Volume 39, Number 1-2, 2015 Liaisons animales : question d'affects Connecting with Animals: The Dynamics of Affects Vínculos con los animales: Cuestiones de afecto Guest-edited by Frédéric Laugrand, Michèle Cros and Julien Bondaz
Table of contents (24 articles)
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Présentation : les questions d’affects dans les liaisons animales
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Bêtes de terrain : savoirs et affects dans l’invention de l’ethnozoologie
Julien Bondaz
pp. 37–59
AbstractFR:
L’invention de l’ethnozoologie en Afrique de l’Ouest entre 1928 et 1960, à une période où l’ethnologie française se professionnalise et où de nouvelles méthodologies d’enquête de terrain sont mises en place, donne à voir la construction de savoirs inédits, à la croisée de l’ethnologie et de la zoologie. Les ethnologues africanistes de l’époque, et Marcel Griaule en premier lieu, entretiennent des relations variées et souvent privilégiées avec les animaux. Une certaine fascination pour la faune africaine joue à coup sûr un rôle dans l’intérêt scientifique que ces ethnologues développent pour les savoirs zoologiques locaux. Décrire les manières de faire de l’ethnozoologie oblige ainsi à tenir compte des manières dont les ethnologues sont affectés par les animaux concernés, à travers le goût qu’ils entretiennent pour la chasse, leurs pratiques de collecte et de capture, ou encore leurs gestes d’attachement.
EN:
The invention of ethnozoology in West Africa between 1928 and 1960, at a time when French ethnology is professionalized and where new methodologies of fieldwork are put in place, shows the construction of unpublished knowledge, at the crossroads of ethnology and zoology. The Africanist ethnologists of the time, Marcel Griaule in the first place, have varied and often privileged relationships with animals. A certain fascination for African wildlife certainly plays a role in the scientific interest that these ethnologists develop for local zoological knowledge. To describe the ways of doing ethnozoology thus requires to take into account the ways in which ethnologists are affected by the animals concerned, through the pleasure that they maintain for hunting, their collection and capture practices or even their gestures of attachment.
ES:
La creación de la etnozoología en África del oeste entre 1928 y 1960, en un periodo durante el cual la etnología francesa se profesionalizaba y se ponían en práctica nuevas metodologías de investigación de campo, permite ver la construcción de conocimientos inéditos, entre etnología y zoología. Los etnólogos africanistas de la época, Marcel Griaule en primer lugar, mantienen relaciones diversas y con frecuencia privilegiadas con los animales. Cierta fascinación por la fauna africana seguramente juega un rol en el interés científico que esos etnólogos desarrollan por los conocimientos zoológicos locales. Describir los procedimientos de la etnozoología nos obliga a tomar en cuenta las formas en que los etnólogos fueron afectados por los animales concernidos, a través del gusto que tienen por la cacería, sus maneras de acopio, de captura, e incluso sus gestos de apego.
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Bellina : belle « enfant » de France ou bonne soupe du Burkina
Michèle Cros
pp. 61–83
AbstractFR:
Nous sommes au Burkina, en pays lobi, lors d’un grand rituel de fécondité. L’ethnologue effectue une mission de terrain avec son jeune fils. On nous apprend que notre chienne (Bellina) est atteinte d’un mal foudroyant. On pourrait alléger sa souffrance à l’aide de soins palliatifs. L’enfant pleure celle qu’il considère comme une sorte de petite soeur. Les Lobi, mis au courant de cette situation, recommandent au contraire de tuer au plus vite Bellina afin d’en faire une bonne soupe, cynophagie oblige. Deux modes de représentations, d’affects et de comportements se retrouvent soudain mis en écho, discutés et commentés. Ils seront ici analysés à l’aide de narrations graphiques, de brèves de terrain recueillies dans le hors-champ de l’enquête et de récits aux allures de mythe. Mis en dialogues, ces éléments discursifs accentuent autant la violence de ces déliaisons croisées qu’ils mettent en évidence des liaisons vitales inattendues unissant l’homme au chien, en France comme au Burkina.
EN:
We are in Burkina, in the land of the Lobi, during a great fertility ritual. The ethnologist is in the field with her young son. A call from France : their dog (Bellina) is suffering from a terrible disease. They can reduce her suffering with palliative treatments. The child cries for the one he thinks of as his little sister. The Lobi, made aware of the situation, recommend instead putting her down as soon as possible in order to make a great soup of her, as the cynophagy ritual requires. Two different viewpoints, approaches and behaviours are suddenly face to face, discussed and commented on. They are analysed through graphic discussion, field anecdotes gathered from completely unrelated studies and stories of myth-like quality. Put forward, these rambling discussions highlight the violent disconnect as much as they reveal crucial and surprising links, uniting man to dog, in France and in Burkina.
