Les ateliers de l'éthique
The Ethics Forum
Volume 11, Number 1, Winter 2016
Table of contents (7 articles)
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Liminaire
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Tolérance libérale et délibération : l’apport de la neutralité scientifique
Marc-Kevin Daoust
pp. 4–28
AbstractFR:
Cet article poursuit la réflexion de Dilhac (2014) touchant la relation entre politique et vérité. Au terme d’une analyse de la tolérance chez Mill et Popper, Dilhac conclut qu’une conception épistémique de la tolérance manque sa dimension politique, et qu’il est préférable d’opter pour le concept rawlsien de consensus raisonnable. Discutant ces résultats, le premier objectif est ici de montrer qu’une notion de « raisonnabilité » peut facilement trouver ses racines dans la neutralité scientifique wébérienne, et donc être porteuse d’une dimension épistémique minimale. Le second objectif est de clarifier l’impact de cet argument particulier sur le débat général entourant la démocratie épistémique. Il sera défendu que l’opposition traditionnelle entre les conceptions épistémique et politique de la délibération est à trouver dans un certain perfectionnisme épistémique, mais qu’il existe au moins une conception minimale du potentiel épistémique tout à fait compatible avec les valeurs fondamentales du libéralisme, comme l’inclusion, l’égalité ou la diversité. En d’autres termes, les exigences épistémiques minimales de la neutralité scientifique peuvent être indépendantes du perfectionnisme épistémique.
EN:
First this paper develops some of Dilhac’s (2014) arguments concerning the relationship between truth and politics. Dilhac argues that an epistemic understanding of toleration lacks a political dimension, and that a Rawlsian account of reasonable consensus is preferable. By linking reasonable consensus to scientific neutrality, I will argue that notions such as reasonableness should bear a minimal epistemic dimension, and that there is no dilemma between admitting political toleration and valuing the epistemic dimension of deliberation. From there, I will then argue that the common opposition between political and epistemic conceptions of democracy does not concern all epistemic properties of deliberation. The problem many authors point at is epistemic perfectionism. A weak account of epistemic properties of deliberation is compatible with liberal values such as inclusion, equality, and diversity. In other words, this paper argues that some minimal epistemic requirements, which can be found in scientific neutrality, can very well be independent of epistemic perfectionism.
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Schizophrenia and the Virtues of Self-Effacement
Paul Barry
pp. 29–48
AbstractEN:
Michael Stocker’s “The Schizophrenia of Modern Ethical Theories” attacks versions of consequentialism and deontological ethics on the grounds that they are self-effacing. While it is often thought that Stocker’s argument gives us a reason to favour virtue ethics over those other theories, Simon Keller has argued that this is a mistake. He claims that virtue ethics is also self-effacing, and is therefore afflicted with the self-effacement-related problems that Stocker identifies in consequentialism and deontology. This paper defends virtue ethics against this claim. Although there is a kind of self-effacement involved in the exercise of virtue, this is quite different from the so-called schizophrenia that Stocker thinks is induced by modern ethical theory. Importantly, manifesting virtue does not require one to embrace mutually inconsistent moral commitments, as is at times encouraged by consequentialists and deontologists. This paper also considers a reading of the virtue-ethical criterion of right action that is encouraged by Bernard Williams’s distinction between a de re and a de dicto interpretation of the phrase “acting as the virtuous person would.” I argue that such a reading addresses concerns that a virtue-ethical criterion of right action inevitably generates a problematic form of self-effacement.
FR:
« The Schizophrenia of Modern Ethical Theories » de Michael Stocker réfute les versions du conséquentialisme et de l’éthique déontologique sous prétexte qu’elles conduisent à l’auto-effacement de l’agent. Alors que l’on pense souvent que l’argument de Stocker nous donne raison de préférer l’éthique des vertus à ces autres théories, cela constitue une erreur selon Simon Keller. Ce dernier affirme que l’éthique des vertus conduit aussi à l’auto-effacement et qu’elle rencontre par conséquent les mêmes problèmes d’auto-effacement que Stocker identifie dans le conséquentialisme et la déontologie. Cet article défend l’éthique des vertus contre cette hypothèse. Bien qu’il y ait une forme d’auto-effacement dans la manifestation des vertus, celle-ci diffère assez de la « schizophrénie » que Stocker juge induite par la théorie moderne de l’éthique. Il est important de comprendre que la manifestation de vertus n’implique pas d’adhérer à des engagements mutuellement inconsistants, comme les conséquentialistes et déontologues l’invoquent parfois. Cet article envisage aussi une lecture du critère éthique de la vertu de l’action juste suggérée par la distinction que fait Bernard Williams entre l’interprétation de re et de dicto dans la locution « Agir comme le ferait une personne vertueuse ». Je soutiens qu’une telle lecture répond à la préoccupation considérant qu’un critère éthique de vertu crée inévitablement une forme problématique d’auto-effacement.
