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L’île Maurice est un grand symbole du métissage que l’on perçoit dans les contextes postcoloniaux. Comme en Amérique du Sud ou ailleurs, les habitants y construisent leur identité à partir d’un passé esclavagiste, de migration et surtout de lutte pour survivre loin de leurs origines. C’est dans ce contexte colonial et postcolonial — où l’esclavage apparaît comme un élément important dans le processus de construction d’une nation indépendante — que Mathieu Claveyrolas dresse le portrait socioreligieux des communautés locales et plus particulièrement de l’« hindouisme mauricien ».
Claveyrolas, chargé de recherche au Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud à l’École des hautes études en sciences sociales (Paris), présente, dans un premier temps, sa recherche et sa méthodologie fondée sur des années d’observations — plusieurs séjours de terrain ont été financés par son laboratoire de recherche entre 2008 et 2015 — et d’entretiens avec les Mauriciens au-delà d’une vaste étude bibliographique sur l’histoire de ce territoire en tant que recherche sur l’« hindouisme mauricien ». Son objectif, dans Quand l’hindouisme est créole, est de montrer les particularités des pratiques hindoues de l’île Maurice et non pas simplement leurs différences par rapport à l’hindouisme vécu en Inde. Comme l’auteur le souligne, son ethnographie ne vise pas à illustrer les modifications éventuelles de la croyance hindoue au regard de la migration et de la diaspora qui en est issue. Elle porte plutôt sur la configuration de l’hindouisme tel qu’il est pratiqué à l’île Maurice.
À partir d’une définition de l’hindouisme mauricien comme « créole et de plantation » (p. 10), c’est-à-dire une pratique hindoue née en raison de l’invisibilité de la population créole face aux élites locales, l’auteur situe sa recherche à la lumière des particularités de la réalité mauricienne : d’une part, un hindouisme ordinaire, celui des fidèles qui le pratiquent au quotidien ; de l’autre, la créolité envisagée par l’auteur comme une identité générée au sein de la structure économique et sociale qu’est la plantation.
Quand l’hindouisme est créole est divisé en trois parties. La première s’intéresse à l’histoire de l’île Maurice depuis la prise de l’archipel par les Hollandais au XVIe siècle, en passant par le pouvoir français, jusqu’à ce qu’il devienne une colonie britannique au XIXe siècle. Territoire de « peuplement », l’absence d’un peuple autochtone est soulignée par l’auteur comme une façon de développer une source de richesses pour les économies européennes profitant de la prise de l’île pour la production sucrière au tournant du XVIIIe siècle. Après l’abolition de l’esclavage par les Britanniques, en 1835, la politique de « l’engagisme », le recrutement de travailleurs « volontaires » liés par un contrat de cinq ans, fut mise en place et donna lieu à une diaspora indienne massive.
Comme d’autres anthropologues qui ont mené des travaux sur la formation d’une nation née du métissage — notamment Gilberto Freyre, avec son ouvrage Maîtres et esclaves (1978) portant sur la formation de la nation brésilienne et le développement des rapports de race au Brésil —, Claveyrolas documente l’histoire mauricienne et ses rapports avec l’hindouisme. Ainsi l’auteur raconte, dans la deuxième partie de l’ouvrage, l’histoire de vie d’un entrepreneur mauricien, Reynolds, fils de migrants indiens de Pondichéry convertis au catholicisme. L’auteur suit son parcours depuis sa naissance jusqu’à sa réussite économique, qui a fait de lui l’un des grands entrepreneurs de la région.
Dans la dernière partie, Claveyrolas analyse les particularités de l’hindouisme mauricien tout en montrant comment les enjeux religieux s’inscrivent à la fois dans le colonialisme et dans la construction d’une nouvelle identité. Il s’intéresse de même aux rapports entre le mouvement à travers l’océan Indien et la reconfiguration d’une structure basée sur l’idée-valeur des « castes », aux lieux de culte et aussi aux liens entre plantation, sacré et dévotion hindoue.
Par une ethnographie de la religion hindoue menée à l’île Maurice, Claveyrolas révèle à son lecteur une réalité conflictuelle où l’identité est construite en relation avec les origines indiennes et africaines de la population. Quand l’hindouisme est créole est une oeuvre dédiée à donner la voix à un nouveau visage de l’hindouisme exploré par l’anthropologie classique, fondamentale pour penser les relations entre les élites locales, la construction d’une identité ambiguë et la religiosité comme acteur au sein de la construction d’une identité nationale.
Appendices
Référence
- Freyre G., 1978, Maîtres et esclaves. Paris, Gallimard.