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C’est presque un cliché de parler de la place de l’islam dans l’actualité. Dans un sens, nous savons tous pourquoi. Si depuis quelques années, nous côtoyons un nombre grandissant de musulmans au Québec, il reste que l’islam reste une religion sujette à l’incompréhension. Dans l’idée de répondre aux interrogations concernant l’islam contemporain, l’ouvrage L’islam. Regards en coin se donne pour objet de fournir des réponses à plusieurs des questions posées au quotidien sur le monde islamique.
L’ouvrage collectif de huit articles (en plus de l’introduction et de la conclusion), rédigé sous la direction de Samia Amor, Mohamed Fadil et Patrice Brodeur, tous les trois chercheurs à la Chaire de recherche du Canada Islam, Pluralisme et Globalisation (CRC-IPG) de l’Université de Montréal, fait une présentation des différentes perceptions de l’islam contemporain sur trois axes – la connotation politique, les femmes et l’islam, et l’application de la pensée islamique au Québec – en utilisant une approche historico-critique : les auteurs tentent de démystifier certaines notions et problématiques reliées à l’islam en faisant référence à la signification originale des termes et en analysant l’évolution de ces termes dans leur contexte historique.
Du fait que les critiques dont l’ouvrage se fait l’écho sont basées entièrement sur des données historiques, la qualité méthodologique de l’ouvrage repose sur la qualité bibliographique et analytique des articles. Au niveau bibliographique, la documentation est excellente et les auteurs s’efforcent d’analyser les perspectives de leurs prédécesseurs sur le sujet. Mohamed Fadil mérite une mention particulière à cet égard pour son analyse du concept de l’islamisme, qui couvre aussi bien la façon dont les arabophones approchent le concept, que les différentes interprétations du concept dans son contexte historique, et la validité de la thèse du post-islamisme.
Les articles ont en commun un cadre théorique rassemblant les trois concepts d’« islam », d’« islamisme » et d’« islamique ». Le premier est le plus simple à comprendre : il s’agit ici de la religion des croyants du Coran. Les concepts « islamisme » et « islamique » sont plus difficiles à définir car ils sont souvent utilisés de façon interchangeable et leur définition respective est contestée dans certains cercles académiques et culturels. Dans le contexte du livre, « islamisme » fait référence aux mouvements de revendications identitaires qui utilisent l’islam à des fins politiques. Le concept « islamique » s’applique aux croyances ou concepts propres à la religion musulmane dans des sphères de la vie publique. En d’autres mots, on peut dire que les islamistes défendent la légitimité du statu quo, alors que les islamiques affirment que l’islam est constitutif d’une relation dialectique avec la réalité des musulmans.
Les articles de Carmen Chouinard et Mounia Ait Kabboura sur le féminisme et l’islam nous offrent la meilleure application de ces concepts à des cas pratiques. Chouinard explique les différences entre les féministes islamiques, qui défendent que la justesse de Dieu rend irrecevable la discrimination des femmes par les hommes, d’une part, et les féministes islamistes, qui défendent la justesse du Coran et du devoir des femmes d’en suivre les règles, d’autre part. Cette défense du statu quo démontre ce que Chouinard veut dire quand elle parle de l’usage politiquement motivé de l’islam par les islamistes : pour ces derniers, le discours féministe n’est qu’une manière de confirmer la légitimité de l’idéologie islamiste.
Cette différenciation entre « islamistes » et « islamiques » est aussi explicitée dans le texte de Kabboura sur la controverse de la polygamie. L’article montre comment les deux groupes font l’herméneutique des règles coraniques de la polygamie, les interprétant comme des lois divines dans le cas des islamistes, et comme des recommandations contextuelles et historiques qui ne devraient pas être répétées dans l’ère moderne. Pour Kabboura, cette controverse « exprime l’hybridité de la société arabe et islamique » (p. 90). Dans le cas des femmes, elles vivent dans l’entrecroisement des systèmes culturels bédouins médiéval et moderne. L’analyse de l’herméneutique de ces deux systèmes amène Kabboura à conclure que le conflit interprétatif est beaucoup plus idéologique et politique que théologique.
Le format relativement court du livre le rend, en général, facile à comprendre, mais dans certains cas, il semble que cela soit au détriment des textes. Par exemple, l’article de Brahim Kerroumi donne par moment l’impression d’être incomplet, plusieurs paragraphes n’apportant pas les conclusions escomptées, ce qui rend le texte difficile à suivre. Qui plus est, il aurait été plus compréhensible s’il avait été mis à la place de celui de Mohamed Fadil le cadre théorique de l’ouvrage étant plus évident.
Pour terminer, L’islam. Regards en coin est un excellent ouvrage pour tous ceux qui désirent une présentation introductive du sujet de l’islam contemporain. Le format réduit des textes risque cependant de laisser plusieurs lecteurs sur leur faim. Les articles n’utilisant pas un vocabulaire très compliqué, ils sont appropriés pour tous ceux ayant peu de connaissances sur l’islam en général, bien qu’on puisse regretter qu’ils ne sortent pas vraiment des sentiers battus. Si ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, c’est certainement un point à considérer.