ES:
Estamos en Burkina, en territorio lobi, durante un gran rito de fecundidad. El etnólogo realiza una misión de campo acompañado de su joven hijo. No enteremos que nuestra perra (Bellina) tiene una enfermedad incurable. Se podría disminuir su sufrimiento mediantes cuidados paliativos. Mi hijo llora por la perra a quien consideraba casi como una hermanita. Los Lobi al corriente del asunto recomiendan, al contrario, matar la más pronto posible a Bellina para así poder hacer una buena sopa, cinófagia obliga. Dos modos de representaciones, de sentimientos y de comportamientos se encuentran repentinamente en resonancia, discutidos y comentados. Aquí los analizaremos gracias a las narraciones gráficas, las noticias cortas del campo recogidas al margen de la encuesta y de narraciones con aires de mito. Dialogados, esos elementos discursivos acentúan tanto la violencia de los des-enlaces cruzados que evidencian los enlaces vitales inesperados que unen el hombre con el perro, en Francia como en Burkina.
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L’animal dans une société sans miroir : les Kasua de Nouvelle-Guinée
Florence Brunois-Pasina
pp. 85–101
AbstractFR:
L’article décrit les expériences éprouvées par les enfants kasua de Nouvelle-Guinée dès leur naissance et en l’absence d’une image réfléchie entière du soi humain. Cette description permet de mettre en valeur la manière dont la société kasua structure schématiquement les expériences au monde et les oriente vers un relationnement de type animiste.
EN:
This article describes experiences encountered by Kasua children of New Guinea from birth and in the absence of a reflective image of the human self. This description enables to highlight the way in which Kasua society schematically structures experiences worldwide and orients them towards an animist type relationship.
ES:
Este artículo describe las experiencias vividas por los niños kasua de Nueva Guinea a partir de su nacimiento y en ausencia de un reflejo de la imagen completa del ser humano. Esta descripción permite valorizar la forma en que la sociedad kasua estructura esquemáticamente las experiencias del mundo y las orienta hacia una relación de tipo animista.
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Amours sans frontières : nouveaux horizons de la zoophilie à l’époque de la libération animale
Sergio Dalla Bernardina
pp. 103–120
AbstractFR:
Consécutivement aux avancées de l’éthologie (l’animal pense, souffre, se projette même dans le futur), aux données de l’anthropologie (l’animal, dans de nombreuses sociétés, est considéré comme un sujet à part entière) et aux déductions de la philosophie (s’il est un sujet, il a donc des droits), nous assistons aujourd’hui à une révision de la frontière homme/animal. Cette remise en cause, illustrée par des ouvrages comme Animal liberation (1975) de Peter Singer, a des effets collatéraux : en « libérant » les animaux elle dédouane aussi, et rend donc représentable, toute une série de fantasmes liés à la sexualité entre espèces différentes. Concevable sur un plan logique, cette révolution pose des problèmes d’ordre symbolique. Les rumeurs rattachées aux pratiques zoophiles, avec leur cortège de traumatismes, de maladies et autres « sanctions » (naturelles et surnaturelles) nous rappellent que l’abolition des différences, sur le plan de l’imaginaire, a des effets catastrophiques : loin d’assurer la paix, elle engendre le désordre et alimente les conflits.
EN:
Following advances in ethology, leading to the idea that animals think, suffer and even make plans for the future ; data from anthropology, showing how many societies regard animals as individuals in their own right ; and deductions of philosophy, whereby if an animal counts as an individual then it has rights, the human/animal boundary is experiencing vast changes. This questioning, illustrated by works such as Animal Liberation (1975) by Peter Singer, has collateral effects : by « liberating » animals, other barriers are also broken down and thus a whole range of fantasies about inter-species sex can be imagined. Although logically conceivable, this revolution poses problems of a symbolic nature. Speculation about bestial practices, with their associated ensemble of injuries, diseases and other « punishments » (natural and supernatural) remind us that the removal of imaginary differences has catastrophic effects : far from ensuring peace, it creates disorder and fuels conflicts.
ES:
Consecuencia de las avances en la etnología (el animal piensa, sufre, incluso se proyecta en el futuro), de los datos de la antropología (el animal, en muchas sociedades, es considerado como un sujeto de pleno derecho) y de las reflexiones filosóficas (si hay un sujeto, lógicamente tiene derechos), actualmente asistimos a una revisión de la frontera hombre/animal. Este cuestionamiento, ilustrado por obras como Animal Liberation de Peter Singer, ha causado efectos colaterales : al « liberar » a los animales, se libera también, y por lo tanto se vuelven representables, a toda una serie de fantasmas ligados con la sexualidad entre especies diferentes. Concebible en el plan lógico, esta revolución provoca problemas de tipo simbólico. Los rumores relacionados con las prácticas zoófilas, con su cortejo de traumas, enfermedades y otras « sanciones » (naturales y sobrenaturales) nos recuerdan que la abolición de las diferencias, al nivel imaginario, tiene efectos catastróficos : lejos de asegurar la paz, se engendra el desorden y se alimentan los conflictos.
