement financier pour l’obtention de l’objet d’art en question, marque en soi une distinction. Pouvant être compris comme un témoignage de son loyalisme, cet investissement ne nous semble toutefois pas être à sens unique. Autrement dit, l’achat d’un tableau représentant le roi ne sert pas seulement, à notre avis, à souligner l’importance du souverain. Le portrait du monarque peut également servir, pour son propriétaire, à mettre en valeur son statut et sa propre représentation dans la société.
À cet égard, il s’avère révélateur que nombre d’images du roi soient la propriété personnelle de membres de l’administration civile ou militaire, intimement liée au service de Sa Majesté. C’est le cas, notamment, de certains grands notables de la Nouvelle-France, soit le gouverneur général et l’intendant, lesquels occupent les rôles les plus prestigieux de la colonie. Même s’il n’existe souvent aucune trace des oeuvres qu’ils possédaient lors de leur passage en Amérique française[34], nous savons, par exemple, qu’au moment de la saisie des biens de l’intendant Claude-Thomas Dupuy (1678-1738) en 1728 – lequel avait accumulé pour plus de 65 000 livres de dettes en 25 mois de séjour au Canada[35] –, certains objets lui sont laissés, dont un buste de madame Dupuy, un tableau de famille et un buste du roi en marbre[36]. Quelques années plus tard, en 1731, la vente aux enchères de ses biens révèle qu’il possédait, de plus, une autre représentation du roi, comme en fait mention cet extrait du procès-verbal : « Deux tableaux un du Roy L’autre de la Reine estimés quinze livres la piece[37] ».
La présence des représentations du monarque parmi les biens des intendants s’explique bien dans la mesure où, dans leurs fonctions, ils sont reconnus comme « l’oeil et la main du roi[38] », pourvu de pouvoirs civils importants. Comme le mentionnent les historiens Gilles Havard et Cécile Vidal :
[l’intendant] veillait à l’application des lois et, présidant le Conseil souverain ou supérieur, faisait figure de « chef suprême de la justice ». Dispensateur des deniers royaux, y compris pour les dépenses militaires, il constituait le personnage le plus influent de la vie coloniale[39].
Possédant un pouvoir réel très important, l’intendant devait donc également soutenir une image appropriée avec la dignité qui incombe à un représentant du roi, et ce, dans une société d’apparat[40].
Également à la tête de la Nouvelle-France se trouve le gouverneur général, ayant le rang de lieutenant général dans les armées royales. Ce poste est alors assumé par un militaire de carrière, un officier, qui doit, de surcroît, être issu d’une noblesse dont la généalogie est respectable[41]. Le gouverneur général s’occupe des questions militaires, des relations diplomatiques avec les Amérindiens et des affaires extérieures de la colonie[42]. Il dispose du prestige de sa fonction, de la complicité d’intermédiaires locaux, ainsi que de revenus substantiels, soit une somme d’au moins 30 000 livres par année[43]. De tous les gouverneurs généraux de la Nouvelle-France, seuls les biens de Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil (1643-1725), ont été inventoriés dans la colonie[44], soit au décès de celui-ci à Québec en 1725. Le militaire peut alors servir de figure de cas. Au total, huit oeuvres d’art ont été recensées dans ses deux domiciles, dont deux portraits du roi. À Québec, à la résidence officielle du gouverneur général, soit le château Saint-Louis, le notaire Jacques Barbel (1670-1740) relève la présence d’un portrait de Louis XIV, estimé à 40 livres[45]. Puis, à Montréal, au « château de Vaudreuil, rue Saint-Paul », comme l’inscrit le notaire Pierre Raimbault (1671-1740), sont recensés « Deux autres Tableaux Sans bordures Representans Le Roy Et La Reine a Dix Livres[46]. »
À l’instar de celles de l’intendant, les oeuvres du gouverneur général jouent alors un double rôle. De fait, en sachant que ces deux figures sont des personnalités publiques et qu’ils occupent chacun une résidence officielle – soit le palais de l’intendant et le château Saint-Louis, pointant par leur architecture le pouvoir royal dans la colonie –, le portrait du roi qui s’y trouve présenté, de toute évidence, dépasse le cadre privé. Faisant partie des biens particuliers de l’intendant ou du gouverneur général, l’effigie du monarque constitue non seulement une manière de rendre hommage à Sa Majesté, mais aussi de marquer l’importance auprès des visiteurs et des invités de ses propres fonctions en tant que représentant du roi dans la colonie. Après tout, comme le souligne Peter Burke, « “Représenter” signifiait aussi “remplacer quelqu’un”. En ce sens, les ambassadeurs, les gouverneurs de province et les magistrats représentaient tous Louis XIV[47] ». En effet, l’effigie du roi rappelle que ces individus sont investis d’un pouvoir par le roi, lequel exige une reconnaissance et un respect tel que manifesté, par exemple, par les règles de préséance qui favorisent ces personnages dans la société.
