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Le terme gang évoque généralement une organisation criminelle où violence et drogue sont omniprésentes. Alors, qui sont les Ñetas ? Dans cet ouvrage qui compte dix chapitres, l’anthropologue Martin Lamotte, chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), dévoile une ethnographie et une immersion chez les Ñetas étalées sur quatre ans (de 2011 à 2015). Avec ce travail, il souhaite comprendre comment un « gang criminel » comme celui des Ñetas peut aussi nous aider à mieux saisir nos sociétés contemporaines. Plusieurs histoires circulent autour du mot Ñetas ; il pourrait s’agir du diminutif de puñeta, une insulte utilisée dans les prisons portoricaines. Tout au long de son ouvrage, l’auteur dévoile différentes facettes des Ñetas, celles d’un groupe violent de bandits sociaux, d’un groupe aux ramifications internationales et de son déclin. Entre 1990 et 2000, les Ñetas furent considérés comme l’un des gangs les plus violents de New York. Cependant, une grande majorité des membres refusent cette étiquette de « gang » et préfèrent être vus comme une association de défense des droits.

L’histoire particulière des Ñetas, appelés aussi La Asociación, a pour point de départ les prisons portoricaines. En 1981, l’assassinat du leader charismatique dans la prison fédérale de Oso Blanco (Porto Rico) marqua la naissance de La Asociación. Avec les différentes vagues d’immigration de Portoricains aux États-Unis et la politique de « tolérance zéro » dans les années 90 à New York, le groupe s’implante dans le système carcéral à partir de Rikers Island. Il sera catégorisé comme un « gang de rue » par les autorités. Des prisons portoricaines au South Bronx à New York, de Madrid à Barcelone en Espagne jusqu’à Guayaquil en Équateur, en passant par l’Italie et le Chili, l’auteur nous présente un point de vue inédit sur une organisation dite « criminelle ».

En automne 2011, après plusieurs rencontres avec Bebo (travailleur social dans le South Bronx et ancien chef du gang), Lamotte a réussi à le convaincre d’organiser une rencontre avec des membres actifs des Ñetas. Après de longues négociations, un premier contact a lieu en décembre 2011 avec deux membres du groupe. À la suite de cette prise de contact où Lamotte a pu présenter son projet, une entrevue est organisée avec le chef des Ñetas de New York. Ce dernier lui donne son approbation et il intègre la vie du groupe, assiste à certaines réunions, participe aux événements et aux soirées, et mène des entretiens. En sus de l’histoire du groupe, Lamotte s’intéresse à leurs combats et engagements pour les laissés-pour-compte. Il nous présente un groupe avec une structure hiérarchique qui a deux pôles importants, Porto Rico et New York. Le Líder máximo (localisé dans une prison portoricaine) dirige à distance les différents chapters, qui sont les groupes de New York, et les capítulos, pour les groupes en Espagne et en Équateur. Néanmoins, à New York après 1995, est mis en place un processus de centralisation des différents chapters avec la constitution d’une Junta central, accompagné d’un processus de « pacification » avec les autres gangs (Latins Kings, Zoulous, Bloods) et d’un processus de diffusion de l’histoire du groupe et de celle de son leader, des règles et de la discipline à suivre ainsi que des valeurs politiques au niveau international. Par ce processus, l’auteur a mis en évidence la volonté de ne plus être associé à la violence, à la vente d’armes et de drogue et aussi une certaine harmonisation de La Asociación à l’international.

La grande majorité des membres qui composent La Asociación sont d’anciens détenus marginalisés qui n’ont pas accès au plein-emploi et qui doivent faire face à une paupérisation. Lamotte a pu participer à plusieurs actions de sensibilisation menées et financées par les Ñetas, dans le but d’améliorer les conditions de vie des habitants du South Bronx : barbecue, repas pour les sans domicile fixe, également des manifestations contre les violences policières, contre les fouilles et les contrôles au faciès. En plus des actions sur le terrain, il y a la création d’un fonds commun appelé le Fondo, pour aider les membres du groupe et leurs familles qui sont en difficulté financière. Malgré cette mise en avant lors d’événements communautaires et la volonté d’améliorer les choses, on peut comprendre que les Ñetas ne souhaitent pas médiatiser leurs actions « philanthropiques » et les leaders restent discrets.

À travers une riche ethnographie, Lamotte entend s’éloigner des mythes qui entourent les gangs, qui consistent à ne les voir que comme des organisations violentes et criminelles. C’est en allant au-delà de ces mythes qu’il a pu entrer dans la vie des Ñetas. Développant une complicité amicale avec quelques membres et leurs familles (surtout à New York et à Barcelone), l’auteur fait se succéder, au fil des chapitres, des moments de vie, et a accès dans une certaine mesure, à leur quotidien et leur intimité. Au cours de ses discussions, une évidente nostalgie du passé se fait ressentir, mais les membres interrogés préfèrent mettre l’accent sur leur engagement social et politique et sur le renouveau du groupe avec leurs actions communautaires pour l’amélioration des conditions de vie. Un des points forts de ce travail se trouve dans la variété d’écritures mêlant des modes narratifs, subjectifs et analytiques. Cette lecture nous offre une vision plus humaine d’un « gang », avec une solidarité financière, l’assurance du bien-être et la protection de communautés défavorisées et oubliées des autorités.