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Les publications concernant les cultures matérielles autochtones québécoises se sont faites rares durant les dernières décennies. Passages migratoires… contribue à combler ce vide en nous invitant à jeter un regard intimiste sur le travail de l’Alliance de recherche universités-communautés (ARUC) Design et culture matérielle : développement communautaire et culture autochtone dirigée par Élisabeth Kaine et Élise Dubuc entre 2004 et 2009. On peut voir en Passages migratoires… un ouvrage d’anthropologie visuelle, sans qu’il en soit fait explicitement mention. Ses auteures ont raison de le qualifier de livre-catalogue, étant donné l’importance accordée au contenu visuel. Les textes présentent les divers projets qui ont été réalisés, tout en réservant une place centrale aux récits plus personnels. Passages migratoires… est un témoignage collectif du travail de terrain, accompli dans une optique d’autonomisation à travers la transmission de la culture et le développement créatif économique ancré dans les valeurs locales. L’ouvrage permet de conserver et de partager les traces de ces collaborations pour tous les participants et les participantes. On y interroge l’objet, mais surtout la façon de réaliser une alliance de recherche entre universités et communautés.
>Passages migratoires… n’est pas un ouvrage théorique, mais il n’en est pas moins riche en contenu. Sa formule semble faire un clin d’oeil aux livres d’arts ethnographiques du XXe siècle, tout en y intégrant des aspects inédits, comme la forte présence de visages humains et le métissage du design contemporain aux traditions artisanales. Cette stratégie empêche Passages migratoires… de tomber dans les anciens pièges du catalogue intemporel et essentialiste. Les mosaïques de photos munies de légendes et orientées à 90 degrés, ainsi que les paragraphes de texte disséminés à travers les pages pourraient même rappeler la pratique du scrapbook. Cette disposition originale permet au livre d’illustrer l’importance de la pluralité des voix et de l’accessibilité de la mise en page. Tous les textes sont présentés en anglais et en français. On pourra regretter qu’ils n’aient pas été traduits dans les langues autochtones concernées.
Le premier volet de l’ouvrage se concentre sur les ateliers Design et culture matérielle et les expositions subséquentes qui ont été organisées pour présenter les objets produits par les participantes et les participants provenant des communautés Uashat Mak Mani-Utenam, Mashteuiatsh et Odanak. Les ateliers visaient à développer la production d’objets permettant une expression individuelle chez l’artisan, la transmission de la culture et la revalorisation des savoirs traditionnels en utilisant le design pour répondre aux besoins contemporains. Étant elle-même métisse huronne-wendat et euro-québécoise, Élisabeth Kaine utilise le principe très personnel de métissage comme concept central du projet. Ce concept permet aux différentes identités impliquées de se rencontrer et d’échanger, sans toutefois se perdre l’une dans l’autre. L’image fait écho à la structure hybride de l’ARUC et forme une allégorie de la rencontre entre les univers de la recherche et des savoirs du terrain. Le métissage se retrouve également dans l’intégration du passé et du présent, ainsi que dans le mélange entre innovation et tradition dans les objets créés lors des ateliers. Par exemple, une table d’appoint réalisée par Paul Blacksmith est inspirée des formes du tambour traditionnel teueikan et fait référence à la valeur patrimoniale innue (p. 42).
Le second volet de l’ouvrage présente la réflexion-action Mémoires du territoire/Ilnu utinnium qui avait principalement pour objectif de mettre sur pied un groupe communautaire de réflexion sur la réaffirmation et la transmission de la culture dans les communautés innues d’Uashat et de Mani-Utenam. Au fil des échanges de ce groupe, il a été question de construire les bases d’une nouvelle muséologie autochtone qui offrirait un modèle de musée plus près du centre communautaire, adapté aux ontologies autochtones, et correspondant aux besoins des communautés locales. L’inventaire participatif a été le premier projet du groupe de réflexion. Les objets des collections du Musée Shaputuan de Uashat ont été révisés selon leur valeur culturelle et le patrimoine collectif a ainsi été redéfini par la communauté à travers une série de rencontres, d’ateliers et d’expositions adaptés aux contextes locaux et soutenus par les spécialistes. Les expositions ont permis de partager les fruits de ce travail collaboratif avec l’ensemble des communautés engagées dans le processus.
Passages migratoires… est en cela une démonstration convaincante de l’avancée des nouvelles muséologies adaptées aux contextes autochtones et des possibilités de résilience culturelle à la suite des agressions du colonialisme. Ce livre-catalogue nous présente un exemple inspirant d’alliance de recherche universités-communautés, dont les travaux orientés vers les communautés ont inspiré d’autres projets indépendants menés par des Autochtones, comme Élisabeth Kaine et Élise Dubuc le soulignent avec fierté dans la dernière section de l’ouvrage.