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Rédigé par Claudia Liebelt, docteure en anthropologie sociale de l’université de Halle en Allemagne, Caring for the “Holy Land”. Filipina Domestic Workers in Israel porte sur un sujet important, mais qui reste méconnu : la situation des travailleuses migrantes philippines en Israël.
Liebelt utilise une approche féministe dans l’étude de son sujet, qui est plus spécifiquement celui de la féminisation de la migration et de la place des femmes dans l’économie globale. Ce choix est motivé par un désir d’offrir une meilleure représentativité de la migration des femmes. Liebelt souhaite modifier l’image populaire des migrantes philippines, considérées comme de perpétuelles victimes d’inégalités raciales, de classe et d’oppression sexiste (p. 5). Mais ces femmes sont plus que de simples victimes du système. Elles sont aussi des agentes dont les décisions affectent la vie des Israéliens. Elles sont rentrées en Israël dans le but de subvenir aux besoins de leur famille, mais aussi avec l’ambition d’avoir accès à une vie meilleure, que ce soit en Israël ou ailleurs.
L’ouvrage est structuré en 6 chapitres, couvrant chacun un aspect du sujet principal. Le premier établit comment Israël gère la migration et comment les Philippins sont devenus les préposés aux personnes âgées préférés des Israéliens. Le deuxième dresse un portrait des Philippines qui immigrent en Israël et des problèmes auxquels elles font face. Le troisième expose le lien qui se construit entre les Philippines et les Israéliens dont elles s’occupent, en plus de présenter comment le rôle de domestique est décrit par les acteurs concernés. Le quatrième met en lumière comment les Philippins ont formé une communauté propre à eux, et comment cette communauté a été affectée par les lois anti-immigration de l’État israélien. Le cinquième porte sur le sud de Tel-Aviv, où se trouve la plus haute concentration de Philippins, et qui constitue le seul espace de la ville où ils ont pu affirmer leur place. Le dernier chapitre traite de la grande place que l’imaginaire du monde occidental occupe dans la décision des Philippins d’immigrer en Israël et ailleurs. Les sujets sont approfondis dans le détail et présentent le point de vue de plusieurs travailleurs philippins au travers de récits personnels.
Par exemple, le 3e chapitre, « Caring for the “Holy Land” », examine la relation que les préposées philippines entretiennent avec les bénéficiaires dont elles s’occupent. Considérant l’état précaire des immigrantes philippines, il va sans dire qu’une très forte inégalité plane sur la relation que celles-ci entretiennent avec leurs employeurs. Même si les deux parties concernées tentent d’occulter cet aspect d’exploitation dans leur narration, il est clair pour Liebelt qu’elle est présente. Cela dit, il serait tout aussi simpliste d’affirmer que les sentiments entretenus entre gardiens et employeurs sont dépourvus de sincérité. En relatant l’histoire de trois Philippines et de leurs employeurs respectifs, Liebelt montre la forme que prend cette dynamique de pouvoir ainsi que son effet sur les Philippines et leur employeur lorsque lesdites inégalités rentrent en conflit avec l’agencéité des Philippines, un aspect qui est exploré dans le 6e chapitre. Celui-ci expose comment le rêve d’une vie meilleure influence la décision de plusieurs Philippines de déménager dans un pays où elles seront mieux accueillies qu’en Israël ; rêve qui est influencé par l’État, mais qui affecte aussi les Israéliens dont elles s’occupent.
On peut regretter que certains éléments de discussion soient pauvres en données concrètes. Un exemple serait la féminisation du marché global des migrants et son impact sur les rôles de genre. Du fait de l’approche féministe adoptée dans l’ouvrage, les informateurs de Liebelt sont presque tous des femmes. Bien que cette posture soit compréhensible, le problème est alors que le livre ne fournit que des exemples de négociations des rôles de genre par des femmes, omettant la perspective des hommes, ce qui aurait offert un point de comparaison. Similairement, une recherche plus poussée sur ce qui influence, d’un point de vue local, les Philippins à quitter leur pays permettrait de mieux situer le contexte de cette recherche.
Cela mis à part, la contribution de l’ouvrage sur ce sujet relativement peu traité est appréciable. Même si la situation des migrantes philippines en Israël n’est pas exceptionnelle, elle s’inscrit dans une construction israélienne de l’immigration qui affecte autant les Philippines que les autres ethnies, particulièrement les Palestiniens, et la compréhension de la situation des unes contribue à une meilleure compréhension de celle des autres. Cette étude devrait donc intéresser toute personne qui cherche à mieux comprendre la situation du Proche-Orient, celle des Philippines ou encore les questions de migration en général.