À l’exemple de ces individus qui constituent l’élite de la colonie, voire même peut-être par imitation – c’est-à-dire un phénomène de démarcation personnelle ancré dans la reproduction culturelle[48] –, différents militaires, membres de l’état-major, possèdent aussi des oeuvres d’art représentant le souverain. Ceux-ci, comme le décrit l’historien René Chartrand, font partie de la hiérarchie militaire qui se trouve sous l’autorité du gouverneur général :
Le gouverneur particulier [qui est supervisé par le gouverneur général] est l’officier qui commande l’administration dans une « place de guerre », c’est-à-dire d’une ville fortifiée et dotée d’une garnison qui est son lieu de résidence. […] Sous le gouverneur particulier se trouve un petit groupe d’officiers qui constituent l’état-major de la place. Il y a d’abord le « Lieutenant du Roi » ; […] cet officier assiste le gouverneur dans ses fonctions et le remplace en son absence. Le « major » se soucie d’un peu de tout dans son gouvernement, mais ce qui le préoccupe le plus est le maintien de la discipline dans les troupes de la garnison et la gestion qui entoure le logement des soldats. […]. Il est parfois aidé par un « aide-major » et même d’un « sous-aide-major » dans les villes renfermant un nombre important de soldats.[49]
Quelques représentants de l’état-major, conservés pour notre étude, possèdent au moins un portrait du roi. C’est le cas, notamment, de trois gouverneurs particuliers, à Trois-Rivières. Tout d’abord, François Provost (1638-1702) possède seulement trois oeuvres à son décès, dont « un tableau portrait du Roy En petit cadre doré Estimé vingt Livres[50]. » Pour sa part, la veuve de Louis de La Porte de Louvigny (1662-1725), présente au notaire Jacques Barbel « un tableau a Cadre doré represant Louis quatorze prisé vingt Livres[51] » en 1727. Puis, en 1748, sont dévoilées plusieurs oeuvres représentant la famille royale, dont trois portraits du roi[52], au moment de la vente aux enchères des biens de Claude-Michel Bégon (1683-1748), lequel se présente d’ailleurs comme principal propriétaire d’oeuvres d’art sous le Régime français. Ce nombre plus important de portraits du monarque s’expliquerait en partie par le fait que Bégon est issu d’une dynastie de serviteurs du roi et qu’il est notamment le fils du célèbre collectionneur Michel Bégon (1638-1710), lequel possédait, en effet, des milliers d’estampes et de nombreux tableaux[53].
Nous dénombrons ensuite un lieutenant de roi, soit François de Gannes de Falaize (1677-1746), qui possède à son décès « deux tableaux Sans Cadre dont un representant le Roy Et Lautre la reine priser Et estimer Ensemble dix livres[54] ». L’inventaire des biens dressé au décès du major de la ville de Trois-Rivières, Jacques-Charles Renaud Dubuisson (1666-1739), révèle la présence d’un portrait de Louis XIV[55]. Enfin, la veuve de Denis d’Estienne de Clérin du Bourget (1644-1719), lieutenant d’une compagnie du détachement de la Marine et aide-major de la ville et du gouvernement de Montréal, préserve également un « bien vieu » portrait du Roi-Soleil[56]. Cette concentration de l’image du monarque chez les membres de l’état-major s’avère révélatrice en considérant que des 40 militaires de notre échantillon, dix possèdent un portrait du roi. Et, de ces derniers, six font partie de l’état-major.
Tout comme ces militaires, les conseillers du roi occupent les postes les plus prestigieux dans la colonie. De fait, ils font partie de l’élite civile la plus respectable de la Nouvelle-France et sont appelés à jouer un rôle essentiel au Conseil souverain, créé en 1663, devenu le Conseil supérieur en 1702[57]. Trônant au sommet de l’organisation judiciaire, tout en constituant un lieu de politique laurentienne et de diffusion de la norme royale, le Conseil se veut une cour souveraine de justice civile et criminelle, jouant le double rôle de cour de première instance et de cour d’appel[58]. Tel que le précise l’historien W.J. Eccles, à sa création, « le Conseil Souverain [est] formé du gouverneur, de l’évêque, de cinq conseillers, du procureur général et d’un greffier. Plus tard, l’intendant y [prend] place et rapidement y [devient] la figure dominante, en dépit du fait qu’il [est] le troisième en dignité après le gouverneur et l’évêque[59] ». Le Conseil compte également un huissier, assurant l’ordre et le décorum de la cour lors des audiences, ainsi qu’un garde des Sceaux.