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Des hommes et des vaches : l’attachement entre les personnes et leurs bovins en pays Mursi (Éthiopie)
Jean-Baptiste Eczet
pp. 121–144
AbstractFR:
La relation pastorale entre les bovins et les Nilotes en Afrique de l’Est, caractérisée par une imbrication des deux collectifs, est communément désignée par cattle complex. La relation de subsistance côtoie des pratiques poétiques et plastiques, et on ne peut jamais observer l’un sans l’autre. Pourtant, dans la littérature sur ces pasteurs, le bovin est le plus souvent institué dans deux positions réductrices, soit le symbole, soit la ressource, qu’une disposition mentale vient lier : l’obsession. Celle-ci permettrait de justifier l’un par l’autre : soit l’idiome symbolique est si important qu’on le retrouve dans les usages pratiques, soit la ressource de production est si nécessaire qu’elle imprègne l’existence sociale et religieuse. Mais le bovin fournit une matière esthétique quotidienne et omniprésente et c’est l’attention à ces manières de produire des formes qui permet de rendre compte du bovin et de la relation pastorale. Cet article a pour objectif de montrer différentes formes bovines (à travers les noms, la poésie et les formes plastiques) et leur implication dans la vie des Mursi, une population d’agropasteur du sud-ouest éthiopien. Nous verrons alors que l’attachement entre les humains et les bovins est une disposition émergente d’un ensemble de pratiques mettant en relations les personnes.
EN:
The relation between cattle and Nilotic people in East Africa is characterised by the intermingling of two collectives commonly designated as « cattle complex ». Subsistence relationships and poetic practices are the two aspects of this complex ; one exists through the other and can thus never be observed separately. However, the existing literature reduces the cattle to two equally reductionist functions, either as symbol or as resource. These two functions are then linked through a mental disposition of herders : obsessiveness. This disposition permits, it is suggested, to justify one by the other : either the symbolic idiom is so important that it permeates practices, or the productive resource is so necessary that it permeates social and religious matters. Against this analysis, I argue that cattle in Mursi land offers people a ubiquitous aesthetic material. I thus suggest that paying attention to the processes through which these forms are produced allows accounting for pastoral relationships. In this article, I aim to show different cattle forms (e.g. names, poetries, plastic forms) and their involvement/uses in everyday life by Mursi agro-pastors who live in South-Western Ethiopia. I will show how the attachment between humans and their cattle is a disposition which emerges from an array of practices through which people relate to each other.
ES:
La relación pastoral entre el ganado y los pueblos nilóticos en África del Este, que se caracteriza por la imbricación de dos colectividades, ha sido comúnmente designada como cattle-complex. La relación de subsistencia yuxtapone prácticas poéticas y plásticas, y no es posible observar las unas sin las otras. No obstante, en la literatura de esos pastores, el bovino es frecuentemente instituido en dos posiciones reductoras, sea como símbolo, sea como recurso, posiciones enlazadas mediante una disposición mental : la obsesión, que permite justificar una por la otra : es decir que el lenguaje simbólico es tan importante que se le encuentra en los usos prácticos, y que el recurso productivo es tan necesario que impregna la existencia social y religiosa. Pero el bovino ofrece una materia estética cotidiana y omnipresente y es precisamente la atención a esas formas de producir formas que permite describir al bovino y a la relación pastoral. Este artículo tiene por objetivo mostrar diferentes formas bovinas (a través de los nombres, la poesía y las formas plásticas) y sus implicaciones la vida de los Mursi, una población agro-pastoral del sudoeste de Etiopia. Veremos pues que el apego entre los humanos y los bovinos es una disposición que emerge de un conjunto de prácticas que instauran relaciones entre las personas.
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La souffrance animale à distance : des vétérinaires dans l’action humanitaire
Frédéric Keck and Miriam Ticktin
pp. 145–163
AbstractFR:
Cet article étudie le rôle des vétérinaires dans l’humanitaire à partir de deux types de pratique : la défense des animaux contre la cruauté et la surveillance des animaux touchés par les épidémies. En suivant l’extension de l’action humanitaire aux animaux comme nouvelles figures de victimes innocentes, nous cherchons à dépasser l’approche compassionnelle de l’humanitaire pour étudier les nouvelles formes scientifiques impliquant des non-humains, comme la médecine vétérinaire légale, les neurosciences et l’immunologie. Nous soutenons finalement que ces sciences produisent de nouveaux collectifs d’humains et de non-humains.
