Les ateliers de l'éthique
The Ethics Forum
Volume 6, Number 2, Fall 2011
Table of contents (11 articles)
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Liminaire
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Human Dignity as High Moral Status
Manuel Toscano
pp. 4–25
AbstractEN:
In this paper I argue that the idea of human dignity has a precise and philosophically relevant sense. Following recent works, we can find some important clues in the long history of the term. Traditionally, dignity conveys the idea of a high and honourable position in a hierarchical order, either in society or in nature. At first glance, nothing may seem more contrary to the contemporary conception of human dignity, especially in regard to human rights. However, an account of dignity as high rank provides an illuminating perspective on the role it plays in the egalitarian discourse of human rights. In order to preserve that relational sense regarding human dignity, we can use the notion of moral status, to which some moral philosophers have paid attention in recent years. I explore the possibilities of the idea of moral status to better understand the idea of human dignity and its close relationship with human rights.
FR:
Cet article défend la thèse que l’idée de la dignité humaine a un sens précis et philosophiquement pertinent. À la suite de travaux récents, il est possible de trouver des moments-clés importants dans la longue histoire de cette idée. Traditionnellement, la dignité exprime l’idée d’une position haute et honorable dans un ordre hiérarchique, soit dans la société ou dans la nature. À première vue, rien ne semble plus contraire à la conception contemporaine de la dignité humaine, en particulier en ce qui concerne les droits de l’homme. Toutefois, une explication de la dignité comme rang élevé offre un éclaircissement sur le rôle qu’elle joue dans le discours égalitaire des droits de l’homme. Afin de préserver ce sens relationnel concernant la dignité humaine, nous pouvons utiliser la notion de statut moral, à laquelle certains philosophes de la morale ont accordé une attention soutenue ces dernières années. J’explore les possibilités de l’idée de statut moral pour mieux comprendre la dignité humaine et sa relation étroite avec les droits de l’homme.
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L’interprétation du droit par les juristes : la place de la délibération éthique
Jeanne Simard and Marc-André Morency
pp. 26–48
AbstractFR:
Dans cet article, il sera fait un bref rappel du modèle traditionnel d’interprétation des lois, toujours prescrit dans la doctrine, sinon épousé verbalement dans les tribunaux canadiens. Il sera démontré que ce modèle ne peut pas représenter toute la réalité du travail d’interprétation des juristes canadiens, pour plusieurs raisons. L’herméneutique, la sociologie critique, l’analyse du discours, prenant pour objet les textes législatifs, les jugements rendus, les arguments pratiques entendus, ont montré l’étendue du comportement réflexif réel, l’étendue du champ interprétatif visant les circonstances d’une cause. Les textes législatifs donnent de fait de plus en plus de place à l’interprétation des circonstances pertinentes à l’encadrement de l’action des justiciables. Sur un plan empirique, l’analyse des jugements, de même que les prises de position de juges lorsqu’ils s’expriment en dehors du forum judiciaire, mettent en évidence la variété des motifs effectivement pris en considération, l’espace considérable de délibération éthique impliquant de fait tous les interprètes, qu’ils soient simples citoyens d’une communauté, inspirés par l’un ou l’autre des ordres sociaux, ou acteurs spécialisés de l’ordre juridique. Cet article se propose d’examiner comment se produit actuellement, en droit canadien ou québécois, l’interprétation des juristes, dans des processus décisionnels réflexifs, en situations complexes, voire même dans la perspective du développement des institutions.
EN:
After a brief reminder of the traditional model of statutory interpretation, still prescribed in doctrine, if not espoused verbally in Canadian courts, it will be shown that this model simply does not represent the reality of the interpretive work of practitioners and for several reasons. Hermeneutics, critical sociology, discourse analysis, taking for subject legislation, judgments rendered, the practical arguments heard, have shown the extent of actual reflexive behaviour, the scope of interpretation related to the circumstances of a cause. The legislator does in fact provide substantially more room for the interpretation of the circumstances relevant to the legal framework governing the action of justiciables. Empirical analysis of judgments together with the pronouncements of judges off the bench, highlight the variety of objectives that are actually taken into account, the scope of ethical debate involving all interpreters, the specialised actors of the judicial order as well as the common citizens inspired by the different normative orders. This article will examine how are produced currently, in application of Canadian or Quebec law, the interpretations of jurists, through reflexive decision-making, in complex situations, even in the context of institutional development.
