Comptes rendusBook ReviewsReseñas

Éric Faÿ, Information, parole et délibération. L’entreprise et la question de l’homme. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2004, 221 p., bibliogr.[Record]

  • Mouloud Boukala

…more information

  • Mouloud Boukala
    Centre de recherches et d’études en anthropologie – CREA
    Université Lumière-Lyon 2, France

Ce qui frappe le lecteur ayant entre les mains l’ouvrage d’Éric Faÿ est la couverture. Trois mots en rouge se détachent sur fond noir : « Information, parole et délibération ». Jusque-là, pas de quoi accrocher notre curiosité. En revanche, notre attention s’attarde à la vue d’une toile familière de Kandinsky, Structure joyeuse. Or, à ce tableau abstrait à dominante jaune et aux couleurs chaudes est accolé un titre nouveau dans une teinte tout aussi chaleureuse : L’entreprise et la question de l’homme. Serions-nous face à ce que les linguistes nomment un énoncé antiphrastique? Le monde de l’entreprise n’est-il pas toujours synonyme de Violences en milieu tempéré (Jean-Marc Moutout) ou de ressources inhumaines? Serait-ce un nouveau manifeste : De la joie dans l’entreprise, et dans la gestion en particulier? De quoi s’agit-il exactement? D’une invitation. Une invitation à percevoir, à penser et agir autrement dans l’entreprise. Mais ne prenons pas les aboutissements pour les tenants. Procédons par étape et respectons l’approche tripartite proposée par l’auteur. Dans une première partie intitulée : « Le travail se réduit-il à du traitement d’informations? », Eric Faÿ nous immisce dans un monde entrepreneurial où prédomine ce qu’il nomme le « paradigme informationnel » : « un paradigme où l’homme se conçoit, perçoit, pense, agit et s’adresse à autrui comme système de traitement de l’information, dans une société de l’information » (p. 13). Dans des contextes où l’être humain existe indépendamment du reste de l’entreprise et semble voué à cette sainte Trinité (utilité, rationalité, intérêt), l’auteur s’interroge sur la manière dont les individus sont travaillés par la science, traversés par les nouvelles technologies, et transformés par elles en processeurs d’informations. La société de l’information n’est pas une métaphore, mais bien une réalité structurante. Faÿ se livre alors à une fine analyse de ces manières de faire en portant son attention tant sur l’origine que sur les conséquences de ces théories et pratiques. L’information est un concept issu des sciences de l’ingénieur. Ce sont les fondateurs de la cybernétique et de l’informatique, d’origine anglo-saxonne, qui ont promu ce modèle en management. L’idée est la suivante : à l’instar de la rationalité algorithmique, l’homme doit être modelé comme un ordinateur digital. Il est un agent qui maximise son intérêt par le calcul et est capable d’une rationalité sans limite. Ce modèle de l’intelligence artificielle est non seulement synonyme de maîtrise, d’assurance et de contrôle, mais également porteur d’une vision de l’homme : « En recueillant et en traitant de l’information, l’homme se rend maître de la nature (science physique), de la vie sociale (science politique), de l’action et des autres hommes dans l’entreprise (management et science de l’organisation) » (p. 13). Cette vision limitée et réductrice de l’homme s’avère lourde de conséquences. Assimiler le vivant à un système de traitement d’information permet de penser la gestion comme une émission ou réception de signaux. Dès lors, l’être humain est géré par des inputs informationnels (des stimuli) et est considéré comme une ressource. Les questions du corps, de l’expérience sensible et de l’altérité n’ont plus lieu d’être. Ce modèle favorise l’utilitarisme, étouffe le désir du sujet et soutient les rapports de pouvoir. Loin d’être source d’humanisme, il peut conduire aux pathologies de l’annulation du ressenti et à diverses formes d’aliénation pour le sujet qui travaille en entreprise. Propice à une économie de la réflexion, ce modèle réunit les conditions susceptibles de donner lieu à la maltraitance de l’homme par l’homme. Dans une perspective inductive et rebelle à l’abstraction, notamment aux rencontres et à l’organisation virtuelles, Éric Faÿ, à la suite de Denis Vasse, nous invite à une …