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Clarisse Herrenschmidt, Les trois écritures. Langue, nombre, code. Paris, Gallimard, 2007, 510 p., bibliogr.[Record]

  • André Corten

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  • André Corten
    Département de science politique
    Université du Québec à Montréal, Montréal, Canada

L’auteure de ce livre est une autorité en matière d’écritures anciennes, à la fois spécialiste de la Perse et de la Grèce, historienne de l’écriture, archéologue, linguiste, sémiologue et anthropologue. L’audace de ce livre d’une ampleur hors du commun – ne serait-ce que temporelle puisqu’il traverse 53 siècles – est, sans vouloir expliquer notre présent comme l’aboutissement de l’histoire des signes, de nous mener jusqu’à aujourd’hui en nous exposant avec une grande pédagogie l’histoire du jeu des signes, y compris celui que notre écran d’ordinateur nous renvoie au moment même où nous écrivons. Clarisse Herrenschmidt appartient à cette poignée de savants qui comprend l’origine de l’écriture, mais qui nous offre en même temps une des plus brillantes explications de ce qu’est aujourd’hui notre écriture. Elle est un penseur comme on n’en fait plus dans notre monde de spécialisation et de spécialistes. Penseur et écrivaine. Quelles sont ces trois écritures? Le sous-titre du livre nous le dit, mais pourquoi le nombre est-il une écriture? Pourquoi le code sur lequel se construisent l’informatique et l’écriture réticulaire, l’est-il également? La lecture de ces 500 pages nous l’apprend vraiment. Quel sens donner à cette scansion qui fait que dans des cycles d’une constance étonnante - 3300, - 620, + 1936, des écheveaux sémiologiques s’achèvent? Cette question a motivé l’extraordinaire aventure de cette chercheuse experte dans des écritures et civilisations anciennes à se lancer dans les mathématiques, l’économie et finalement l’informatique. Dans le dénouement de ces écheveaux sémiologiques se lit un rapport au corps humain où les « externalisations machiniques et fluides jouent un rôle majeur » (p. 391) – ici il s’agit d’anthropologie des techniques sémiologiques. Y est en jeu un monumental processus qui corrode l’ordre symbolique par la transformation de quelque chose qui relève de l’invisible en quelque chose qui relève du visible. L’écriture rend la langue visible, affirme l’auteure. Cela commence entre 3300 et 3100 avant notre ère à Uruk dans le sud de l’Irak, le pays de Sumer, et à peu près en même temps ou un peu plus tard à Suse en Iran élamite. C’est qu’au cours des années 1960 que la découverte est faite dans une maison susienne. On y découvre des bulles enveloppes sur lesquelles se trouve l’empreinte d’un sceau-cylindre qui, se donnant sous la forme d’une bouche, laisse concevoir un mythe de l’écriture qui verrait dans celle-ci une machine humanoïde. La bulle-enveloppe externalise la bouche, le nombre, l’oeil, l’ordinateur, le cerveau. Extraordinaire aventure de l’écriture qui à partir de marques pour des quantités sur les bulles se transforme en signes de mots, en signes syllabiques, pour se déployer en écriture consonantique telle qu’elle se maintient encore aujourd’hui dans la langue arabe comme dans l’hébreu jusqu’à sa sécularisation complète dans l’invention grecque de l’alphabet où se conclut la division entre consonnes et voyelles. Notons cette belle parenthèse sur l’histoire de l’hébreu, langue morte redevenue vivante! L’invention de la monnaie frappée est relativement récente. Se présentant d’abord sous la forme d’objet ovale (figurant un oeil), elle est associée à Crésus (561-546), mais elle n’a pas tellement à voir, comme on le croit, avec la distinction des valeurs de l’or et de l’argent, elle serait d’abord de nature rituelle et sacrificielle. Parmi les causes de son invention, la monnaie frappée compterait au moins la question « de l’estimation des biens en vue du paiement de la dîme sacrificielle » (p. 257). Avec la monnaie européenne de la fin du Moyen Âge s’introduisent les chiffres arabes, de 1 à 9, puis le 0. Au long d’un processus séculaire, les chiffres arabes vont marquer la victoire d’une vision cardinale du nombre. Va …