Dossier : La représentation en Nouvelle-FrancePrésentation

Représentation (s)[Record]

  • Marie-Eve Ouellet

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  • Marie-Eve Ouellet
    Ph.D., historienne, Commission de la capitale nationale du Québec

Dans sa « Défense et illustration de la notion de représentation », Roger Chartier souligne les différentes familles de sens de ce mot dans le Dictionnaire d’Antoine Furetière, publié en 1690. Dans sa dimension matérielle, la représentation se définit comme une « image qui nous remet en idée et en mémoire les objets absents ». Par ailleurs, elle « se dit au Palais de l’exhibition de quelque chose. […] Quand on fait le procès à un accusé, on lui fait la représentation des armes dont il s’est trouvé saisi […] ou autres indices qui sont contre lui ». La définition du verbe précise ce sens juridique de la représentation : représenter « signifie aussi comparoir en personne, et exhiber les choses ». Cette comparution répond à la volonté de la cour, toutefois la représentation est bidirectionnelle : représenter, c’est également « Remontrer, tâcher à persuader », donc saisir la justice de sa propre initiative pour faire valoir ses intérêts. Un dernier sens plus politique du verbe doit attirer notre attention. Représenter, c’est « Tenir la place de quelqu’un, avoir en main son autorité ». Cette définition de la représentation la rapproche de sa dimension matérielle, à savoir incarner ce qui est hors d’atteinte. Qu’il s’agisse d’une chose, d’un concept ou d’une personne, la représentation touche donc ce qui est présent comme ce qui est absent, elle est du domaine du matériel comme de l’immatériel. Reflet de la polysémie du mot, ce dossier explore les multiples rôles et modalités de la représentation en Nouvelle-France, tant sur le plan symbolique à travers les rituels, l’art et l’architecture que sur le plan judiciaire à travers ses acteurs et procédures. Des tentatives de colonisation initiales jusqu’à la chute de la Nouvelle-France et même au-delà, il propose une vision plurielle de la représentation en abordant ses différents acteurs, soit ceux qui représentent, ceux qui sereprésentent et ceux qui font des représentations. Représentative d’une historiographie qui s’est longtemps intéressée aux structures du pouvoir au détriment de ses pratiques, la représentation dans l’espace colonial a d’abord été analysée sous l’angle institutionnel, à travers les instances éphémères du XVIIe siècle telles que les syndics et les échevins. Si, par le passé, les historiens ont pu confondre représentation et pouvoir législatif et voir dans ces instances un embryon de démocratie, il est maintenant reconnu que la représentation sous le Régime français revêt un caractère ponctuel, consultatif et élitiste. La représentation n’est pas pour autant réservée aux puissants, puisque des mécanismes d’interpellation des autorités comme la requête sont accessibles aux gens du commun, ceux-ci ayant aussi fait valoir leurs intérêts lors d’assemblées autorisées par l’intendant et plus rarement lors d’agitations collectives. La dimension institutionnelle de la représentation suscite désormais moins d’intérêt que les rapports de pouvoir sous-jacents, par exemple la préséance, les rivalités et les réseaux de clientèle. Cet élargissement des problématiques vers l’aspect relationnel du pouvoir s’inscrit dans une réflexion sur la notion même de représentation, qui a contribué à réconcilier l’histoire politique avec l’histoire sociale et culturelle après des années de chambre à part. Élargissant les frontières du politique, elle montre que le pouvoir ne s’exerce pas uniquement par l’usage de la force, mais aussi par une domination symbolique qui passe par l’image et les signes de la puissance et qui suscite l’obéissance sans exercice de la violence. Il y a donc représentation du pouvoir politique, mais aussi un pouvoir politique de la représentation. Critiqué pour éloigner l’histoire des « réalités objectives », le concept de représentation est pourtant parvenu à penser comme un tout cohérent des processus, des comportements, des discours et même …

Appendices