Dans cet ouvrage, l’anthropologue Mondher Kilani propose une analyse originale des transformations politiques et sociales qui ont marqué la Tunisie à partir des événements révolutionnaires de 2010-2011 et ont entraîné la chute du régime dictatorial de Ben Ali et mené à la transition démocratique. À travers ses multiples questionnements, l’auteur engage le lecteur dans une profonde réflexion sur le pouvoir, le politique et le changement social, en montrant tout l’intérêt de la démarche anthropologique pour la compréhension de ces phénomènes. Comme le titre l’indique, cet ouvrage est avant tout une collection de matériaux ethnographiques – de « carnets » – que l’anthropologue a pu constituer à partir d’un long travail d’observation participante et d’une implication directe dans son terrain d’étude. En raison du caractère instable de la réalité étudiée, Kilani renonce à proposer une analyse surplombante et univoque des processus politiques et sociaux en question, mais privilégie l’immédiateté des discours et la multiplicité des points de vue des acteurs sociaux. Ce parti pris méthodologique découle de la volonté de faire une « histoire du présent », et d’étudier la société « en train de se faire ». Il n’interdit cependant pas la montée en généralité. Tout au long de l’ouvrage, l’auteur essaie en effet d’identifier les logiques universelles à la base des événements particuliers observés sur son terrain, par le biais de la comparaison avec d’autres contextes sociopolitiques et historiques. Dans la première partie de l’ouvrage (chapitres 1 à 5), l’auteur se penche sur les étapes initiales de la Révolution. Il s’interroge sur les conditions matérielles et symboliques qui ont permis la mobilisation du peuple tunisien, après plus de 50 ans de dictature sous les présidents Bourguiba et Ben Ali. Longtemps expropriés d’eux-mêmes, les Tunisiens ont réussi à se défaire du pouvoir du tyran et sont descendus de manière pacifique dans la rue pour revendiquer leur dignité. Le mouvement révolutionnaire a surpris pour sa composition sociale hétérogène, faisant converger des franges très différentes de la population, au-delà des clivages de classe, de genre, de culture et de religion. Pour penser cette diversité, l’anthropologue a recours à la notion de « multitude » (Hardt et Negri 2006), qu’il préfère à celle de « peuple », trop uniformisante et simpliste. Par le biais de cette notion, il s’agit de comprendre comment une multiplicité d’identités singulières peut engendrer une cause commune, en raison de l’expérience partagée de l’exploitation et de l’injustice qui les relie. Le mouvement révolutionnaire a commencé avec la révolte des chômeurs, des jeunes et des pauvres, des villes et des campagnes délaissées de l’intérieur du pays. Sur cette base s’est ensuite développée une prise de conscience plus générale par d’autres groupes sociaux et dans d’autres régions du pays, qui se sont mobilisés à leur tour. Des nouvelles formes de lien social ont ainsi vu le jour, dans un mouvement de solidarité, de coopération et d’échange qui a traversé l’ensemble de la société. La deuxième partie de l’ouvrage (chapitres 6 à 9) interroge les processus politiques qui ont suivi les événements révolutionnaires. Dans l’espace de possibilité ouvert par la Révolution, il a été question de construire des nouvelles structures politiques visant à favoriser la démocratie et la participation citoyenne. Dans ce cadre, le pouvoir de la multitude a très vite fait l’objet d’une captation par le jeu politique, tout d’abord par le biais de l’élite des proches de Ben Ali, qui a gardé la mainmise sur le gouvernement de transition, puis à travers les partis politiques qui ont instrumentalisé et détourné les revendications populaires, en engendrant des nouveaux clivages au sein de la société civile. La troisième partie du livre (chapitres …
Appendices
Références
- Foucault M., 1976, Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir. Paris, Éditions Gallimard.
- Hardt M. et T. Negri, 2006, Multitude. Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire. Paris, Éditions La Découverte.