Volume 36, Number 3, 2012 Anthropologie du geste Anthropology of Gesture Anthropologia del gesto Guest-edited by Charles Gaucher, Joël Candau and Arnaud Halloy
Table of contents (14 articles)
Entrevue / Interview / Entrevista
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Geste graphique et technicité : l’exemple des peintures néolithiques
Philippe Hameau
pp. 57–75
AbstractFR:
L’une des particularités du motif peint sur une paroi est qu’il garde la mémoire du geste qui l’a produit. Toutefois, il n’est possible de restituer valablement ce geste qu’en contextualisant le motif, c’est-à-dire en invoquant les paramètres culturels (des circonstances de sa production à son choix) et physiques (les matériaux dont il est fait et sa morphologie) qui ont accompagné sa réalisation. On l’étudie donc dans le cadre d’une anthropologie des gestes associés aux expressions picturales du Néolithique, sachant qu’avec le recul du temps, il nous faudra préalablement présenter des paramètres tels que les contraintes culturelles qui président à l’emplacement des figures et les pratiques rituelles à l’origine de l’expression graphique, sans oublier la topographie des parois et des sites. En effet, le scripteur perçoit, s’adapte et agit en fonction de cet environnement spatial et social. Quelques stratégies culturelles sont évoquées ici : l’attention portée à la microtopographie de la paroi selon les signes à tracer, le respect de certains des critères qui déterminent le choix du site comme l’humidité des lieux et la teinte orangée des parois, la volonté de peindre aux limites de l’accessibilité du site et de la paroi, l’usage d’outils-traceurs augmentant les capacités du corps. L’efficacité du geste consiste alors dans la réalisation d’un motif porteur de sens parce qu’il est en adéquation avec la perception culturellement orientée des caractéristiques de son support. De cette analyse structurée sur un terrain ancien, on tire des éléments de réflexion anthropologique pour d’autres pratiques graphiques, notamment contemporaines et urbaines (tags, street art, etc.)
EN:
The painted motif on a wall keeps the memory of gesture which produces it. However, it is not possible to reproduce gesture if the motif is not put in context. The cultural parameters (from the circumstances of its production to its choice) and physical parameters (from its material to its morphology) which have accompanied its drawing have to be presented. The sign is hence studied in the context of anthropology of gesture. Because of oldness of facts, gestures associated with walled graphic expressions of Neolithic age have to be presented together with criteria such as cultural constraints (which specify the location of figures), and ritual practices (which are originally of graphic expression), keeping in mind the topography of walls and sites. The writer perceives, adapts and acts within his spatial and social environment. Some cultural strategies are examined : attention for the micropography of the wall in linking with the signs to draw ; respect of criterias which justify the choice of the site (such as the dampness of space and the orange colour of walls) ; willingness to paint as far as the limits of the accessibility of sites and walls can allow ; use of brushes for increasing the ability of the body. The efficiency of gesture lies in the production of a motif with a meaning because its presence is appropriate with the culturally oriented perception of the characteristics of its support. From the analysis of an ancient ground, we draw elements of an anthropological reflection about others graphic practices such as the contemporary and urban expressions of tags and street art.
ES:
Una de las particularidades del motivo pintado sobre la pared de una caverna es que así se conserva el recuerdo del gesto que lo produjo. No obstante, sólo es posible restituir de manera aceptable el gesto si se contextualiza el motivo, es decir, invocando los parámetros culturales (desde las circunstancias de su producción hasta su elección) y físicas (los materiales en los cuales se hizo y su morfología) que acompañaron su realización. Así pues, se le estudia en el cuadro de una antropología de los gestos asociados a las expresiones pictóricas del Neolítico, conscientes que con la distancia temporal, será previamente necesario presentar parámetros como las coacciones culturales que presidieron la distribución de las figuras y las prácticas rituales a la base de la expresión gráfica, sin olvidar la topografía de la pared y del lugar. Efectivamente, el escritor percibe, se adapta y actúa de acuerdo con el entorno espacial y social. Se evocan algunas estrategias culturales : el cuidado que se aplica a la micro-topografía de la pared de roca de acuerdo con los signos que se trazarán, el respeto de ciertos criterios que determinan la elección del sitio como la humedad del lugar, el tinte anaranjado de las paredes, la voluntad de pintar en los límites de la accesibilidad del sitio y de la pared, ya que el uso de herramientas para trazar aumentan las capacidades corporales. La eficacidad del gesto reside en la realización de un motivo portador de un significado ya que se adecua a la percepción culturalmente orientada de las características de su soporte. De un análisis estructurado sobre un terreno antiguo se extraen elementos de reflexión antropológica para otras prácticas gráficas, particularmente contemporáneas y urbanas (tags, street art, etc.).