Les conseillers, en accédant à ce lieu, se trouvent placés dans des fonctions officielles pour le moins enviables dans la société, comme l’analyse l’historienne Marie-Eve Ouellet : « Durant tout le Régime français, le poste de conseiller au Conseil souverain demeure prestigieux et convoité par l’élite coloniale, qui y trouve une façon de s’illustrer au service du roi[60] ». L’accrochage du portrait du roi dans le domicile privé semble alors devenir, pour certains d’entre eux, un élément significatif de leur propre rôle auprès de Sa Majesté – ils sont, après tout, des « conseillers du roi », appelés directement à servir le roi. Ainsi, sans répondre à une quelconque obligation, notons que huit conseillers possèdent, au total, près du quart des portraits du roi recensés dans les intérieurs domestiques. Par exemple, François-Étienne Cugnet (1688-1751), arrivé en Nouvelle-France en 1719 et occupant le poste de directeur du Domaine d’Occident, devient membre du Conseil supérieur de la Nouvelle-France en 1730[61]. Influent et éduqué, il est même nommé au poste prestigieux de premier conseiller en 1733. En 1742, un inventaire de ses biens fait à la demande de ses créanciers révèle qu’il possède 29 oeuvres d’art dans sa maison de Québec, en plus de nombreux meubles luxueux et d’une bibliothèque de 692 ouvrages[62]. Plus encore, en entrant dans la première salle de sa maison, rue Saint-Pierre, à Québec, le notaire trouve « Un tableau, Représentans Louis quinze, avec son cadre de bois doré[63] ». À ce portrait bien mis en valeur dans sa résidence[64], s’ajoute une seconde effigie du roi « Louis Quinze, en Guerrier » dans une chambre ayant une vue sur la cour et qui renferme des objets luxueux des plus variés. Encore une fois, cet espace de présentation du portrait du souverain n’est pas anodin. Bien que lieu d’intimité, la pièce s’avère être également un lieu de réception et de loisir[65], comme en témoignent le petit trictrac ainsi que la table à quadrille garnie d’un tapis vert, prévue pour les jeux de cartes.
Dans le cas de certains autres conseillers, vivant dans des demeures beaucoup plus modestes que celle de Cugnet, ceux-ci semblent mettre en valeur l’effigie du roi par l’économie d’oeuvres présentées sur les murs de leur domicile. Ainsi, au décès de la veuve du conseiller et médecin Michel Sarrazin (1659-1734), le notaire Nicolas Boisseau (1700-1771) ne recense que « trois cadres dont deux representans le roy, et un representant la reine[66] ». De même, en 1733, le conseiller Louis-Jean Poulin de Courval (1696-1743) réside dans une demeure tout aussi dépouillée d’images et dans laquelle ne se trouve même pas un crucifix. Nous y retrouvons néanmoins le portrait du roi, de même que celui de la reine[67]. Ces deux derniers exemples rappellent que l’image du souverain, en plus de signaler sa position dans la société, possède probablement une valeur et un attachement particuliers pour leur propriétaire. À cet égard, l’examen des motifs et des discours associés à l’envoi du portrait du roi Louis XV pour la salle du Conseil supérieur permet de mieux comprendre l’intérêt porté à l’effigie du roi par les conseillers[68].
Le portrait du roi au Conseil supérieur
En 1734, le gouverneur Charles de Beauharnois de La Boische (1671-1749) et l’intendant Gilles Hocquart (1694-1783) se font les porte-parole des membres du Conseil supérieur et demandent un portrait du roi au ministre Jean Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas (1701-1781). Comme ils le mentionnent, « Le portrait de Sa Majesté sera un nouveau motif pour engager les officiers du Conseil à rendre la Justice avec Encor plus d’Exactitude s’il est possible et ne peut manquer d’augmenter le respect dû à ce Tribunal[69] ». En plus de supporter symboliquement le lien entre les décisions prises dans la lointaine colonie et le sommet de l’État, l’oeuvre donnée par le monarque lui-même deviendra ainsi une distinction honorifique pour les conseillers qui encouragera, en contrepartie et réciproquement, ceux-ci à honorer le roi dans leurs tâches.