EN:
This article traces the role of veterinarians in humanitarian action, focusing on two types of veterinary practice : the defense of animals against cruelty, and the surveillance of animals touched by epidemics. In particular, while we trace the extension of humanitarian action to animals as new types of innocent victims, we move from an exploration of humanitarianism as compassion to a study of new forms of science of the non-human, including veterinary forensic science, neuroscience, and immunology. Ultimately, we argue that these sciences are helping in the formation of new human-non-human collectives.
ES:
Este artículo aborda el rol de los veterinarios en lo humanitario a partir de dos tipos de práctica : la defensa de los animales contra la crueldad y la vigilancia de los animales afectados por epidemias. Siguiendo la extensión de la acción humanitaria hacia los animales en tanto que nuevas figuras de víctimas inocentes, tratamos de rebasar la perspectiva conmiseracionista de lo humanitario en el estudio de nuevas formas científicas que implican no-humanos, como la medicina veterinaria legal, las neurociencias y la inmunología. Finalmente sostenemos que esas ciencias producen nuevas colectividades de humanos y de no-humanos.
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De l’animal au trophée : réification ou relation amoureuse ?
Maxime Michaud
pp. 165–178
AbstractFR:
Dans l’industrie de la « chasse au trophée » telle que pratiquée de nos jours, il semblerait que l’animal soit largement réduit à une marchandise dont la valeur dépend du trophée potentiel qu’il représente : on est ainsi facilement tenté de croire que ce type de pratique constitue le niveau zéro de la relation à l’animal, en tout cas vu sous l’angle des considérations affectives. Mais une approche ethnographique permet de constater que le statut de l’animal dans cette situation est bien plus complexe : le trophée se conquiert au prix de constructions symboliques qui, plutôt que de nier le caractère vivant de l’animal, semblent au contraire tournées vers sa mise en condition pour pouvoir être abattu, ou plutôt être « fait trophée ». Du cadre physique (la zone de chasse et le campement) au cadre pratique (contraintes éthiques, évitements), tout est fait pour qu’il incarne le sauvage le plus authentique qui soit et qu’il prenne une grande valeur symbolique. Le trophée devient alors pour le chasseur une forme de sublimation de l’animal, dont son propriétaire s’approprie l’existence pour en jouir éternellement, à la manière d’un amant transi. Finalement, le safari de chasse incarne un type de relation à l’animal sauvage que l’on semble retrouver plus largement dans le monde occidental et qui se manifeste à travers d’autres types d’activités comme le safari-photo.
EN:
In today’s trophy hunting industry, the animal seems to be considered only as a commodity, which value depends on the potential trophy it represents. It is thus easy conclude that this activity forms the most basic kind of relationship with the animal, at least from an affective point of view. But an ethnographic approach allows us to note that in this situation, the status of the animal is more complex : the conquest of the trophy implies symbolic constructions which aim is, more than denying the livingness of the animal, to make it into peak condition for being killed, or, more precisely, for being changed into a trophy. From the physical frame (the hunting area and the basecamp) to the practical one (ethic constraints, avoidance), everything converges in order for this trophy to embody the most authentic wilderness, and to allow it to gain a grand symbolic value. The trophy becomes then for the hunter a kind of sublimation of the animal, which existence is appropriated by the owner so that he can eternally enjoy it, just like a bashful lover. Finally, the hunting safari embodies a kind of relationship to the wild animal that seems to exist more widely in the Western world, and that can be found especially in camera safaris.
ES:
En la industria de la « caza del trofeo » tal y como se practica en la actualidad, parecería que el animal ha sido ampliamente reducido a una mercancía cuyo valor depende del trofeo potencial que represente : eso nos hace pensar que ese tipo de práctica constituye el nivel cero de la relación con el animal, en todo caso, visto desde el ángulo de las consideraciones afectivas. Pero un acercamiento etnográfico permite constatar que el estatus del animal en dicha situación es bastante más complejo : el trofeo se conquista a costa de construcciones simbólicas que, más que negar el carácter vivo del animal, parecen al contrario volcarse hacia el condicionamiento para poder abatirlo o más bien para convertirlo « trofeo ». Del ámbito físico (la zona de caza, el campamento) al ámbito práctico (obligaciones éticas, precauciones), todo está hecho para que el animal encarne lo salvaje más auténtico posible y que adquiera un gran valor simbólico. El trofeo deviene así, para el cazador, una forma de sublimación del animal, cuyo propietario se apropia de su existencia para gozarla eternamente, como lo haría un amante aterido. Finalmente, el safari de caza encarna un tipo de relación con el animal salvaje que parece ampliamente difundida en el mundo occidental y que se manifiesta a través de otros tipos de actividades como el safari-foto.