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La gestuelle du buveur dans le contexte festif andin (note de recherche)
Céline Geffroy
pp. 77–94
AbstractFR:
La gestuelle du buveur présentée ici est issue d’un contexte festif et rituel andin dans lequel le buveur s’offre à tous à travers une gestuelle complexe, généralement reconnaissable comme celle d’une personne soûle, et qui évolue au fur et à mesure de l’ivresse. On peut diviser ces gestes en deux grandes catégories. D’une part, les buveurs opèrent des gestes égocentrés, une sorte de repli sur soi qui vise à protéger tant la personne que le groupe. D’autre part, la gestuelle s’ouvre : on parle alors de gestes allocentrés, orientés vers l’extérieur. Cela est notoire dans les mouvements involontaires du corps – dont le relâchement provoque une béance exhibant l’immonde et où l’intime devient visible – et dans les gestes liés aux offrandes et envers les défunts. Ils favorisent une chaîne de réciprocité et de communication avec les divinités et les morts.
EN:
The drinker’s body language presented here emerged from an Andean festive ritual. The drinker is offered to all through a complex gesture, generally recognizable as that of a drunken person, which evolves as drunkenness progresses. These gestures can be divided into two main categories. On the one hand, the drinker carries out egocentric gestures, a kind of self-reliance in order to protect oneself and the group. On the other hand, the gesture opens to gestures directed outwardly. This is noticable in involuntary body movements – where relaxation produces an opening where the foul and the intimate become visible – and in gestures related to offerings and towards the deceased. It promotes a chain of reciprocity and communication with the gods and the dead.
ES:
La gestualidad del bebedor aquí presentada proviene de un contexto festivo y ritual andino en el cual el bebedor se presenta a todos a través de una gestualidad compleja, generalmente reconocible como la de una persona ebria y que se transformará conforme la ebriedad aumenta. Estos gestos se pueden dividir en dos grandes categorías. Por una parte, los bebedores realizan gestos egocéntricos, una suerte de repliego sobre sí mismo cuya finalidad es proteger tanto a la persona como al grupo, y por otro lado, la gestualidad se abre, de una manera que denominaré como gestos alocéntricos, orientados hacia el exterior. Eso es evidente en los movimientos involuntarios del cuerpo – cuya relajación provoca una apertura que muestra lo inmundo y en donde lo íntimo se vuelve visible – y en los gestos ligados a las ofrendas y a los difuntos que favorecen una cadena de reciprocidad y de comunicación con las divinidades y los muertos.
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Suivre les actions de l'autre : les gestes en salle de classe autour du tableau interactif
Dimitri Voilmy
pp. 95–116
AbstractFR:
Les salles de classe se caractérisent par des pratiques organisationnelles établies et sont des environnements riches en technologies matérielles. Un outil tel que le tableau soutient l’activité en classe, et est l’objet vers lequel les participants à l’événement que constitue la classe coordonnent leur attention mutuelle. L’organisation locale de l’interaction en classe est accomplie à la fois par le parler et par les regards, les gestes, la posture corporelle. De quelle manière la conduite incarnée est-elle rendue observable pour la gestion endogène (émique) de l’activité ? Comment le fait de pouvoir suivre et comprendre les gestes des autres permet-elle la co-orientation vers un même moment interactionnel ? Cet article examine un moment de transition entre deux activités avec le tableau interactif pendant lequel l’institutrice manipule l’outil et interroge les élèves concernant la consigne et l’utilisation du tableau pour l’activité future. Cette situation concrète d’enseignement a été enregistrée selon la perspective de l’analyse vidéo de l’ordre local en classe, dont l’exigence de base est de préserver les ressources exploitées et mobilisées par les participants à l’interaction. Nous nous intéressons à la manière dont les élèves suivent les différentes actions de l’institutrice, lèvent la main pour se présélectionner, commencent à répondre pour attirer l’attention, et pointent vers le tableau de manière publiquement intelligible. Nous interrogeons la manière dont, à travers leur conduite incarnée (verbale et gestuelle), les enfants montrent leurs orientations vers, et leur capacité à gérer, l’observabilité de leur conduite en classe.