En avril 1735, Maurepas annonce que « le Roy a bien voulu accorder le portrait de Sa Majesté[70] ». Née d’une fabrique de copies autorisées et contrôlées[71], l’oeuvre est réalisée par le peintre, copiste et marchand d’art parisien André Tramblin (1672-1742), et payée 323 livres et dix sols. Le portrait est ensuite voituré de Paris à La Rochelle et traverse l’Atlantique à bord du Héros pour atteindre Québec à l’automne 1735[72].
Les officiers du Conseil supérieur ne manqueront pas de remercier le monarque et de lui relater l’accrochage cérémonieux du tableau : « Le portrait de Votre Majesté a été placé dans le lieu le plus éminent de la salle où ils s’assemblent avec la solennité et les démonstrations de joie que peut inspirer une si auguste représentation[73] ». En quelque sorte, cette démonstration de l’assemblée formée par les conseillers envers le portrait du roi prend tout son sens lorsqu’elle est examinée à travers la pensée toute catholique formulée par le jésuite Louis Richeome. Ce dernier précise que l’honneur rendu à l’effigie :
donne tesmoignage de plus grand respect, & rend en certaine façon l’honneur plus grand, que s’il estoit faict à sa personne propre. Car souvent d’autant plus que le subjet ou l’on recognoit le Seigneur est petit, d’autant en est la signification d’honneur & d’amour plus illustre. Celuy qui baise le manteau du Roy, pour l’honneur du Roy, il faict entendre qu’il l’honore & respecte plus que s’il luy baisoit la main ; qui faict l’honneur à son Image, [honore et respecte] plus que s’il le faisoit a luy mesme [à la personne du roi][74].
En somme, presque devenue un acte de dévotion, l’interaction avec l’image du souverain se veut révélatrice d’une conduite, soit une démonstration de respect. Alors qu’elle est individualisée dans le cadre domestique, celle-ci prend un caractère collectif pour les conseillers, comme le démontre le récit de la présentation du portrait au Conseil supérieur. Ainsi, dans les intérieurs domestiques, peut-être n’est-il pas surprenant que le portrait du roi se rencontre chez les membres de ce groupe privilégié de la colonie, comme la manifestation d’un engagement et d’un affect partagés.
* * *
Dans la collection des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec sont encore conservés, de nos jours, les portraits des rois Louis XIV et Louis XV. Ils font partie, à notre connaissance, des rares effigies peintes de ces monarques qui témoignent de la présence de ces oeuvres profanes à l’époque de la Nouvelle-France, toutes les peintures de ce sujet recensées dans les inventaires des laïcs ayant disparu depuis lors. Bien que déplorable, cette dernière réalité permet néanmoins d’entreprendre une étude qui s’appuie d’abord et avant tout sur un régime de mots et non pas d’images. De fait, nous avons abordé le portrait du roi selon des critères qui débordent de l’esthétique, voire des discours légitimés sur l’art. Ainsi, au lieu de considérer l’objet d’art comme étant inscrit dans une classe où l’art est autonome, nous avons plutôt tenu compte d’autres perspectives de compréhension et de modes de perception au sein de la civilisation des XVIIe et XVIIIe siècles. L’examen du portrait du roi a, à cet égard, permis de révéler certaines pratiques et significations particulières. De fait, à la lumière de quelques normes et discours, il s’est avéré possible de comprendre l’honneur rendu au sujet de l’objet d’art qui, à cette époque, représente l’incarnation du roi et nécessite d’être respecté. Nous avons également pu constater que l’effigie du roi, revêtant une forte valeur symbolique – à laquelle se rattache, d’ailleurs, une plus importante valeur estimée dans les inventaires –, est un objet qui prend aussi tout son sens dans un cadre privé, en particulier chez certains individus qui disposent de postes administratifs de prestige dans la colonie. Ainsi, en plus de témoigner du loyalisme des conseillers et des militaires de l’état-major, voire de l’intendant et du gouverneur général, il semble que l’effigie implique une double reconnaissance, soit autant pour le sujet représenté par l’oeuvre (le souverain) que pour son propriétaire qui présente ostensiblement, de cette manière, son statut dans la colonie et son service auprès du roi.
Appendices
Notes
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[*]
Cet article scientifique a été évalué par deux experts anonymes externes, que le Comité de rédaction tient à remercier.
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[1]
Antoine Roy, Les lettres, les sciences et les arts au Canada sous le régime français, Paris, Jouve & Cie, éditeurs, 1930, p. 245.