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Émissaires des ancêtres : les oiseaux dans la vie et dans la cosmologie des Truku de Taïwan
Scott Simon
pp. 179–199
AbstractFR:
Les Truku de Taïwan, jadis reconnus pour l’art de la guerre et la chasse aux têtes humaines dans les forêts montagneuses de l’île, possèdent une riche connaissance de la faune et de la flore sauvages qui s’y trouvent. Les chasseurs et les horticulteurs observent le comportement des oiseaux pour le plaisir, pour protéger leurs semences et pour y déceler des signes divinatoires. L’oiseau appelé sisil (Alcippe à joues grises, Alcippe morrisonia), qui est devenu le symbole national des tribus sadyaq (seediq/sediq/sejiq) et truku, prédit le succès ou l’échec à la chasse. Le hibou et la chouette annoncent le sexe des enfants à naître. Un autre oiseau mystérieux augure la mort. Selon Lévi-Strauss, les systèmes divinatoires faisant appel aux oiseaux paraissent arbitraires, mais deviennent cohérents dans un contexte cosmologique plus large. Le présent article explore la cosmologie aviaire des Truku dans sa complexité historique et au fil des changements sociaux contemporains. Les ontologies naturelles ne sont pas simplement le reflet d’une cosmologie ou d’une culture, elles se transforment également en fonction d’une écologie politique plus vaste, à mesure que les êtres humains instaurent de nouveaux liens avec les êtres non humains.
EN:
The Truku of Taiwan, once known for the arts of warfare and for head-hunting in the mountainous forests of the island, possess rich knowledge of the wild fauna and flora found there. Hunters and horticulturalists observe bird behaviour for pleasure, to protect their crops, and for divinatory signs. The sisil bird (Grey-cheeked Fulvetta, Alcippe morrisonia), which has become the national symbol of both the Sadyaq (Seediq/Sediq/Sejiq) and Truku tribes, predicts success or failure in the hunt. The owl announces the sex of unborn children. Another mysterious bird augurs death. Systems of bird divination, according to Lévi-Strauss, seem arbitrary, but become coherent within the larger context of cosmology. This article explores the avian cosmology of the Truku within its historical complexity and across the social change of contemporary life. Natural ontologies are not merely reflections of cosmology or culture, but also change with the broader political ecology as people engage with non-human animals in new ways.
ES:
Los Truku de Taiwán, antiguamente reconocidos gracias al arte de la guerra y de la caza de cabezas en las montañas boscosas de la isla, poseen un rico conocimiento de la fauna y de la flora salvaje que en ellas se encuentra. Los cazadores y los horticultores observan el comportamiento de los pájaros por simple placer, para proteger sus semillas y en tanto que signos adivinatorios. El pájaro sisil (Fulveta carigris, Alcippe morrisonia) que se convirtió en el símbolo nacional de la tribu sadyaq (Seediq/Sediq/Segiq) así como de la tribu truku, predice el éxito o el fracaso en la caza. El búho anuncia el género de los niños antes de su nacimiento. Otro pájaro misterio augura la muerte. Los sistemas adivinatorios de los pájaros, según Lévi-Strauss, parecen arbitrarios, pero se vuelven coherentes en el contexto más amplio de la cosmología. Este artículo explora la cosmología aviaria de los Truku en su complejidad histórica y a través del cambio social de la vida contemporánea. Las ontologías naturales no son solamente reflexiones de la cosmología o de la cultura, sino también cambian de acuerdo con la ecología política a una escala más amplia, cuando los seres humanos establecen nuevas relaciones con los animales no humanos.
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« Faire crier le cochon » : divination et christianisation d’un rituel chez les Alangans de Mindoro (Philippines)
Frédéric Laugrand
pp. 201–227
AbstractFR:
Après un bref examen des liens que différentes sociétés établissent entre l’humain et le cochon, cet article décrit le pansula, un rituel de divination observé en 2012 chez les Alangans de Mindoro, aux Philippines. L’auteur montre comment le rituel se perpétue dans le contexte de la christianisation. Le porc/cochon y apparaît comme un médiateur entre différentes traditions. Doté de capacités divinatoires mais pas encore un agent à part entière, son corps et ses entrailles sont susceptibles d’informer les humains de leur futur destinée, à condition que ces derniers sachent interpréter les signes qu’il livre, d’où l’injonction que les participants réitèrent avant sa mise à mort : il faut savoir « faire crier » le cochon. Sa mort suscite peu d’affects de la part des Alangans qui attendent plutôt de lui qu’il facilite la communication entre les vivants, les non-humains et les ancêtres.