EN:
Classrooms are characterized by established organizational practices and constitute environments rich in material technologies. A tool such as the board supports classroom activity, and is the object towards which the participants to the classroom event coordinate their mutual attention. The local organization of classroom interaction is accomplished through talk, but also through gazed, gestures, body posture. How is the embodied conduct made for the management of the endogenous (emic) activity ? How does the ability to follow and understand the actions of others allow the accomplishment of co-orientation towards a common interactional moment ? This paper examines a transition moment between two activities with the interactive whiteboard, during which the teacher manipulates the tool and interrogates the students about how to use the board for next activity. This teaching situation has been recorded from the video analysis perspective of the local order in the classroom, whose basic requirement is to preserve the resources mobilized and used by the participants to the interaction. Analysis is interested in how students follow the teacher’s actions, raise their hands to pre-select, begin to respond to attract attention, and produce pointing gestures towards the board in a publicly intelligible way. We examine how, through their embodied conduct (verbal and gestural), children make visible how they orient to, and how they are able to manage, the observability of their conduct in the classroom.
ES:
Los salones de clase se caracterizan por las prácticas organizacionales establecidas y son entornos ricos en tecnologías materiales. Un útil como el pizarrón apoya la actividad en la clase y constituye el objeto hacia el cual los participantes al evento que es la clase coordinan su atención mutua. La organización local de la interacción en clase se realiza tanto a través del habla como de las miradas, los gestos, la postura corporal. ¿De qué manera el comportamiento desplegado se vuelve observable para la gestión endógena (émica) de la actividad? ¿Cómo es que el hecho de poder seguir y comprender los gestos de los otros permite la co-orientación hacia un mismo momento interactivo? Este artículo examina un momento de transición entre dos actividades con un pizarrón interactivo, durante el cual la maestra manipula la herramienta e interroga a los alumnos sobre la consigna y la utilización del pizarrón para la actividad futura. Esta situación concreta de enseñanza fue grabada conforme a la perspectiva del análisis video del orden local de la clase, cuya exigencia de base es conservar los recursos explotados y movilizados por los participantes en la interacción. Nos interesamos a la manera en que los alumnos siguen las diferentes acciones de la maestra, levantan la mano con el fin de ser seleccionados, comienzan a responder para asi atraer la atención y señalan hacia el pizarrón de una manera públicamente inteligible. Nos interrogamos sobre la manera en que, a través del comportamiento desplegado (verbal y gestual), los alumnos muestran sus orientaciones hacia, y su capacidad para administrar, su comportamiento observable en clase.
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Échanges de gestuelles religieuses dans l'espace rituel : performance des traditions rituelles et négociation des frontières entre les communautés dans le bassin du lac Songkhla, en Thaïlande du Sud
Alexander Horstmann
pp. 117–136
AbstractFR:
Dans cet article, je m’intéresse aux échanges de gestuelles religieuses dans l’espace rituel tels qu’ils se déroulent entre les bouddhistes et les musulmans partageant les mêmes lieux de vie en Thaïlande du Sud. Les quartiers multi-religieux renvoient au partage de l’espace physique et au développement d’un savoir local dans lequel les gens expriment leur appartenance à une entité commune en s’investissant dans des relations qui dépassent la scission religieuse. La gestuelle pratiquée dans l’espace rituel fournit un terrain d’observation privilégié pour comprendre les performances spectaculaires par lesquelles s’expriment les hiérarchies sociales et les ordres normatifs et se négocient les identités. Dans l’espace rituel, et par le biais de la performance corporelle, les identités et les positions sociales sont légitimées, négociées, reflétées, exprimées et transformées. Ma thèse est donc que la performance gestuelle dans l’espace rituel ouvre une perspective sur la négociation des relations entre musulmans et bouddhistes. L’échange des gestes oratoires dans l’espace rituel renvoie à la morale et à l’économie des échanges entre bouddhistes et musulmans et à la rationalité qui les sous-tend. Je démontre qu’un regard attentif sur l’échange des gestuelles nous ouvre une perspective plus dynamique sur les tensions et les contradictions qui se manifestent entre bouddhistes et musulmans en ce moment. La performance des gestuelles dans l’espace rituel est perçue comme une transgression d’un espace qui se caractérise par des frontières ethniques et religieuses de plus en plus rigides et qui est menacé par la circulation des images de violence politique qui émane des régions les plus méridionales du pays. L’échange des gestuelles reflète donc ce qui reste d’un ordre social traditionnel et ce qui le revitalise, au-delà de la politisation de la religion.