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La dimension numérique dans le concept de minorité : efficience et justice ethnoculturelle
Xavier Landes
pp. 49–78
AbstractFR:
L’article introduit au rôle de l’efficience dans la génération d’avantages ou de désavantages enregistrés par les minorités. L’objectif est de démontrer que l’efficience devrait jouer un rôle plus important dans le domaine de la justice ethnoculturelle. Pour ce faire, une brève présentation de la place du nombre dans la littérature sur le sujet est offerte, ce qui permet de saisir le fond de l’argument consistant à faire des déséquilibres numériques une source certaine des injustices subies par les minorités, notamment dans une perspective inspirée par l’égalitarisme de la chance. De ce point de vue, l’asymétrie numérique peut toutefois constituer une source d’avantages pour ces groupes. Dès lors, une telle asymétrie, qui est l’un des constituants de la définition de la minorité, prend une autre dimension. Plus que cette asymétrie, il apparaît que c’est l’efficience (la manière dont les groupes gèrent cette asymétrie) qui détermine les conditions et succès matériels des membres d’un groupe donné. Après une discussion des minorités efficientes et dominantes, l’article se conclut par la mise en lumière de quelques pistes de recherche rendues visibles par l’efficience et qui sont pertinentes pour la théorie de la justice en contexte multiculturel.
EN:
The article introduces to the role of efficiency in the generation of advantages or disadvantaged for minorities. The objective is to demonstrate that efficiency should play a more important role in the domain of ethnocultural justice. For doing so, a brief presentation of the place of numbers in the literature on the topic is offered, which leads to the argument apprehending numerical disequilibria as a definite source of injustices borne by minorities, especially from a perspective inspired by luck egalitarianism. From this point of view however, numerical asymmetry can constitute a source of benefits for these groups. As one of the constituents of the definition of minority, asymmetry thus takes another dimension. Over and above this asymmetry, it appears that it is efficiency (in the manner that groups manage the numerical dimension) that regulates the material conditions and successes of the members of a given group. After a discussion of efficient minorities and dominant minorities, the article concludes by highlighting avenues of research that are made visible by efficiency and that are relevant to the theory of justice in a multicultural context.
Dossier: Diversity and the Liberal State
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Sous la direction de Xavier Landes et Nils Holtug
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Entrevue avec Xavier Landes sur la diversité et l’État libéral / Interview with Xavier Landes on Diversity and the Liberal State
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Diversity and the Liberal State: Introduction
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Religious Neutrality, Toleration and Recognition in Moderate Secular States: The Case of Denmark
Sune Laegaard
pp. 85–106
AbstractEN:
This paper provides a theoretical discussion with point of departure in the case of Denmark of some of the theoretical issues concerning the relation liberal states may have to religion in general and religious minorities in particular. Liberal political philosophy has long taken for granted that liberal states have to be religiously neutral. The paper asks what a liberal state is with respect to religion and religious minorities if it is not a strictly religiously neutral state with full separation of church and state and of religion and politics. To illuminate this question, the paper investigates a particular case of an arguably reasonably liberal state, namely the Danish state, which is used as a particular illustration of the more general phenomenon of “moderately secular” states, and considers how one might understand its relations to religion. The paper then considers the applicability to this case of three theoretical concepts drawn from liberal political philosophy, namely neutrality, toleration and recognition, while simultaneously using the case to suggest ways in which standard understandings of these concepts may be problematic and have to be refined.
FR:
L’article fournit une discussion théorique, avec comme point de départ le cas du Danemark, de certaines questions théoriques concernant la relation que les États libéraux peuvent entretenir avec la religion en général et les minorités religieuses en particulier. La philosophie politique libérale a longtemps tenu pour acquis que les États libéraux devaient être neutres sur le plan religieux. L’article s’interroge sur le statut de l’État libéral quant à la religion et aux minorités religieuses si cet État n’est pas strictement neutre avec une pleine séparation de l’Église et de l’État ainsi que de la religion et du politique. Afin d’éclairer cette question, l’article se penche sur le cas particulier d’un État pouvant être raisonnablement qualifié d’État libéral, l’État danois, lequel est utilisé en tant qu’illustration particulière du phénomène plus général des États « modérément séculiers », et il considère comment son rapport à la religion peut être conçu. L’article considère ensuite l’applicabilité à ce cas particulier de trois concepts issus de la philosophie politique libérale, en l’occurrence la neutralité, la tolérance et la reconnaissance, tout en se servant de manière simultanée de ce cas afin de suggérer des raisons pour lesquelles les compréhensions standards de ces concepts peuvent être problématiques et doivent être affinées.
