Du 17 au 19 mai 2017, le Centre de recherche en éthique (CRÉ) et le Groupe de recherche en éthique environnementale et animale (GRÉEA) organisaient une conférence internationale sur la question des « [c]onvergences et divergences entre éthique animale et éthique environnementale ». La conférence s’est tenue à Montréal, à l’Université McGill, sur le territoire traditionnel non cédé des Kanien’kehá:ka. Les articles qui composent ce numéro spécial reprennent en partie les communications qui y ont été présentées. Ce dossier spécial « Changements climatiques, autonomie de la nature et souffrance animale : Repenser les frontières entre l’éthique animale et l’éthique environnementale » fait suite aux débats qui conduisent, dans les années 1980, à la rupture entre éthique animale et éthique environnementale. Lorsque les deux courants se forment au début des années 1970, ils se rejoignent dans leur opposition commune à l’anthropocentrisme des éthiques occidentales (voir Jamieson, 1998 sur le rôle qu’ont pu jouer les traditions dites « continentales » et « anglo-saxonnes » dans la division entre les deux types d’éthique). Les éthiques anthropocentrées définissent la moralité d’une action en fonction des intérêts ou du bien-être humain que cette action peut promouvoir, réduisant la valeur des entités non humaines à leur valeur instrumentale. L’adoption de ce type d’éthique permet de justifier l’exploitation des animaux non humains et la destruction des milieux naturels à des fins humaines, incluant celles que les sociétés capitalistes modernes tendent à satisfaire depuis la fin du xviiie siècle. Ces sociétés, portées par un idéal de croissance économique infinie (Meadows et al., 1972; Martin et al., 2016) et l’industrialisation des moyens de production, sont aujourd’hui responsables à l’échelle de la planète d’un niveau de souffrance animale considérable (Sebo, 2018, ce dossier), de la diminution radicale des populations de vertébrés (plus de la moitié ont disparu à l’échelle de la planète depuis les années 1970, la perte et la dégradation de leurs habitats par les activités humaines étant considérées comme les causes les plus directes; voir WWF, 2016), d’une homogénéisation et d’une perturbation accrue des communautés écologiques et des écosystèmes, des changements climatiques (IPCC, 2013), etc. En raison de l’aggravation de ces répercussions si concrètes qui concernent à la fois « animalistes » et « environnementalistes », les différends théoriques et les divergences politiques qui ont conduit à leur division en deux camps dans les années 1980 méritent d’être remises en question. Dans la suite de cette introduction, je présente un bref historique du conflit entre éthique environnementale et éthique animale, puis les questions abordées par les textes de ce dossier. Le texte de Richard Routley « Is there a need for a new, an environmental, ethic? », publié en 1973, est généralement tenu pour fondateur de l’éthique environnementale (voir par exemple Callicott, 1979; Jamieson, 1998; Mikkelson, 2018, ce dossier) – le texte d’Arne Naess « The shallow and the deep, long-range ecology movement. A summary », publié la même année, pose les principes fondateurs du mouvement de la Deep Ecology et est plus souvent associé à la constitution d’une écologie politique aux principes biocentristes et holistiques (Naess, 1973). L’article de Routley est surtout connu pour montrer, grâce à l’expérience de pensée du « dernier être humain sur Terre », les limites conceptuelles du principe libéral de non-nuisance – qui restreint la liberté d’agir au respect d’autrui et de soi-même – à prendre en compte les intérêts de la nature indépendamment des intérêts humains. Mais Routley y dénonce aussi le spécisme des théories libérales classiques. C’est contre un « chauvinisme humain », qui exclut à la fois les entités naturelles non sentientes et les animaux non humains de …
Appendices
Bibliographie
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