EN:
In this article, I am interested in the exchange of religious gestures in ritual space as it unfolds between Buddhists and Muslims in shared neighbourhoods of Southern Thailand. Multi-religious neighbourhood refers to the sharing of physical space and to the development of local knowledge in which people express their belonging to a commonly identified entity by investing into relations beyond the religious divide. Gestures in ritual space provide a privileged terrain to understand the dramatic performances in which social hierarchies and normative orders are expressed and identities negotiated. In ritual space, and through bodily performance, identities and social positions are legitimated, negotiated, reflected, expressed and transformed. My thesis is, then, that the performance of gestures in ritual space opens a window on the negotiation of Buddhist-Muslim relations. The exchange of prayer gestures in ritual space refers to the morality and economy of exchange between Buddhists and Muslims and the rationality behind it. In the following, I want to show how a close look on the exchange of gestures gives a more dynamic perspective on the tensions and contradictions evolving between Buddhists and Muslims at this time. I argue that the performance of gestures in ritual space is perceived as a transgression of a space that is characterized by increasingly rigid ethnic and religious boundaries and threatened by the circulation of images of political violence in the Deep South. The exchange of gestures thus reflects the remainders and revitalization of a traditional social order beyond the politicisation of religion.
ES:
En este artículo, me intereso a los intercambios de gestualidades religiosas en el espacio ritual tal y como se llevan a cabo entre los budistas y los musulmanes que comparten los mismos espacios de vida en el sur de Tailandia. Los barrios multi-religiosos suscitan la repartición del espacio físico y el desarrollo de un conocimiento local en el cual las gentes expresan su membrecía a una identidad común invirtiéndose en relaciones que rebasan la escisión religiosa. La gestualidad practicada en el espacio ritual ofrece un terreno de observación privilegiado para comprender las ejecuciones espectaculares a través de las cuales se expresan las jerarquías sociales y los órdenes normativos y se negocian las identidades. En el espacio ritual, y a través de la ejecución corporal, las identidades y las posiciones sociales se legitiman, se negocian, son reflejadas, expresadas y transformadas. Mi tesis es pues que la ejecución gestual en el espacio ritual abre una perspectiva sobre la negociación de las relaciones entre musulmanes y budistas. El intercambio de gestos oratorios en el espacio ritual remite a la moral y a la economía de intercambios entre budistas y musulmanes y a la racionalidad que los sostiene. En este artículo, deseo demostrar que una mirada atenta en torno al intercambio de gestualidades nos ofrece una perspectiva más dinámica sobre las tensiones y las contradicciones que se manifiestan actualmente entre budistas y musulmanes. Sostengo que la ejecución de los gestos en el espacio ritual es percibida como una transgresión de un espacio que se caracteriza por fronteras étnicas y religiosas cada vez más rígidas y que está amenazado por la circulación de imágenes de la violencia política que emana de las religiones más meridionales del país. El intercambio de gestos refleja, pues, lo que queda de un orden social tradicional y que lo revitaliza, más allá de la politización de la religión.
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Rythmomimisme et gestuelle dansée : danser à l’image des génies au Congo
Carine Plancke
pp. 137–152
AbstractFR:
Une caractéristique de la performance dansée est d’orienter l’attention sur le mouvement en tant que tel et d’induire une conscience proprioceptive aiguë. Elle a dès lors le potentiel de faire apparaître dans son accomplissement même la double action d’incorporation et de dilatation de la gestuelle humaine, identifiée par Marcel Jousse, ainsi que le rapport mimétique de l’individu au monde qui s’y réalise. Cet argument est exploré pour l’ikoku des Punu du Congo-Brazzaville. Dans cette danse qui célèbre la fertilité, un va-et-vient entre des danseurs de sexe différent donne lieu à une phase d’animation collective suivie d’une danse en couple. Par l’attention portée au corps en train de bouger à l’image de l’autre, qui est à la fois l’autre danseur et le génie de l’eau, garant du bien-être social, la performance met en acte le processus rythmomimique d’internalisation et d’externalisation de l’univers sociocosmique punu en tant qu’il est élaboré à la fois autour de la notion d’une complémentarité des sexes et de celle d’un enveloppement maternel.
