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Les huit contributions qui composent Del’adoption développent la distinction entre une « adoption traditionnelle » et une « adoption moderne », et elles décrivent la transition de l’une à l’autre dans différents contextes culturels.
Le texte de Laurence Pourchez ouvre la première partie consacrée aux territoires et départements français d’outre-mer. Elle décrit cinq types de « transferts » d’enfant qui sont en déclin sur l’île de la Réunion dans le contexte de la transition vers une pratique d’adoption institutionnalisée sous l’égide de la Direction de l’action sanitaire et sociale. Elle soutient que ces transferts contribuaient au renforcement des relations de parenté et à l’équilibre social en réduisant, par exemple, les rivalités entre femmes basées sur leur nombre d’enfants.
Dans la deuxième contribution, Jean-Vital de Monléon reconstitue les éléments d’une histoire de l’adoption en Polynésie. Il reprend les relations d’explorateurs des XVIIIe et XIXe siècles, les études d’ethnologues et les récits d’écrivains-voyageurs du XXe siècle. Il contraste ensuite l’image formée par ce tour d’horizon avec le compte-rendu de ses deux enquêtes sur l’île de Raiatea, lesquelles lui permettent de détailler, en outre, « l’occidentalisation » des jeunes femmes confiant leur enfant pour parfaire des études et du travail à l’étranger.
Le texte d’Isabelle Leblic porte sur le système de parenté kanak (Nouvelle-Calédonie) et sur ses incidences sur des pratiques d’adoption régies, sauf exception dans l’état-civil français, par la règle coutumière. Elle observe en particulier que le changement de nom qui fait suite à certaines adoptions et au mariage, et que la nature des prestations rituelles entourant l’adoption et le mariage, sont des éléments qui permettent d’établir une articulation logique entre ces deux pratiques, en plus du rapport de compensation, de substitution ou d’anticipation que la première joue parfois à l’égard de la seconde.
La deuxième partie est consacrée au transfert d’enfant dans deux sociétés matrilinéaires du monde musulman, où s’entrecroisent divers éléments des droits français, islamique (interdisant l’adoption), et coutumier. Le premier texte nous transporte à Kota Nan Gadang, un village minangkabau (île de Sumatra). Bruno Portier y analyse l’impact de l’évolution du mode de résidence et de l’émigration sur la circulation des enfants (prise en charge temporaire à l’intérieur de la parenté). Dans le deuxième texte, Sophie Blanchy et Masseande Chami-Allaoui décrivent les pratiques de transferts et d’adoption aux îles Comores. Il apparaît notamment que le désir de préserver l’identification musulmane de l’enfant cédé se joint à une préférence des familles d’accueil pour les filles, réputées plus travailleuses que les garçons, de manière à favoriser le transfert de ces derniers vers des maîtres coraniques en particulier.
La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à l’adoption internationale considérée comme la représentation dominante du type d’« adoption moderne ». Claudia Fonseca, qui signe le premier texte, soutient que certaines adoptions internationales s’opèrent sur un malentendu. Les parents qui confient leur enfant à une institution de l’État agiraient envers celle-ci dans le même esprit qu’envers un parent ou un proche acceptant temporairement de prendre soin de l’enfant, à qui est reconnu la liberté de renouer contact avec ses parents de naissance et ainsi d’obéir à ce que cette population considère être la permanence et le magnétisme propres aux liens du sang.
Chantal Collard montre qu’en Haïti le mode traditionnel de placement d’enfants (« restavec ») pour travail domestique a été vivement dénoncé comme une exploitation du travail enfantin, mais qu’aucune solution de rechange sérieuse à celle-ci et à l’adoption internationale n’a vu le jour. Aux restrictions imposées à l’immigration pour motif économique aux États-Unis et au Canada répondrait une préférence hypothétique des autorités publiques et de leurs délégués pour la famille blanche et nucléaire considérée comme un meilleur moteur à l’intégration des enfants et comme un signe plus soft de la tolérance des sociétés d’accueil que l’adoption internationale d’enfants haïtiens à l’intérieur de la parenté ou de la diaspora.
Le texte de Françoise-Romaine Ouellette clôt la troisième partie en démontrant, à partir d’une étude des procédures et des lois entourant l’adoption nationale et internationale au Québec, comment l’esprit et la rhétorique du don d’enfant sont court-circuités pour éviter toute obligation de réciprocité entre receveur et preneur, et pour éviter toute référence possible au marchandage dont l’enfant serait l’objet. Ouellette montre qu’au nom de l’intérêt et des droits de l’enfant, la seule référence possible est celle d’un don fait à l’enfant, d’un don de parents dûment évalués pour leurs capacités à prendre soin de lui et à veiller à son bon développement.
Suzanne Lallemand signe une postface avec pour objectif de déterminer si certains systèmes de filiation sont plus ouverts aux déplacements d’enfant et à certaines formes de déplacement en particulier, et pour déterminer si les terminologies traduisent cette propension.
L’emploi du terme adoption est quelquefois sujet à caution, mais l’ouvrage offre l’intérêt de décrire l’irruption des nomadismes du travail et des études, celle des droits issus du colonialisme et des conventions internationales, en retraçant leur travail de pression sur des coutumes et des règles locales qui tentent de poursuivre leur carrière en s’immisçant dans leurs pores. Il s’agit d’une préoccupation stimulante qui compte encore de beaux jours devant elle jusqu’à preuve du contraire.