L’ouvrage publié conjointement sous les noms de l’anthropologue africaniste français Jean-Loup Amselle et du philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, En quête d’Afrique(s). Universalisme et pensée décoloniale, est une conversation virtuelle en 17 chapitres qui se répondent plus ou moins, quoique la taille de ces chapitres soit très variable (entre 2 et 25 pages). Restituant une conversation en face à face, une brève introduction et une assez longue conclusion de 35 pages qui la contrebalance encadrent la discussion-conversation. Le tout est préfacé par le spécialiste des littératures africaines et postcoloniales Anthony Mangeon, qui présente longuement les deux auteurs en présence et leurs attendus. Enfin, une bibliographie des ouvrages et des principaux articles des deux auteurs clôture le tout, Amselle ayant rédigé un texte de plus, soit une petite vingtaine de pages de plus que Diagne (115 pages versus 98 pages). Les différents textes se répondent plus ou moins puisque les deux auteurs sont d’accord sur leurs désaccords, ou l’inverse, selon le point de vue adopté par le lecteur. Cependant ces textes restent à l’état brut en quelque sorte, les réponses et les objections étant regroupées chaque fois dans le chapitre suivant. Cela est regrettable et laisse entendre que chacun campe sur ses positions tout en reconnaissant la pertinence, mais peut-être pas tous les bienfondés, des commentaires « adverses ». Car si les deux chercheurs-penseurs se rejoignent dans la critique des positions décoloniales, voire postcoloniales, ils se séparent sur le rapport à l’universel et surtout sur le contenu des prises de position portant entre autres sujets sur l’islam de l’Afrique de l’Ouest, sur la nature et le statut des langues africaines, sur les droits de l’homme. Certains points sont abordés avec un regard pointu (l’islam, les langues africaines, l’ethnologie coloniale française, par exemple), mais le genre de l’ouvrage reste l’essai, malgré sa construction commune particulière. Ainsi ne trouvera-t-on pas de réflexions méthodologiques portant sur les pratiques anthropologiques de terrain adoptées ou à adopter dans les sociétés africaines contemporaines pas plus que sur la manière d’exercer le métier de philosophe aujourd’hui en Afrique ou s’intéressant à l’Afrique. J’emploie l’expression « chercheur-penseur » à dessein puisque, pour l’essentiel, nous en restons à des généralités, à des points de vue, à des opinions ou à des prises de position à prendre ou à laisser. Le lecteur ne trouvera pas dans ces pages un programme de réflexions conceptuelles ou de recherches empiriques à mettre en place pour approfondir la problématique critique privilégiée par les deux auteurs. Il paraît en effet assez difficile de s’immiscer dans ce dialogue sans prendre parti soit pour le philosophe soit pour l’anthropologue, d’autant que l’auteur de cette chronique-ci ne peut se retenir de s’interroger sur certaines positions, plus liées, selon lui, à une connaissance insuffisante (ou, ce qui lui semble plus grave, en fait, à une forme d’ignorance volontaire) des travaux analytiques disponibles sur tel ou tel thème, positions totalement découplées par ailleurs des politiques à mettre en oeuvre pour africaniser véritablement le travail intellectuel et scientifique des chercheurs africains d’Afrique. Sur ce seul point le titre de l’ouvrage est fautif ou trompeur, car la quête de ou l’enquête sur l’Afrique/les Afriques disparaît derrière une mise en exergue permanente par les auteurs de leurs propres terrains, ce qui réduit l’Afrique à la portion congrue d’une Afrique de l’Ouest, occidentale qui plus est ! L’universalisme a beau être en proie aux postures post-décoloniales, les trois quarts au moins de l’expérience historique, sociopolitique et culturelle du continent africain ne sont pas du tout pris en considération dans les problématiques des auteurs et leurs critiques, ce qui est considérable. Cet ethnocentrisme objectivé et …
Appendices
Références
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