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Nationalism, Secularism and Liberal Neutrality: The Danish Case of Judges and Religious Symbols
Nils Holtug
pp. 107–125
AbstractEN:
In 2009, a law was passed in the Danish parliament, according to which judges cannot wear religious symbols in courts of law. First, I trace the development of this legislation from resistance to Muslim religious practices on the nationalist right to ideas in mainstream Danish politics about secularism and state neutrality – a process I refer to as ‘liberalization’. Second, I consider the plausibility of such liberal justifications for restrictions on religious symbols in the public sphere and, in particular, for the ban on the wearing of religious symbols by judges. I argue that such justifications are flawed and so are not plausible corollaries of anti-Islamic justifications originating on the nationalist right.
FR:
En 2009, le Parlement danois a voté une loi qui stipule que l’interdiction pour les de porter des signes religieux dans les tribunaux. Dans ce texte, je retrace en premier lieu le développement de cette législation, depuis la résistance aux pratiques musulmanes de la droite nationaliste jusqu’aux idées répandues dans la politique danoise à propos du sécularisme et de la neutralité d’État – un processus que je qualifie de « libéralisation ». En second lieu, je considère la plausibilité de telles justifications libérales en ce qui concerne les restrictions sur la présence de symboles religieux dans la sphère publique et, en particulier, l’interdiction faite aux juges de porter des signes religieux. Je défends l’idée que de telles justifications sont déficientes et ne constituent pas des corolaires plausibles des justifications antimusulmanes en provenance de la droite nationaliste.
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Multicultural Multilegalism – Definition and Challenges
Morten Ebbe Juul Nielsen
pp. 126–154
AbstractEN:
Multilegalism is a species of legal pluralism denoting the existence of quasi-autonomous “minority jurisdictions” for at least some legal matters within a “normal” state jurisdiction. Multiculturalism in the advocatory sense might provide the justification for establishing such minority jurisdictions. This paper aims to provide 1) a detailed idea about what such a multicultural multilegal arrangement would amount to and how it differs from certain related concepts and legal frameworks, 2) in what sense some standard multicultural arguments could provide a starting point for seriously considering multicultural multilegalism in practice, 3) how the idea fares against some standard liberal criticisms, and finally 4), to point out three salient problems for multilegalism, concerning a) choice of law problems, b) a dilemma facing us as to whether state supremacy should be upheld or not, and c) clashes with basic human rights.
FR:
Le multi-légalisme est une espèce de pluralisme légal qui dénote l’existence de « juridictions minoritaires » quasi-autonomes, au moins en ce qui concerne certains domaines légaux au sein d’une juridiction d’État « normale ». Dans son acception juridique, le multiculturalisme peut justifier la mise en place de telles juridictions minoritaires. Cet article vise à 1) fournir une idée détaillée de ce à quoi un arrangement multilégal pourrait ressembler et de quelle manière celui-ci diffère de certains concepts et modèles juridiques afférents, 2) évaluer la pertinence d’arguments multiculturels standards comme point de départ pour sérieusement considérer la pratique multilégale, 3) voir comment cette idée répond à certaines critiques libérales classiques, et 4) souligner trois problèmes importants pour le multilégalisme concernant a) les problèmes de choix de la loi, b) le dilemme de savoir si la suprématie de l’État doit être maintenue ou non, et c) les tensions avec les droits humains fondamentaux.
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Beyond Objective and Subjective: Assessing the Legitimacy of Religious Claims to Accommodation
Daniel Weinstock
pp. 155–175
AbstractEN:
There are at present two ways in which to evaluate religiously-based claims to accommodation in the legal context. The first, objective approach holds that these claims should be grounded in « facts of the matter » about the religions in question. The second, subjective approach, is grounded in an appreciation by the courts of the sincerity of the claimant. The first approach has the advantage of accounting for the difference between two constitutional principles : freedom of conscience on the one hand, and freedom of religion on the other. It has the disadvantage of transforming courts into expert bodies on religious matters. The subjective approach has a harder time accounting for the distinction. It also risks giving rise to a proliferation of claims. A plausible synthesis between the two approaches requires that we uncover the normative grounds justifying the granting by liberal democracies of religious accommodation. An analogous argument to that put forward by Kymlicka in the case of minority nations identifies the interest that citizens have in being able to exercise their « cultural agency » : the creative reappropriation and reinterpretation of the rituals, practices and norms of religious traditions.