EN:
One of the characteristics of dance performance is that it focuses the attention on the movement itself and induces a sharp proprioceptive consciousness. As such, it has the potential to manifest in its realization the double action of human gesture to incorporate and dilate, as identified by Marcel Jousse, as well as the mimetic relation of the individual to the world realized in this action. This argument is explored in reference to ikoku dancing in Congo-Brazzaville. In this fertility celebrating dance an alternating movement between male and female dancers gives way to a moment of collective animation and then to a couple dance. By giving full attention to the body that moves in a specular relation to the other, i.e. the dancer and the community supportive water spirit, this performance enacts the rythmomimic process and accomplishes the internalization and externalization of the Punu sociocosmic universe based on notions of gender complementarity and maternal containment.
ES:
Una característica de la ejecución danzada es orientar la atención sobre el movimiento en tanto que tal e inducir una conciencia propioceptiva aguda. Tiene consecuentemente el potencial de hacer aparecer en su cumplimiento mismo la doble acción de incorporación y de dilatación de la gestualidad humana, identificada por Marcel Jousse, así como la relación mimética del individuo al mundo en donde se realiza. Exploramos éste argumento con el ikoku de los Panu del Congo-Brazzaville. En ésta danza, que celebra la fertilidad, un vaivén entre los danzantes de sexo diferente da lugar a una fase de animación colectiva seguida de una danza en pareja. Gracias a la atención sobre el cuerpo en movimiento al mismo ritmo que el otro, que es al mismo tiempo el otro danzante y el genio del agua, garante del bienestar social, la ejecución actualiza el proceso ritmomímico de la internalización y exteriorización del universo socio-cósmico panu tal y como se elabora tanto en torno de la noción de complementariedad de sexos y del envolvimiento maternal.
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Les Sourds ne gesticulent pas, ils « signent » : réflexion sur le rapport entre corps sourds et langues des signes
Charles Gaucher
pp. 153–170
AbstractFR:
Réfléchir sur la spécificité langagière sourde et au sentiment identitaire qui l’accompagne, c’est d’abord et avant tout interroger le sens commun qui veut que les Sourds gesticulent pour communiquer. Pourtant, les Sourds ont une langue qui ne se résume pas à un ensemble de mouvements substituant le geste à la parole ou à des adaptations de l’oralité à la gestualité. En fait, cette différence linguistique est plurielle : il existe des langues, qui véhiculent et sont véhiculées par autant de communautés identitaires sourdes. Le rapport des Sourds à ces langues se fait à travers une rhétorique ancrant paradoxalement la différence langagière sourde dans une caractéristique qui serait naturelle aux Sourds, une sorte d’inclination spontanée ramenant bien souvent la langue des signes à des gestes quasi instinctifs et souvent conçus comme innés. La langue des signes serait en quelque sorte une essence qui relie les Sourds entre eux. Le présent article propose d’explorer trois axes d’interprétation du lien entre langues des signes et corps sourds.
EN:
Contemplating the specifics of deaf language, and the sense of identity that accompanies it, is to question the cliché that the Deaf gesture to communicate. The Deaf have a language which is not limited to movements substituting words with actions or a simple adaptation of spoken language to gesture. In fact, linguistic differences are as diverse as the Deaf communities which convey them. Their relationship to language becomes a rhetoric, paradoxically entrenching the deaf language difference in nature, a kind of spontaneous inclination often reducing sign language to instinct and innate gestures. Sign language is somehow a quality connecting the Deaf. This article explores three ways of interpreting the connection between sign languages and deaf bodies.
ES:
Reflexionar sobre la especificidad del lenguaje de los sordos, y sobre el sentimiento identitario que la acompaña, es, por principio y antes que nada, interrogar el sentido común que supone que los Sordos gesticulan para comunicar. Sin embargo, los Sordos poseen un lenguaje que no se reduce a un conjunto de movimientos que sustituyen el gesto por el habla o a adaptaciones de lo oral a lo gestual. De hecho, esta diferencia lingüística es múltiple : hay lenguajes que vehiculan y son vehiculados por una multiplicidad de comunidades identitarias de sordos. La relación de los Sordos a dichos lenguajes se realiza a través de una retórica en donde se arraíza paradójicamente la diferencia del hablar sordo en una característica que es natural a los sordos, una suerte de inclinación espontanea que con frecuencia reduce el lenguaje de los signos a los gestos casi instintivos y con frecuencia concebidos como innatos. El lenguaje de los signos sería algo así como una esencia que liga a los Sordos entre ellos. El presente artículo se propone explorar tres ejes de interpretación de la relación entre los lenguajes de los signos y los cuerpos de los sordos.