-
[2]
Pierre-Olivier Ouellet, Circulation, usages et fonctions des oeuvres d’art par les civils et les militaires en Nouvelle-France (1608-1759), thèse de doctorat, Rennes, Université Rennes2. 2013 ; Pierre-Olivier Ouellet, « La constitution du marché de l’art et le goût au XVIIIe siècle en Nouvelle-France », Mélanges sur l’art au Québec historique, Montréal, Crilcq (collection « Interlignes »), 2009, p. 117-148, 212-216.
-
[3]
Luce Vermette, « Le décor mural dans les intérieurs montréalais entre 1740 et 1760 », La vie quotidienne au Québec : histoire, métiers, techniques et traditions, Sillery, Presses de l’Université du Québec, 1983, p. 233-245 ; Denis Martin, L’estampe importée en Nouvelle-France, thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 1990, 2 tomes ; Yvon Desloges, Une ville de locataires : Québec au XVIIIe siècle, Ottawa, Parcs Canada, 1991 ; Pierre-Olivier Ouellet, « Nature des oeuvres d’art dans les intérieurs domestiques en Nouvelle-France : étude statistique et quantitative », Revue de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, no3, 2011, p. 100-113.
-
[4]
Laurier Lacroix (dir.), Les arts en Nouvelle-France (cat.), Québec, Musée national des beaux-arts du Québec et Les publications du Québec, 2012.
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[5]
Nous avons procédé au dépouillement de 979 inventaires rédigés entre 1642 et 1759. Au total, 274 documents ont d’abord été retenus pour notre recherche. Il a toutefois été nécessaire de retrancher de ce nombre 32 inventaires qui, au final, révélaient les biens d’un même individu. Ainsi, afin de ne pas compter en double des oeuvres appartenant à une même personne, et qui étaient parfois décrites trop sommairement par les notaires, nous n’avons retenu, pour nos chiffres et pourcentages, que l’inventaire faisant mention du plus grand nombre d’objets d’art.
-
[6]
Jean-Pierre Warnier, Construire la culture matérielle. L’homme qui pensait avec ses doigts, Paris, PUF, 1999, p. 13.
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[7]
Sans négliger la régente Anne d’Autriche (1601-1666), dont nous reconnaissons toute l’importance et dont un portrait, sous forme allégorique, est encore conservé dans la chapelle des Ursulines de Québec (La France apportant la foi aux Hurons de la Nouvelle-France, peint vers 1666), nous effectuons ce choix étant donné que nous retrouvons le premier portrait royal dans nos inventaires de laïcs en 1670.
-
[8]
Peter Burke, Louis XIV : les stratégies de la gloire, Paris, Seuil, 1995 (1992), p. 19.
-
[9]
Gérard Sabatier, « Les rois de représentation. Image et pouvoir (XVIe-XVIIe siècle) », Revue de Synthèse, vol. 112, nos3-4, 1991, p. 390.
-
[10]
Gérard Sabatier, Le prince et les arts : stratégies figuratives de la monarchie française, de la Renaissance aux Lumières, Seyssel, Champ Vallon, 2010, p. 22.
-
[11]
Louis Marin, Le portrait du roi, Paris, Les Éditions de Minuit (Le sens commun), 1981 ; Peter Burke, op. cit.
-
[12]
Emmanuel Coquery, dans Jean Aubert, Visages du Grand Siècle : le portrait français sous le règne de Louis XIV 1660-1715 (cat.), Paris, Nantes et Toulouse, Somogy, Musée des Beaux-Arts de Nantes et Musée des Augustins, 1997, p. 75.
-
[13]
Georges Wildenstein, « Le goût pour la peinture, dans le cercle de la bourgeoisie parisienne, autour de 1700 », Gazette des Beaux-Arts, vol. 48, septembre 1956, p. 119.
-
[14]
Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (dorénavant MBAnQ), greffe de Louis-Claude Danré de Blanzy, « Inventaire des biens de la communauté de Paul Guillet, marchand bourgeois, de la ville de Montreal, rue Saint Paul », 16 juillet 1753.
-
[15]
Georges Wildenstein, loc. cit., p. 121.
-
[16]
Dans dix cas, il est précisé que le roi est Louis XV. Autrement, il est simplement mentionné qu’il s’agit du portrait du « roi ». Étant donné que ces oeuvres sont recensées à l’époque du règne de Louis XV, nous présumons que le notaire n’avait pas à signaler de quel roi de France il était question.