EN:
After a brief review of the various connections that different societies establish between humans and pigs, this paper describes the pansula practice, a divination ritual observed in 2012 among the Alangans of Mindoro, Philippines. The author shows how the ritual continues to be practised in the context of Christianization. Here, the pig appears as a mediator between different traditions. Endowed with a divination capacity, but not yet a full-fledged agent, his body and his entrails may inform people of their future destiny, provided that they listen to the signs that the pig will offer them. This explains the injunction participants always reiterate prior to the pig’s death : one must know how to make the pig « squeal ». The pig’s death does not affect the Alangans very much. They rather expect him to facilitate communication between living people, non-human beings and ancestors.
ES:
Después de examinar brevemente las conexiones que diferentes sociedades establecen entre el humano y el cochino, este artículo describe la pansula, un rito adivinatorio observado en 2012 entre los Alangans de Mindoro, en Filipinas. El autor muestra cómo el rito se ha cristianizado. El puerco/cochino aparece como un mediador entre diferentes tradiciones. Dotado de capacidades adivinatorias pero no como un agente de pleno derecho, su cuerpo y su entrañas son capaces de informar a los humanos de su destino futuro, a condición de que los hombre sepan interpretar los signos que les ofrece, de ahí la conminación que los participantes reiteran antes de matarlo : hay que saber « hacer gritar » al cochino. Su muerte suscita pocos sentimientos de la parte de los Alangans, quienes más bien esperan que el puerco facilite la comunicación entre los vivos, lo no-humanos y los ancestros.
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« Les animaux obéissent aussi à la religion » : paradoxes du chamanisme kaingang (Brésil) en contexte pluraliste
Robert R. Crépeau
pp. 229–249
AbstractFR:
La récente Cambridge Declaration on Conciousness, de juillet 2012, qui affirme que les animaux sont dotés de conscience et de la capacité de comportements intentionnels, relance à nouveau la question : qu’est-ce que l’espèce humaine possède de spécifique ? Cette contribution explore la conception amérindienne de la condition animale en s’attardant à celle des Kaingang du Brésil, et plus particulièrement à leur concept de maîtres des animaux. La relation des humains au monde animal et végétal est pensée et agie par les Kaingang comme s’inscrivant dans une hiérarchie de puissances, plus précisément de confrontation et/ou de mise en commun des forces ou des puissances tant humaines que non-humaines par l’intermédiaire des entités-maîtres. Ce dernier concept est lié à une conception largement répandue dans les Amériques. L’article propose en conclusion une brève analyse comparative de ce concept à partir de quelques cas sud-américains.
EN:
The recent Cambridge Declaration on Consciousness of July 2012, which proclaims that animals have conscious states along with the capacity to exhibit intentional behaviour, ask one more time the question : what is specific to the human species ? This paper addresses the Amerindian conception of animal condition through a case study of the Kaingang of Brazil and specifically their concept of masters of the animals. The relation of the human beings with the animals and plants is thought and acted by the Kaingang as involving a hierarchy of powers, more precisely, confrontation and/or pooling of the potencies or the powers humans as well as non-humans via the mediation of spirit-masters. The latter concept is related to a conception widely spread in the Americas. The paper presents in conclusion a brief comparative analysis of a few South American cases.
ES:
La reciente Cambridge Declaration on Conciousness, de julio 2012, en donde se afirma que los animales están dotados de conciencia y son capaces de comportamientos intencionales, vuelva a reactivar la cuestión : ¿ qué es lo que la especie humana posee de específico ? Esta contribución explorara la concepción amerindia de la condición animal centrándose en la de los Kaingang de Brasil, y particularmente en el concepto de los dueños de los animales. La relación de los humanos con el mundo animal y vegetal es pensada y actuada por los Kaingang, como inscrita en una jerarquía de potencias, más precisamente, de confrontación y/o de intercambio de fuerzas o de potencias tanto humanas como no-humanas gracias a la intermediación de las entidades-dueños. El dueño está conectado a una concepción ampliamente extendida en las Américas. El artículo propondrá como conclusión un breve análisis comparativo de dicho concepto a partir de algunos casos suramericanos.