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« J'ai senti que c'était mon monde » : expression des dimensions identitaire et normative des langues des signes
Daphnée Poirier
pp. 171–188
AbstractFR:
Bien que les langues des signes aient reçu le statut de langues à part entière grâce aux travaux de linguistes tels que Wiliam Stokoe et Christian Cuxac, le rapport qu’elles entretiennent aux langues orales reste à élucider. Statuer que les langues des signes n’entretiennent pas de lien de dépendance à l’égard des langues orales, c’est reconnaître leur autonomie en termes de structure linguistique, mais cela recouvre un processus identitaire important dans lequel la personne sourde est engagée, qu’elle soit gestuelle ou oraliste. Nous voyons que le geste (en tant que signe) représente plus qu’un support et un complément à la parole. Grâce notamment à ses caractères métonymique et iconique, le signe représente un vecteur d’une représentation identitaire complexe. Le rapport entre le signe gestuel et la parole est susceptible d’être inversé.
EN:
Although sign languages have been recognized as true languages in themselves in part because of linguistic studies by William Stokoe and Christian Cuxac among others, their exact relation to oral languages remains largely unknown. The fact that sign languages are not an outgrowth of oral languages shows that they are autonomous linguistic systems and we shall see that they also remain a central element in the identity process of gestural and oralist deaf persons. With the concepts of iconicity and metonymy, we argue that gesture is more than a support or accompaniment of voice, and that the relationship between voice and gesture can actually by inverted.
ES:
Aunque el lenguaje de signos posee el estatus de una lengua gracias a los trabajos de lingüistas como William Stokoe y Christian Cuxac, la relación con los lenguajes orales está aún por elucidar. Decidir que los lenguajes de signos no mantienen una relación de dependencia con respecto a los lenguajes orales, significa reconocer su autonomía en términos de estructura lingüística, ciertamente, no obstante eso oculta un proceso identitario importante en el cual se encuentra comprometida la persona sorda, sea gestual u oralista. Al respecto, veremos cómo el gesto (en tanto que signo) representa más que un soporte y un complemento a la palabra. Particularmente gracias a sus características metonímica e icónica, por una parte, el signo representa un vector de una representación identitaria compleja y, por otra parte, la relación entre el signo y la palabra es susceptible de invertirse.
Hors-thème / Off Theme / Al margen
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Le chant comme geste vocal : une enquête interactive chez les chanteurs paysans d’un village au sud de l’Italie
Flavia Gervasi
pp. 189–203
AbstractFR:
Dans cet article nous cherchons à dégager les critères opératoires qui régissent un répertoire de chants de travail du sud de l’Italie en reportant notre regard analytique sur la perception physique – et pas seulement acoustique et « proprement musicale » – qu’en ont les tenants de la tradition. Afin de mener à bien notre étude, ce qui nous intéresse est ainsi la compréhension du mode d’être du sujet dans son environnement, en cherchant à découvrir comment l’interaction d’un corps avec son espace physique et social peut être porteur d’un sens, du point de vue de la construction et de la mise en oeuvre d’une pratique vocale. L’étude des références expressives et conceptuelles, ainsi que des patterns de comportements corporels, devrait nous permettre de comprendre le principe constructeur à la base de la performance des arie dites « del trainieri », chantées par les paysans d’un village au sud de l’Italie appelé Martano.
EN:
In this article, we will try to draw the operating criteria that govern the repertory of southern Italy work songs by analysing physical perception – and not only acoustical and “purely musical” – experienced by the traditional singers. What is at stake in this study is the way the subject lives in his environment. We study how the interaction of the body with the physical and social space can be meaningful from the point of view of the construction and implementation of a vocal practice. The study of the expressive and conceptual references, as well as of the corporal behaviours patterns, should allow us to understand the generative principles on which the performance of arie called “del trainieri” sung by Martano peasants, a village of southern Italy, are based.