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[17]
Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (dorénavant QBAnQ), greffe de Michel Fillion, « Inventaire des biens de la communauté de Françoise Duquet, veuve de Jean Madry, maître chirurgien, de la haute ville de Quebecq », 30 juillet 1669.
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[18]
L’oeuvre fait partie des biens de Louis Rouer de Villeray, tel que relaté dans l’extrait cité au début de cette partie.
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[19]
Il n’y a donc que Marie-Anne Boutrel (1695- ?) qui, en 1739, accroche au mur le portrait de la reine sans le gratifier de son pendant habituel. QBAnQ, greffe de J.-N. Pinguet de Vaucour, « Inventaire des biens de la communauté de Marie-Anne Boutret, veuve de Etienne Marchand, de la ville de Québec, rue de la Ste Famille », 2 novembre 1739.
-
[20]
La notion d’habitus développée par Pierre Bourdieu se définit comme un ensemble de dispositions, de capacités et d’habitudes durables qui structurent et génèrent des pratiques et des représentations, et qui forment l’individu par l’intériorisation des manières propres à un milieu. Voir Nathalie Heinich, La sociologie de l’art, Paris, La Découverte, 2004 (2001), p. 49-50. Dans la présente étude, nous nous intéressons aux habitus qui débordent du seul champ artistique (pour utiliser une autre notion de Bourdieu).
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[21]
Norbert Élias, La civilisation des moeurs, Paris, Calmann-Lévy (Agora, 49), 2002 (1939).
-
[22]
Peter Burke, op. cit., p. 19.
-
[23]
Cité dans David Beaurain, « La fabrique du portrait royal », L’art et les normes sociales au XVIIIe siècle, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2001, p. 246.
-
[24]
Antoine de Courtin, Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnêtes gens, Paris, Chez Louis Josse et Charles Robustel, 1712, p. 47.
-
[25]
Cité et traduit dans Edouard Pommier, Théories du portrait, de la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 1998, p. 160.
-
[26]
Pierre Mayrand, « Les statues des souverains en Nouvelle-France », Vie des arts, n° 31, hiver 1970-1971, p. 46 ; René Villeneuve, Du baroque au néo-classicisme : la sculpture au Québec, Ottawa, Musée des beaux-arts de Montréal, 1997, p. 51-52.
-
[27]
Correspondance de Champigny citée dans Pierre Mayrand, loc. cit., p. 46.
-
[28]
Cité dans David Beaurain, loc. cit., p. 244.
-
[29]
Edouard Pommier, op. cit., p. 160.
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[30]
Louis Richeome, Trois discours pour la religion catholique, des miracles, des saincts, & des images, A Bourdeaus, Par S. Millanges Imprimeur ordinaire du Roy, 1597, p. 524-525.
-
[31]
QBAnQ, greffe de Antoine-Jean Saillant de Collégien, « Inventaire des biens de la communauté de Jacques Bellecourt de Lafontaine, conseiller du Roi au Conseil supérieur, veuf de Charlotte Bissot, demeurant à Québec, place D’armes, paroisse de Nôtre Dame », 22 février 1752.
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[32]
L’échantillon est composé de 252 pièces notariées où se trouvent des oeuvres d’art (sur les 979 dépouillés). En tout, 80 de ces 252 documents sont liés à des marchands. Ensuite, sur ces 80 marchands, 16 possèdent un portrait du roi.
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[33]
Cette différence entre les valeurs estimées peut notamment s’expliquer en fonction de la nature matérielle des oeuvres d’art ainsi que de leur format.
-
[34]
En effet, puisqu’ils terminent généralement leur carrière en France, il s’avère alors impossible de connaître la nature du décor de leur habitation en Nouvelle-France.
-
[35]
Jean-Claude Dubé, Claude-Thomas Dupuy : intendant de la Nouvelle-France 1678-1738, Montréal et Paris, Fides, 1969, p. 294.
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[36]
Ibid.
-
[37]
France, Centre des archives d’outre-mer, fonds des Colonies, Correspondance générale, Canada, C11A 55, « Procès-verbal de la vente des meubles et effets de Claude-Thomas Dupuy », 27 juin 1731, fol. 320.
-
[38]
Gilles Havard et Cécile Vidal, Histoire de l’Amérique française, Paris, Flammarion, 2003, p. 106.
-
[39]
Ibid.
