Que l’on parle des vagues de suicides dans les entreprises de téléphonie en France, de l’engorgement des salles d’urgence dans les hôpitaux en Amérique du Nord ou encore de la crise du logement dans les communautés autochtones au Canada, la notion de « service public » est omniprésente dans l’actualité et dans les débats politiques et idéologiques. Que ce soit au sein des sociétés américaines ou européennes, dans des contextes postsoviétiques ou postcoloniaux, du côté des agents gouvernementaux ou des groupes minoritaires, les individus expriment fortement leur attachement aux services de l’État, mais en même temps ils accablent celui-ci de tous les maux : les services publics coûtent cher, ils sont inefficaces, ils sont insuffisants, les fonctionnaires ne travaillent pas assez, l’argent public est mal investi, etc. Au même moment, on demande plus d’entreprises publiques, plus de moyens donnés à l’hôpital, à la prison, à l’école, et la continuité de ces services dans les communautés éloignées des grands centres administratifs. S’il est bien un vocable qui cristallise les lieux communs et les incompréhensions, c’est assurément celui de service public. Les services publics recouvrent en effet deux dimensions qui s’entrechoquent. Ils sont à la fois des instruments de l’État, lui servant à gouverner et à contrôler les populations dont il a la responsabilité, et ils représentent également une institution sociale garantissant la préservation de droits collectifs souvent acquis à la suite de longues luttes. Ils sont en ce sens des lieux de négociation et de tension des sociétés contemporaines (Dardot et Laval 2014 : 514–522). Poser un regard anthropologique sur les services publics est ainsi l’occasion de saisir sur le vif la fabrication du lien politique. Cependant, la plupart du temps, les services publics sont analysés de façon isolée, soit dans leur contexte national respectif soit dans des domaines particuliers, sans que soit envisagée une comparaison plus générale. Ce numéro spécial d’Anthropologie et Sociétés propose donc de repenser les services publics tout en dépassant ces frontières, en comparant les dynamiques politiques ayant trait aux services publics dans des domaines divers (gestion de l’eau, planification urbaine, éducation, loisirs, fonction publique) et à partir de recherches effectuées sur des terrains diversifiés (Canada, Italie, Mexique, Ouzbékistan, Taïwan, Indonésie). Il explore la façon dont la question du service public engendre, dans diverses sociétés, le bouleversement de relations politiques et s’intéresse à la manière dont ces relations, entre les acteurs sociaux et les institutions politiques, sont retissées. Nous proposons d’articuler cette réflexion avec le concept de « commun », pris dans ses dimensions empiriques et heuristiques. L’objectif ici est d’arrimer l’étude des services publics aux débats contemporains omniprésents sur le commun, et ainsi de participer aux réflexions théoriques sur la gouverne du commun. Ce croisement de perspectives offre également l’occasion de mener une réflexion critique sur les enjeux épistémologiques qui peuvent conduire à l’acceptation et à l’utilisation des concepts de « service public » et de « commun » pour la construction d’un savoir anthropologique. Polysémique et complexe, la notion de « service public » peut être comprise en tant qu’« activité d’intérêt général assumée ou assurée par une personne publique ». Le service public peut effectivement faire référence à une activité, mais ce terme peut aussi s’appliquer à des missions résultant d’impératifs sociaux. Il peut ainsi correspondre au statut de la fonction publique, être synonyme de mode de gestion — celui des entreprises publiques — et, enfin, évoquer une situation de monopole. Au sein d’un même État, une entreprise de service public renvoie ainsi à une complexité et à une multiplicité de statuts (Gallenga 2012 : 7). Les services publics concernent à la …
Appendices
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