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Un simple regard historique sur la question permet de constater que le champ du développement suscite de nombreux questionnements sur la valeur, la portée et les conséquences des interventions. Toutefois, le caractère novateur de ce collectif multidisciplinaire repose, comme son nom l’indique, sur la mise en relief de la relation intrinsèque entre développement et déplacement. En ce sens, les diverses contributions permettent d’aborder les phénomènes de développement sous un angle d’approche renouvelé et peu documenté même si quelques chapitres sont des reprises de publications parues précédemment. De fait, la littérature portant sur les réfugiés de même que sur les déplacements induits par l’implantation de projets de développement repose largement sur les questions de relocalisation et de compensations[1]. Prenant le contrepoint de ce type d’études qui visent l’atténuation des effets négatifs et des dommages collatéraux, les éditeurs nous proposent plutôt d’aborder le problème des déplacements comme un phénomène englobant les diverses formes de politiques et de mise en place de projets. De plus, ils soulèvent plusieurs questionnements éthiques quant au développement en tant que progrès ou en tant que projet national.
En quelque sorte, Development’s Displacements… expose à sa façon le rôle incontournable des relations de pouvoir asymétriques ayant cours entre les divers acteurs impliqués dans l’opération de développement, de la conception des politiques à l’implantation des projets. Cet angle d’approche permet aux lecteurs d’envisager les déplacements induits par le développement d’un point de vue critique sous une lunette largement teintée par l’écologie et l’économie politique.
En plus d’une introduction dense exposant clairement la démarche sous-jacente à la production de cet ouvrage, les éditeurs nous proposent un spectre d’exemples fondés empiriquement. Ainsi, les neuf études de cas permettent aux lecteurs de prendre conscience de l’étendue du phénomène qui dépasse largement les mégaprojets que représentent la construction de barrages ou l’extraction minière. Afin de dresser le portrait de la situation, les éditeurs ont misé sur trois grands axes d’analyse qui sont : (1) le rôle prépondérant des acteurs multilatéraux et nationaux dans la définition et la mise en place de modèles d’intervention, (2) l’influence accrue du néolibéralisme sur les politiques de développement de même que sur la redéfinition et le contrôle des ressources et des territoires et, (3) la relation intrinsèque entre les politiques de conservation de l’environnement et les déplacements de populations marginalisées.
Plus en détail, David Szablowski s’appuie sur l’exemple d’une compagnie minière canadienne oeuvrant au Pérou afin de questionner le rôle des experts et des régimes de vérités sur lesquels reposent les interventions de la Banque mondiale dans le domaine minier. Pour sa part, Amani El Jack explore le cas de l’industrie pétrolière au Soudan. Son analyse jette un regard critique éclairant sur les rapports de genre asymétriques et sur les conséquences de tels rapports à l’heure de l’expansion des projets de développement. De son côté, Keith Barney montre comment les projets de développement national en Thaïlande et en Malaisie puisent leur légitimité à même le régime bureaucratique qui caractérise le système néolibéral, tout en soulignant diverses stratégies de résistance mises en place par les acteurs locaux en vue de se dégager une certaine marge de manoeuvre.
Que se soit à partir de l’exemple des politiques d’accès à l’eau en Thaïlande (Michelle Kooy), de la réforme foncière au Laos (Peter Vandergeest), du cas colombien (Sheila Gruner) ou encore de la construction d’un barrage hydroélectrique en Inde (Pablo S. Bose), la seconde partie vise à démontrer en quoi l’appropriation des ressources et le contrôle du territoire sont des éléments centraux de l’influence du système néolibéral sur les politiques de développement international.
Finalement, la troisième section montre en quoi les politiques de protection de l’environnement favorisent à la fois la redéfinition des territoires et des ressources et la résurgence de conflits d’usage entre les divers groupes stratégiques impliqués. Il est entre autres question de l’importance des pouvoirs différentiels entre groupes ethniques lors de la mise en place d’aires protégées au Costa Rica (Colette Murray) et au Honduras (Sharlene Mollett).
D’une manière générale, la richesse d’un ouvrage collectif tel que Development’s Displacements : Ecologies, Economies, and Cultures at Risk repose donc à la fois sur son caractère innovateur, sur l’angle d’approche préconisé de même que sur la qualité des exemples ethnographiques que les collaborateurs utilisent pour appuyer leur propos. Fort de ces exemples précis et étoffés, Development’s Displacements… contribue donc à renouveler les perspectives critiques quant aux études multidisciplinaires portant sur le développement.
Appendices
Note
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[1]
Traduction libre de Development Induced Displacement (DID)