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[40]
À cet effet, l’étude de l’architecture et du décor des palais de l’intendant s’avère particulièrement révélatrice de l’affirmation du rôle et de la situation sociale de son occupant, comme en rend compte Rosalie Mercier-Méthé dans L’intendant de la Nouvelle-France et l’architecture : la convenance dans un contexte colonial, Québec, CELAT (Cahiers d’archéologie du CELAT, n° 35), 2012
-
[41]
René Chartrand, « La gouvernance militaire en Nouvelle-France », Bulletin d’histoire politique, vol. 18, no1, automne 2009, p. 125.
-
[42]
Selon les pouvoirs et les attributions qui lui sont confiés à partir de 1680. Robert Lahaise et Noël Vallerand, La Nouvelle-France 1524-1760, Outremont, Lanctôt éditeur, 1999 (1977), p. 228.
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[43]
C’est-à-dire 12 000 livres comme gouverneur général, 3 000 livres comme gouverneur de la ville de Québec, 3 000 livres pour le transport de ses provisions, 8 750 livres pour sa garde personnelle, 3 000 livres pour ses déplacements, en plus d’une prime de 2 % sur les profits de la traite, le fret gratuit de 80 000 livres de marchandises en provenance de France et les cadeaux des amérindiens. Ibid.
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[44]
QBAnQ, greffe de Jacques Barbel, « Inventaire des biens de la communauté de Louise-Elizabeth de Joibert, veuve de Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil, croix de l’ordre militaire de St-Louis, gouverneur et lieutenant-général pour le roi de toute la Nouvelle-France », 19 juin 1726 ; MBAnQ, greffe de Pierre Raimbault, « Inventaire des biens de la communauté de Louise-Elizabeth de Joibert, veuve de Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil, croix de l’ordre militaire de St-Louis, gouverneur et lieutenant-général pour le roi de toute la Nouvelle-France », 15 juillet 1726.
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[45]
QBAnQ, greffe de Jacques Barbel, « Inventaire des biens de la communauté de Louise-Elizabeth de Joibert, veuve de Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil, croix de l’ordre militaire de St-Louis, gouverneur et lieutenant-général pour le roi de toute la Nouvelle-France », 19 juin 1726.
-
[46]
MBAnQ, greffe de Pierre Raimbault, « Inventaire des biens de la communauté de Louise-Elizabeth de Joibert, veuve de Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil, croix de l’ordre militaire de St-Louis, gouverneur et lieutenant-général pour le roi de toute la Nouvelle-France », 15 juillet 1726.
-
[47]
Peter Burke, op. cit., p. 18.
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[48]
Cette imitation répondrait à ce que Georg Simmel (1858-1918) définit comme « l’une des tendances fondamentales de notre être, celle qui pousse à fonder la singularité dans la généralité, accentuant la stabilité dans le changement ». Georg Simmel, La tragédie de la culture et autres essais, Paris, Rivages, 1988 (1895), p. 90. L’imitation satisferait alors « un besoin d’appui social, elle [mènerait] l’individu dans la voie suivie par tous » (p. 91).
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[49]
René Chartrand, loc. cit., p. 127-128.
-
[50]
QBAnQ, greffe de Louis Chambalon, « Inventaire des biens de la communauté de Genevieve Macard, veuve de Monsieur François Provost », 13 juin 1702.
-
[51]
QBAnQ, greffe de Jacques Barbel, « Inventaire des biens de la communauté de Marie Nolan, veuve de Louis de Laporte de Louvigny, chevalier de l’Ordre militaire de St-Louis gouverneur de la ville des Trois-Rivières, demeurant en la haute ville de Québec », 7 juin 1727.
-
[52]
MBAnQ, greffe de Louis-Claude Danré de Blanzy, « Vente des meubles de la communauté de Marie-Elisabeth Rocbert, veuve de Claude-Michel Begon, gouverneur des Trois-Rivières et chevalier de l’Ordre militaire de Saint-Louis, de la ville de Montréal, rue St Paul », 23 décembre 1748.
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[53]
Yvonne Bézard, Fonctionnaires maritimes et coloniaux sous Louis XVI : les Bégon, Paris, Albin Michel, 1932, p. 160.
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[54]
MBAnQ, greffe de Louis-Claude Danré de Blanzy, « Inventaire des biens de la communauté des défunts Marguerite Nafrechou et François de Gannes, chevalier de l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis et lieutenant du Roi de la ville et gouvernement de Montréal », 22 février 1749.
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[55]
Trois-Rivières, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, greffe de H.O. Pressé, « Inventaire des biens de la communauté de Louise Bizard, veuve de Charles Renaud de Dubuisson, écuyer, chevalier de l’Ordre royal et militaire de St-Louis et major de la ville et gouvernement de Trois-Rivières », 2 janvier 1740.