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Taxidermies : le trouble du vivant
Lucienne Strivay
pp. 251–268
AbstractFR:
La taxidermie est une pratique d’entre-mondes. Au service d’une perspective « simple » d’identification et de monstration des espèces en collections dans les muséums ou les cabinets, témoignage de la preuve dans le monde des chasseurs à travers l’alignement des trophées, à l’oeuvre pour la mémoire toujours déçue des compagnons disparus chez les particuliers ou les soigneurs, elle s’élabore toujours à l’interface de plusieurs attentes que le vivant seul pourrait concilier : la vérité du type, la justesse individuée, la grâce d’une rencontre. Qu’elle serve à la reconstitution d’espèces disparues ou à la construction de spécimens chimériques, à la conservation, à la publicité ou au marché kitsch, elle négocie sans cesse entre visible et invisible, elle saisit ce qui s’échappe et le perd dès qu’elle croit se l’être approprié. Elle trouble le regard et autorise un toucher inespéré mais pour le trahir aussitôt. Alors même qu’on s’attendrait à voir cette pratique s’effacer au profit du film, elle rencontre un nouvel engouement. On la trouve de plus en plus souvent intégrée aux dispositifs de l’art contemporain pour servir un discours critique sur la relation au vivant ou l’incarnation revendiquée d’une sensibilité proprement animale. La conscience des extinctions des espèces lui rend des vertus exceptionnelles. Elle est le plus souvent abordée selon sa réception. Mais cette étude s’attache prioritairement à la perspective du taxidermiste lui-même, dans son atelier, aux prises avec les corps, les techniques et les attentes. En Belgique (contrairement à ce qui se passe en France), il n’existe pas de formation au métier : la taxidermie fait l’objet d’une transmission intergénérationnelle dans certaines familles ou d’un compagnonnage où chacun affine ses observations anatomiques, éthologiques et ses compétences pragmatiques au « rendu ». Partant toujours de l’extériorité même du vivant, de l’indice, elle a vu se transformer ses savoir-faire et la demande qui lui était adressée. Elle témoigne des modifications de perception du monde animal comme des régimes d’identification ontologiques des hommes. Qu’est-ce que la pratique de la taxidermie fait au naturalisme dont elle est issue ? Quels liens, quels désirs, quelles connaissances et quelles passions met-elle en jeu ?
EN:
Taxidermy is an art of the in-between. It is called upon to meet diverse expectations, such as showing and identifying species for museum or cabinet collections, testimony to hunters’ skill through their trophies, ever disappointed memory of dead pets ; it has to reconcile truth of the species, individual accuracy, and the fleeting grace of encounter. Whether it serves the reconstitution of bygone species or the construction of imaginary specimens, whether it is used for conservation, advertisement, or some kitsch market, it negotiates between the visible and the invisible ; it catches the ephemeral and loses it in the act of possession. It disturbs our eyes and offers a quaint and unreliable possibility to touch. While we could expect the practice of taxidermy to disappear with the use of movies, it has become the object of a new fascination. It is more and more often involved in contemporary art installations that develop a critical discourse on our relationship to the living world or that embody a claim to a sensitivity shared with all creatures. Our awareness of extinguished species endows it with exceptional capacities. It is often approached through its reception. But the present study primarily shares the taxidermist’s perspective : we are with them, in their workshops, struggling with bodies, combining techniques, juggling with expectations. In Belgium, contrary to France, there is no specific training : taxidermy is transmitted from generation to generation, or learned on the job within a form of compagnonnage where apprentices refine their anatomical and ethological observations as well as their skills at conveying life. It still takes its cue from the shape of the living bodies, yet its skills and the demand it has to meet have changed. It somehow testifies to changes in how we perceive the animal kingdom and in how we generate ontological modes of identification. What does taxidermy do to naturalism out of which it developed ? What are the connections, the knowledge, the desires and passions at stake ?
ES:
La taxidermia es una práctica entre dos mundos. Al servicio de una perspectiva « simple » de identificación y de exhibición de especies en colecciones de museos o gabinetes, testimonio de la prueba en el mundo de los cazadores en tanto que trofeos, al servicio de una memoria siempre decepcionada de los amigos desaparecidos entre los particulares o los cuidadores, siempre se realiza en la interface de varias expectativas que solo lo vivo podrá conciliar : la verdad del tipo, la justeza individualizada, la gracia de un encuentro. Que sirva a la reconstitución de especies desaparecidas o a la construcción de especímenes quiméricos, a la conservación, a la publicidad o al mercado de lo kitsch, la taxidermia transige sin cesar entre lo visible y lo invisible, cierne lo que se escapa y lo pierde en el momento en que cree habérselo apropiado. Confunde la mirada y autoriza un contacto inesperado sólo para inmediatamente traicionarlo. Cuando uno esperaría ver esta práctica desaparecer en beneficio del cine, ella vuelve a provocar un nuevo entusiasmo. Se le encuentra con cada vez más frecuencia integrada en los dispositivos del arte contemporáneo al servicio de un discurso crítico sobre la relación con lo vivo o como encarnación reivindicada de una sensibilidad propiamente animal. La consciencia de las extinciones de las especies le ha conferido virtudes excepcionales. Con mucha frecuencia abordada según su recepción. Este estudio se interesa de manera prioritaria a la perspectiva del taxidermista mismo, en su taller, en lucha con los cuerpos, las técnicas y las expectativas. En Bélgica (a diferencia de lo que sucede en Francia), no existe una formación para ese oficio : la taxidermia se transmite de manera inter-generacional en el seno de ciertas familias o gracias a los artesanos, y cada quien refina sus observaciones anatómicas, etológicas y sus competencias pragmáticas en lo « ejecutado ». A partir siempre de la exterioridad misma de lo vivo, del indicio, ha visto transformarse sus saber-hacer así como la demanda a que ha estado sujeta. Testimonio de las modificaciones de la percepción del mundo animal y de los regímenes de identificación ontológicos de los hombres. ¿ Qué ha provocado la taxidermia en el naturalismo en donde se originó ? ¿ Qué conexiones, deseos, conocimientos o pasiones pone en juego ?