Dossier : Les échelles de l’éthique. La philosophie politique et la ville
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Sous la direction de Patrick Turmel, François Boucher et Marie-Noëlle Carré
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Les échelles de l’éthique. La philosophie politique et la ville : introduction
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Le multiculturalisme dans la ville : aménagement de l’espace urbain et intégration sociale
François Boucher
pp. 55–79
AbstractFR:
Dans cet article, j’examine le rôle des villes dans l’aménagement de la diversité ethnoculturelle. Je me penche sur l’idée voulant que la prise en compte des spécificités du contexte urbain et de l’échelle géographique de la ville ait une certaine fonction heuristique. Une telle prise en compte nous mène à réviser notre compréhension des agent.e.s responsables d’honorer une conception de la justice, à revoir l’ordre du jour de la philosophie politique normative en mettant en lumière des questions et problématiques spécifiques à ce contexte et, enfin, à discerner certaines possibilités et stratégies politiques visant à promouvoir la justice et le bien commun. Plus spécifiquement, dans le cadre d’une réflexion sur le multiculturalisme, une attention portée au contexte de la ville porte la promesse d’enrichir notre compréhension des politiques publiques susceptibles de promouvoir ou de compromettre l’intégration et la cohésion sociale dans les sociétés pluralistes. Ainsi, l’idéal de ville interculturelle propose de faire de la promotion des interactions interculturelles dans les espaces urbains un des piliers de la planification urbaine. Après avoir exploré le rôle spécifique des villes dans la mise en place d’une politique d’aménagement de la diversité ethnoculturelle visant à promouvoir l’intégration, je soulignerai quelques limites auxquelles se heurte l’idéal de la ville interculturelle.
EN:
In this article, I examine the role of cities in the accomodation of ethnocultural diversity. I study the idea that there is a certain heuristic function in taking into consideration the specificities of the urban context and the geographic dimensions of the city. Such consideration leads us (1) to revise our understanding of the agents called upon to honour a conception of justice; (2) to take a second look at the agenda of normative political philosophy while shedding light on the questions and issues specific to this context; and, finally, (3) to discern certain political possibilities and strategies aiming to promote justice and the common good. More specifically, paying attention to the context of the city within a reflection on multiculturalism promises to enrich our understanding of the public policies likely to promote or to jeopardize integration and social cohesion in pluralist societies. Thus, the ideal of the intercultural city offers to make the fostering of intercultural interactions in urban spaces one of the pillars of urban planning.
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Y a-t-il une démocratie participative à Montréal? Entre gouvernance métropolitaine, gestion de proximité et démocratie radicale
Jonathan Durand Folco
pp. 80–100
AbstractFR:
Cet article présente une analyse critique de l’institutionnalisation de la participation citoyenne, à différentes échelles, à Montréal. Nous prendrons l’exemple de la consultation publique de la Communauté métropolitaine de Montréal et du budget interactif du Plateau-Mont-Royal pour illustrer les modèles de la gouvernance métropolitaine et de la gestion de proximité, pour ensuite montrer en quoi ces deux types de dispositifs participatifs soulèvent le problème de la trivialité. Nous soutiendrons enfin qu’une application systématique d’une conception forte de la participation citoyenne, basée sur l’idéal de la démocratie participative, permettrait de surmonter le problème de la trivialité et d’opérer une véritable démocratisation des institutions municipales.
EN:
This paper presents a critical analysis of the institutionalization of participation in Montreal at different levels. I will use the examples of the Montreal Metropolitan Com-munity’s public consultation and the Plateau Mont-Royal’s interactive budget to illustrate the models of metropolitan governance and local management, and demonstrate that these two forms of participatory mechanisms face the problem of triviality. I maintain that a systematic application of a strong conception of citizen participation, based on the ideal of participatory democracy, can overcome the challenge of triviality and effect a real democratization of municipal institutions.
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Dépôts de déchets métropolitains et justice environnementale
Marie-Noëlle Carré
pp. 101–122
AbstractFR:
Les dépôts contrôlés de déchets posent un défi à la gestion durable des métropoles, comprises comme des « traductions spatiales du global ». En effet, même s’ils génèrent de réels problèmes sanitaires et environnementaux, ils sont aussi des points d’appui du développement métropolitain. Cet article demande donc si le cadre de la justice environnementale est suffisant pour penser les problèmes de leur gouvernance métropolitaine, à la fois locale et mondiale. La démonstration suggère d’abord que la construction du problème public des déchets ouvre la voie à l’expression de multiples dilemmes environnementaux. En fonction des échelles auxquelles ils prennent les décisions, les actrices et acteurs métropolitain.es sont parfois conduit.es à choisir entre des valeurs difficiles à hiérarchiser (santé, cadre de vie, accès aux services urbains). L’article souligne ensuite que la justice environnementale, sociale et spatiale propose un cadre normatif à première vue adéquat pour explorer cette question. Toutefois, ce cadre peut être affiné pour appréhender la complexité métropolitaine et déplacer l’analyse des espaces de l’action aux pratiques des actrices et acteurs. Dans une perspective transaméricaine, nous mobilisons les exemples de Montréal (Complexe environnemental Saint-Michel) et de Buenos Aires (Villa Dominico).
EN:
Existing sanitary waste landfills challenge urban sustainable development in metropolitan areas as “local translations of the global.” Even though they create real sanitary and environmental issues, infrastructures are also involved in territorial development projects. This paper argues that environmental justice is a useful framework for tackling problems of global and local metropolitan governance. I suggest that waste as a public problem opens up multiple environmental dilemmas. Depending on the context they are reasoning in, metropolitan decision-makers are led to make choices between values of nearly equal importance for urban life (health, quality of life, access to urban services). Then, the paper explores how environmental justice, social justice, and spatial justice provides a helpful normative framework to answer the questions that those dilemmas open. However, this framework can be refined to capture metropolitan complexity and shift the scope from spaces of action to practices of actors. The paper is based on fieldwork in Montréal (Complexe Environnemental Saint-Michel, ex-quarry Miron) and Buenos Aires (Villa Dominico).