FR:
Il existe à l’heure actuelle dans le contexte juridique deux principales approches à l’évaluation de la légitimité des demandes d’accommodement pour des motifs religieux. La première, objective, affirme que ces demandes doivent pouvoir s’appuyer dans des faits concernant la religion en question. La seconde, subjective, s’appuie sur l’appréciation de la sincérité de la demande faite par le requérant. La première approche a l’avantage de rendre compte de la distinction entre les deux principes constitutionnels que sont, d’une part, la liberté de conscience, et de l’autre, la liberté de religion. Elle a l’inconvénient de tendre à ériger les tribunaux en « experts » sur des questions religieuses. L’approche subjective rend plus difficilement compte de la distinction entre les deux principes, et de plus risque de donner lieu à une prolifération de demandes. Pour atteindre une synthèse plausible de ces deux approches, il nous faut identifier les fondements normatifs justifiant l’intérêt que les démocraties libérales ont à reconnaître une telle catégorie d’accommodements. En prenant appui dans le célèbre argument de Kymlicka justifiant les droits de nations minoritaires, nous pouvons identifier un intérêt que ces types d’État ont à protéger les conditions permettant aux citoyens de manifester leur « agentivité culturelle », leur capacité à s’identifier en se les réappropriant et en les réinterprétant les normes, pratiques et rites issues de traditions religieuses.
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Immigrants, Multiculturalism, and Expensive Cultural Tastes: Quong on Luck Egalitarianism and Cultural Minority Rights
Kasper Lippert-Rasmussen
pp. 176–192
AbstractEN:
Kymlicka has offered an influential luck egalitarian justification for a catalogue of polyethnic rights addressing cultural disadvantages of immigrant minorities. In response, Quong argues that while the items on the list are justified, in the light of the fact that the relevant disadvantages of immigrants result from their choice to immigrate, (i) these rights cannot be derived from luck egalitarianism and (ii) that this casts doubt on luck egalitarianism as a theory of cultural justice. As an alternative to Kymlicka’s argument, Quong offers his own justification of polyethnic rights based on a Rawlsian ideal of fair equality of opportunity. I defend luck egalitarianism against Quong’s objection arguing that if choice ever matters, it matters in relation to cultural disadvantages too. Also, the Rawlsian ideal of fair equality of opportunity cannot justify the sort of polyethnic rights that Quong wants it to justify, once we set aside an unwarranted statist focus in Quong’s conception of fair equality of opportunity. Whatever the weaknesses of luck egalitarianism are, the inadequacy of the position in relation to accommodating cultural disadvantages of immigrants is not among them.
FR:
Kymlicka a offert une justification égalitarienne de la chance influente en faveur d’un catalogue de droits polyethniques visant les désavantages culturels dont souffrent les minorités migrantes. En réponse, Quong argue du fait que, si les éléments d’un tel catalogue sont justifiés, parce que les désavantages pertinents dont souffrent les migrants résultent de leur choix d’immigrer, (i) ces droits ne peuvent être dérivés de l’égalitarisme de la chance (ii) ce qui nourrit des doutes quant à l’égalitarisme de la chance en tant que théorie de la justice culturelle. En tant qu’alternative à l’argument de Kymlicka, Quong offre sa propre justification des droits polyethniques basée sur l’idéal rawlsien de juste égalité d’opportunités. Dans cet article, je défends l’égalitarisme de la chance contre l’objection de Quong en vertu du fait que si le choix compte, il compte également en ce qui concerne les désavantages culturels. En sus, l’idéal rawlsien de juste égalité d’opportunités ne peut justifier le type de droits polyethniques que Quong désire lui faire justifier, une fois mise de côté la coloration statiste injustifiée au sein de la conception de la juste égalité d’opportunités avancée par Quong. Quelles que soient les faiblesses de l’égalitarisme de la chance, son caractère inadéquat quant à l’accommodement des désavantages culturels dont souffrent les migrants n’en fait pas partie.