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L'exotisme et le fruit de l'imagination : le-durian-qui-partage-l’humanité-en-deux
Léo Mariani
pp. 313–328
AbstractFR:
Il est ici question du durian, un fruit particulièrement prisé en Asie du Sud-Est mais dont l’odeur fait l’objet de descriptions pour le moins univoques de la part des Occidentaux (odeur de cadavre, odeur de putréfaction, etc.). Comme l’observe l’anthropologue Jacques Dournes, c’est un fait bien établi que le durian « partage l’humanité en deux ». Plutôt que d’expliquer cette différence, comme il est d’usage, par l’existence d’un « long apprentissage culturel », je m’attache à replacer dans cet article le-durian-qui-partage-l’humanité-en-deux dans le jeu beaucoup plus complexe de rapports tout à la fois culturels, sociaux, cognitifs et historiques qui le font advenir.
EN:
This article deals with the durian, a fruit which is particularly popular throughout South-East Asia but whose smell is unequivocally compared by Westerners to this of corpses, putrefaction and so on. As the anthropologist Jacques Dournes observes, it is well established that the durian divides humanity into two. Instead of explaining this opposition through the existence of a « long cultural learning », I replace the-durian-that-divides-humanity-into-two at the core of a complex cultural, historical, social and cognitive set of relationships which makes it happen.
ES:
Lo que aquí nos ocupa es el durión, una fruta particularmente apreciada en Asia sudoriental, cuyo aroma ha sido objeto de descripciones por lo menos univocas de la parte de los occidentales (olor a cadáver, olor de putrefacción, etc.). Como lo observa el antropólogo Jacques Dournes, es un hecho bien establecido que el durión « divide la humanidad en dos ». Más que explicar esta diferencia, como normalmente se hace, debido a la existencia de un « largo aprendizaje cultural », yo me dedico a situar en este artículo el-durión-que-divide-la-humanidad-en-dos, en un juego mucho más complejo de relaciones tanto culturales, sociales, cognitivas e históricas que provocan que advenga.
Comptes rendus thématiques / Thematical Book Reviews / Reseñas temáticas
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Blanchet Édouard-Julien, Marie-Pierre Renaud et Frédéric Laugrand (dir.), 2012, Parlons bête ! Du domestique au comestible. Québec, Marquis Imprimeur, 200 p., bibliogr.
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Clément Daniel, 2014, L’Hôte maladroit. La matière du mythe. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 508 p., bibliogr., annexes
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Cros Michèle et Julien Bondaz (dir.), 2010, Sur la piste du lion. Safaris ethnographiques entre images locales et imaginaire global. Paris, L’Harmattan, 174 p., bibliogr.
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Cros Michèle, Julien Bondaz et Maxime Michaud (dir.), 2012, L’animal cannibalisé. Festins d’Afrique. Paris, Éditions des archives contemporaines, 203 p., bibliogr.
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Cros Michèle, Julien Bondaz et Maxime Michaud (dir.), 2012, L’animal cannibalisé. Festins d’Afrique. Paris, Éditions des archives contemporaines, 203 p., bibliogr.
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Davy Damien, 2012, De l’anaconda à l’urubu. Mythes et symbolisme animal chez les Amérindiens de l’Oyapock. Matoury, Ibis Rouge Éditions, coll. Ethnologie, 48 p.
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Laugrand Frédéric et Jarich G. Oosten (dir.), 2014, Hunters, Predators and Prey. Inuit Perceptions of Animals. New York, Berghahn Books, 418 pages, illus., bibliog., gloss., index.
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Michalon Jérôme, 2014, Panser avec les animaux. Sociologie du soin par le contact animalier. Paris, Presses des Mines, coll. Sciences sociales, 359 p.