On sait que le Québec n’a jamais été isolé des grands courants intellectuels, socio-économiques et politiques. Bien avant que ne s’impose le paradigme de l’histoire-monde, des historiens avaient interprété l’histoire du Québec en parallèle avec celle des autres démocraties occidentales. Il y a plus de vingt ans, l’historien Ronald Rudin avait relevé ce tournant de l’historiographie québécoise, tout en critiquant l’oubli de certains aspects particuliers de notre histoire. Plus récemment, notre regretté collègue Marcel Bellavance publiait un ouvrage inscrivant les Rébellions des Patriotes dans le grand courant libéral et nationalitaire de leur époque. Ainsi, au Québec comme ailleurs, l’histoire évolue au gré de dynamiques internes et externes. S’agissant de la politique, celle des partis qui luttent pour le pouvoir dans l’État, on observe des mouvements lents qui sont parfois exacerbés par notre mode de scrutin. En 1960, le passage de l’ère de Duplessis à celle de la Révolution tranquille fut dramatique, mais il ne résultait que d’un basculement de quelque 6 % des voix. Pourtant, ici comme ailleurs, le paysage politique était en train de changer depuis la Deuxième Guerre mondiale. Il s’est ensuivi à terme une modification du système de partis, c’est-à-dire de la mise en place d’une nouvelle configuration de deux partis s’échangeant le pouvoir. Le couple Union nationale-Parti libéral a cédé la place à celui formé du Parti libéral du Québec (PLQ) et du Parti québécois (PQ). Lors des célébrations entourant le 25e anniversaire du Bulletin d’histoire politique, deux observateurs de la scène politique québécoise, Josée Legault et Antoine Robitaille, ont été invités de prendre la mesure des changements intervenus depuis 1992. Leurs propos sont reproduits plus loin dans ce numéro. Un de ces changements est la diminution de l’attrait de l’indépendance et la perte d’intérêt pour l’aspect politique de la question nationale, c’est-à-dire le statut du Québec. Tout se passe comme si la politique québécoise tendait vers une « normalisation ». Le système de partis provinciaux avait été dominé par le clivage entre « fédéralistes » et « souverainistes-indépendantistes » depuis un quart de siècle. Il est maintenant instable. Les forces qui s’exercent sur lui sont multiples. Elles sont endogènes et exogènes. Parmi les facteurs internes de la transformation du paysage politique, on retrouve donc en premier plan l’effacement graduel de la question nationale vue sous son angle politique. L’échec combiné du fédéralisme renouvelé et de l’option souverainiste-indépendantiste a détourné une partie de l’électorat du rêve d’arrimer le régime politique dans lequel évolue le Québec à un statut de nation. Le PLQ ayant réuni pendant 25 ans la majeure partie des fédéralistes de gauche et de droite, comme le PQ l’avait fait avec les nationalistes de diverses tendances, tout était en place dans le sillage du référendum de 1995 pour un éclatement au profit d’un système distinguant clairement la gauche et la droite. Premier signe de cette possible mutation, le réveil en 2005 d’un débat social déterminé par le clivage gauche-droite. À l’automne de cette année-là, on a eu droit coup sur coup à deux manifestes, « Pour un Québec lucide » et le « Manifeste pour un Québec solidaire », à la création du parti Québec solidaire, et à une course à la direction au PQ dont le vainqueur n’a pas tenu longtemps. Et pour cause : ayant mis de côté le positionnement souverainiste-indépendantiste qui lui servait de ciment, le PQ a perdu un nombre important d’électeurs au profit de l’Action démocratique du Québec (ADQ) à droite et Québec solidaire (QS) à gauche. Ces deux nouveaux acteurs ont bousculé l’échiquier politique jusque-là dominé par le PLQ et le PQ. L’irruption de …
Une mutation du paysage politique[Record]
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Michel Sarra-Bournet
Membre du Comité de rédaction du Bulletin d’histoire politique