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Histoire de l’Amérique française est un ouvrage sans introduction, sans plan, sans préface ni note de bas de page. C’est avant tout un ouvrage sans prétention comme le signale d’emblée l’auteur : « J’ai voulu raconter ici l’histoire de l’Amérique française pour un large public, sans y mettre l’appareil critique qu’on retrouve dans les ouvrages savants. Mes sources sont toutes de seconde main, on en trouvera mention dans la bibliographie. Mon récit adapte parfois librement celui d’historiens anciens » (p. 8). Le récit que nous raconte Jean-Marie Montbarbut du Plessis suit un cheminement chronologique. Il débute à la fin du XVe siècle, bien avant le début de la colonisation française, lorsque « des centaines de pêcheurs français traversent l’Atlantique et fréquentent les grands bancs de Terre-Neuve » (p. 9) et se clôture par le traité de Paris et la guerre d’Indépendance américaine. Entre les deux, ce sont des péripéties en tous genres : des découvertes et des occupations, des batailles et des capitulations qui mènent à de nouvelles expéditions et expansions. L’auteur suit les traces de nombreux explorateurs et pionniers français. Il nous fait voyager des rives du Saint-Laurent aux côtes du Pacifique et des solitudes glacées du Grand Nord canadien au golfe du Mexique. Il s’attache à dépeindre de manière précise les contours de la fleur de lys sur la carte de l’Amérique du Nord. Ce sont alors les divers voyages d’exploration du malouin Jacques Cartier, les échecs dramatiques d’une Nouvelle-France huguenote avec Jean Ribault, les talents d’intendant d’un Jean Talon, les aventures de Champlain, d’Albanel, de Saint-Simon, de Jolliet, de Marquette, de Saint-Lusson et Cavelier de la Salle dans toute l’Amérique du Nord. Ces personnages historiques deviennent légendaires sous la plume de l’auteur. L’Acadie, les rives du Saint-Laurent, les Grands Lacs, le Mississippi et la Louisiane nous sont présentées tant d’un point de vue géographique que climatique. L’auteur décrit avec force et nuance, les conditions de (sur)vie des premiers colons, leurs activités, les régimes de propriété foncières et leurs relations avec les diverses populations autochtones (les Hurons, les Iroquois, les Algonquins). Une contextualisation historique et un soin particulier porté aux liens entre la Nouvelle France et la mère partie rendent cet ouvrage très accessible. Mais où réside l’originalité de Histoire de l’Amérique française?
Car en effet, si la géographie invite au voyage, cet ouvrage invite à la lecture. La force de ce livre consiste en sa construction, j’aurais envie de dire dans son montage. Chaque chapitre constitue un épisode d’une série jouant sur les cliffhanger[1], ces fins ouvertes visant à créer un fort suspense. Ainsi, chaque échec ou dénouement dramatique dans la fondation de la Nouvelle-France se termine par une accroche pleine d’espoirs et porteuse d’un futur imminent dans le prochain chapitre-épisode. Jugez-en par vous-mêmes. Voici le final du chapitre consacré aux tentatives françaises en Amérique : « Après cette série d’échecs, il ne semble pas que le Nouveau Monde soit fait pour les Français. Pourtant deux Saintongeais vont relever le défi. Grâce à leur courage, leurs efforts et leur ténacité, une Amérique française verra le jour. Le premier, Pierre du Gua, sera le fondateur de l’Acadie et le second, Samuel de Champlain, le « Père de la Nouvelle-France » (p. 43). Mais le plus frappant à la lecture de Jean-Marie Montbarbut du Plessis est le ton enflammé et passionné qui teinte certaines de ses pages. L’auteur mêle avec habileté trois registres, ou plus précisément des postures narratives, celle de chroniqueur, de témoin et de guide. S’appuyant sur des écrits d’historiens et sur les relations de voyage de l’époque, il nous immisce au coeur de l’action.
Il emploie des phrases courtes, recourt au présent de l’indicatif, use de verbes transitifs et quelquefois du pronom indéfini « on » : « Arrivés à la bourgade des Gens-des-Chevaux, ils [quatre Français et leurs deux guides] constatent que les hommes de la tribu sont partis sur le sentier de la guerre. On allume un feu pour attirer l’attention des Indiens, mais aucun d’eux ne se montre. Un des guides mandans décide alors de retourner dans son village » (p. 237). L’effet est immédiat, le lecteur a l’impression d’assister et de prendre part à la scène. L’auteur maîtrise parfaitement ce filon et n’a de cesse de jouer sur un pathos frôlant quelquefois la naïveté. L’ouvrage est émaillé de passages appelant l’empathie du lecteur : « ce sont donc ces réfugiés acadiens, livrés à eux-mêmes et extrêmement pauvres, qui assurent la survivance de leur groupe ethnique. Au début, misérables et sans instruction, ils vécurent ainsi dans l’isolement et l’abandon le plus total, leurs seules forces étant l’incomparable pureté de leurs valeurs morales, l’amour du travail et le profond attachement à leur foi religieuse » (p. 281). Ou encore, d’extraits trahissant une certaine vision des Français : « En fait, de par leur nature, les Français possédaient tous les critères pour s’attirer l’amitié des indigènes. Ils étaient d’abord respectés pour leur courage, leur détermination, leur droiture et leur parole donnée. Hâbleurs et plaisantins, ils répandaient autour d’eux la gaieté et la bonne humeur » (p. 172). L’emploi abusif de certains termes (notamment génocide et race) et certaines phrases équivoques[2] feront bondir historiens, ethnologues et autochtones, mais ne jugeons pas cet ouvrage pour ce qu’il n’est pas. Histoire de l’Amérique française est un bon guide si vous êtes de passage en Louisiane et si vous ne savez pas ce que signifie « Cajun ». Il n’empêche cet ouvrage demeure touchant. À sa lecture, on discerne immanquablement cet amant qui à force de trop embrasser étreint mal. À cet égard, ne retenons qu’une seule date, celle du 10 février 1763, date du « désastreux traité de Paris » (p. 279) : « Le traité de Paris fut incontestablement la plus désastreuse défaite qu’ait subie la France […]. Ainsi se terminèrent 150 ans de régime français au Canada. Dans cette lointaine colonie frappée par la guerre, le gouvernement français abandonna à leur sort quelque 65 000 de ses sujets désormais complètement coupés de la mère patrie. Mais les Canadiens, trempés par une vie rude, formaient déjà le noyau d’une future nation. Malgré l’isolement, ils léguèrent à leurs descendants des exemples de ténacité, de courage et des motifs de fierté. Et en dépit du retrait du fleurdelisé, la survivance française demeura vivace sur les rives du Saint-Laurent » (p. 310-311).
Appendices
Notes
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[1]
Le terme cliffhanger signifie « personne suspendue à une falaise ».
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[2]
Je pense entre autres à ces passages : « Champlain imagine de voir un jour, sur les rives du Saint-Laurent une grande province française peuplée de plusieurs milliers de sujets tous français, dont quelques-uns auraient la peau un peu plus basanée que leurs compatriotes de la vieille France. Champlain a donc été le précurseur de cette politique d’intégration à l’endroit des autochtones que d’autres Français, deux siècles plus tard, poursuivront avec le même idéal sur d’autres continents » (p. 74) et « Dans ce nouveau pays qui se construit petit à petit, Champlain tient à ce que les colons et les autochtones vivent en paix et en parfaite égalité. Il n’est pas venu sur cette terre en conquérant pour dépouiller ou exploiter ces peuplades primitives. Au contraire, il souhaite les faire éduquer, les évangéliser et, finalement, les aider à se relever socialement » (p. 94).