ES:
En el presente artículo, tratamos de despejar los criterios operatorios que rigen un repertorio de cantos laborales del sur de Italia, nuestro acercamiento analítico se vuelca sobre la percepción física – y no solamente acústica y « específicamente musical » – propios a la tradición. Con el objetivo de realizar correctamente nuestro estudio, nos interesamos a la comprensión del modo de ser del sujeto en su entrono, tratando de descubrir cómo la interacción de un cuerpo con su espacio físico y social puede ser revelador, desde el punto de vista de la construcción y de la realización de una práctica vocal. El estudio de las referencias expresivas y conceptuales, así como de los modelos de comportamiento corporales, deberá facilitar la comprensión del principio constructor sobre el que se erige la producción de las « arie » llamadas « dei trainieri » entonadas por los campesinos de Martano un pueblo del sur de Italia
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« Le doudou de ma fille, ça pue tellement bon ! » : intimité familiale et jugements olfactifs
Olivier Wathelet
pp. 205–222
AbstractFR:
Le statut épistémique des odeurs occupe une place à part dans la littérature scientifique, en particulier en psychologie cognitive et au sein de l’anthropologie des sens. À partir d’une enquête ethnographique conduite en France et en Belgique francophone, nous montrons les limites d’une conception dominante de ces travaux qui consiste à trier les expériences olfactives dans le cadre d’un clivage hédonique, bonnes et mauvaises odeurs s’opposant d’un point de vue affectif, cognitif et normatif. Prenant appui sur une démarche d’ethnographie cognitive des perceptions consistant à étudier les odeurs en tant que résultat d’un processus de jugement dont on peut étudier le déploiement en tant qu’activité mentale située, nous montrons dans un premier temps la place qu’occupent les « mauvaises odeurs » corporelles dans l’intimité de nos informateurs. Puis nous présentons les odeurs oxymorons qui sont jugées à la fois bonnes et mauvaises. Ces deux cas illustrent les limites d’une analyse des odeurs en termes de clivage hédonique. Au-delà de cette question spécifique, nous proposons une analyse ethnographique des jugements cognitifs au coeur de l’intime comme cadre pour le développement de l’anthropologie des sens, et un rapprochement vis-à-vis des travaux de la psychologie cognitive dans ce domaine.
EN:
The epistemic status of odors has got a special place in the scientific literature, especially in cognitive psychology and in anthropology of the senses. Based on an ethnographic study carried out in France and French speaking Belgium, we show the limits of a prevailing conception of this work which is to sort the olfactory experiences in a hedonic cleavage, opposing good and bad smells from emotional, cognitive and normative dimensions. Building on a cognitive ethnography approach of perceptions which study odors as the consequence of a judging process that can be studied as a dense and located mental activity, we show first that the position hold by the “bad smell” of corporeality in the privacy of our informant. Then, we introduce and describe the concept of “oxymoron odors” which are judged simultaneously good and bad. Both cases illustrate the limits of an analysis in terms of odor hedonic cleavage. Beyond this specific issue, we aim to promote the ethnographic analysis of cognitive judgments at the heart of intimacy as a framework for the development of anthropology of the senses, and a way to reconcile anthropology and the work of cognitive psychology in this field.
ES:
El estatus epistémico de los olores ocupa un lugar particular en la literatura científica, sobre todo en sicología cognitiva y en la antropología de los sentidos. A partir de una encuesta etnográfica realizada en Francia y en Bélgica francófona, deseamos mostrar los límites de una concepción dominante en dicha literatura, que consiste en repartir las experiencias olfativas al interior de una división hedonista : buenos y malos olores se oponen de un punto de vista afectivo, cognitivo y normativo. Apoyándose en un enfoque de etnografía cognitiva de las percepciones que consiste en estudiar los olores en tanto que resultado de un proceso de juicio del cual se puede estudiar su despliegue en tanto que actividad mental situada, mostramos por principio el lugar que ocupan los « malos olores » corporales en la intimidad de nuestro informador. Después, presentamos los olores oximorones que son juzgados como malos y buenos al mismo tiempo. Esos dos casos ilustran los límites de un análisis de los olores en términos de una división hedónica. Más allá de esta cuestión específica, proponemos un análisis etnográfico de los juicios cognitivos en el seno de la intimidad como cuadro para el desarrollo de la antropología de los sentidos, y un acercamiento con respecto a los trabajos de la sicología cognitiva en éste campo.