-
[56]
MBAnQ, greffe de René Chorel de Saint-Romain, « Inventaire des biens de la communauté de Jeanne Decelle, veuve de Denis Estienne de Clerin, écuyer, lieutenant d’une compagnie du détachement de la Marine et aide-major de la ville et gouvernement de Montréal », 5 mai 1731.
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[57]
Marie-Eve Ouellet, « Le Conseil souverain : l’écho de la justice royale », Cap-aux-Diamants, no114, 2013, p. 13.
-
[58]
W. J. Eccles, Le gouvernement de la Nouvelle-France, Ottawa, La société historique du Canada (Brochure historique, no18), 1975, p. 16 ; Yvon Desloges, « Québec, ville de garnison française », Québec, ville militaire, 1608-2008, Montréal, Art Global, 2008, p. 216-220. Comme le note Desloges, au cours du Régime français, le Conseil est de plus en plus confiné au seul rôle de cour d’appel. De fait, comme le rappelle Eccles, « Toute cause entendue dans une cour inférieure pouvait être portée en appel devant le Conseil, et le Conseil devait revoir toutes les causes où la peine capitale ou de sévères punitions corporelles avaient été imposées » (p. 16).
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[59]
W. J. Eccles, op. cit., p. 12.
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[60]
Marie-Eve Ouellet, loc. cit., p. 11.
-
[61]
Cameron Nish, « Cugnet, François-Étienne », Dictionnaire biographique du Canada, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, vol. III, 1974, p. 162-163.
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[62]
QBAnQ, greffe de Nicolas Boisseau, « Inventaire des effets apartenans a m Cugnet », 28 août 1742.
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[63]
QBAnQ, greffe de Nicolas Boisseau, « Inventaire des effets apartenans a m Cugnet », 28 août 1742.
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[64]
L’espace domestique où sont accrochées les oeuvres n’est pas toujours très précis selon les inventaires dépouillés. Au total, 33 effigies du monarque étaient dans des chambres, six dans des salles, quatre dans des cabinets et une autre dans une cuisine. Pour onze représentations du roi, le lieu n’était pas clairement défini.
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[65]
Dans notre cas, la chambre, selon les dictionnaires de Furetière (1727) et de Trévoux (60 ans plus tard), est un « Membre d’un logis, partie d’un appartement. C’est ordinairement le lieu où on couche et où on reçoit compagnie. » Voir Annick Pardailhé-Galabrun, La naissance de l’intime. 3000 foyers parisiens. XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Presses universitaires de France, 1988, p. 256.
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[66]
QBAnQ, greffe de Nicolas Boisseau, « Inventaire des biens de madame la veuve de Sarrazin », 6 avril 1743.
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[67]
QBAnQ, greffe de Henry Hiché, « Inventaire des biens de la communauté de Louis Poulin de Courval, conseiller du Roi et son procureur au siège de la juridiction des Trois-Rivières, veuf de Françoise Foucault », 9 octobre 1733.
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[68]
Épisode dont la correspondance a été réunie par Emmanuel de Cathelineau et publiée en 1930 dans la revue Nova Francia.
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[69]
Lettre du gouverneur et de l’intendant au ministre, en date du 3 novembre 1734, citée dans Emmanuel de Cathelineau, « Le portrait de Louis XV à Québec », Nova Francia, vol. 5, 1930, p. 76-77.
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[70]
Lettre de Maurepas au gouverneur et à l’intendant, en date du 19 avril 1734, citée dans Emmanuel de Cathelineau, loc. cit., p. 77.
-
[71]
À ce sujet, voir Jean Chatelus, Peindre à Paris au XVIIIe siècle, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 1991, p. 185-196. L’auteur mentionne : « Une vingtaine de peintres sont répertoriés comme ayant travaillé au cours du [XVIIIe] siècle à exécuter les copies des portraits du Roi et de la famille royale, dans le Cabinet des tableaux du Roi à Versailles » (p. 185). Il y est fait notamment mention d’un « portrait donné en 1720 aux Iroquois venus saluer le Roi, 352 livres avec bordure » (p. 186).
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[72]
Emmanuel de Cathelineau, loc. cit., p. 78-79.
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[73]
Lettre des officiers du Conseil supérieur de la Nouvelle France au roi de France, le 19 novembre 1735, citée dans Ibid., p. 79.
-
[74]
Louis Richeome, op. cit., p. 529.