PrésentationPour un « lâcher prise » de la culture[Record]

  • Bob W. White

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  • Bob W. White
    Département d’anthropologie
    Université de Montréal
    C.P. 6128, succursale Centre-Ville
    Montréal (Québec) H3C 3J7
    Canada

Depuis la première moitié du 20e siècle, nous assistons à une véritable explosion de représentations culturelles dans la sphère publique : la culture a été mobilisée par l’État au nom de la nation, par les industries culturelles et touristiques au nom de l’entertainment, et par différents mouvements autochtones au nom de l’auto-détermination. Cette instrumentalisation de la culture a été facilitée par les technologies de reproduction mécanique et de diffusion qui ont beaucoup marqué l’imaginaire mondial du 20e siècle (Benjamin 1988), mais aussi par l’émergence d’un certain discours scientifique anthropologique. Dans cette nouvelle réalité, où la notion anthropologique de « culture » devient de plus en plus visible et ses utilisations semblent s’éloigner de plus en plus de son contexte d’origine, comment devons-nous, en tant qu’anthropologues, parler de la culture? Quel avenir est réservé à cette notion et quel rôle à l’anthropologie, qui se considère comme la génitrice du concept? Les auteurs de ce numéro spécial, aussi curieux qu’inquiets d’observer comment la culture est devenue un « objet » public, posent simultanément une question et un défi. La question est de savoir en quoi cette mobilisation conceptuelle pourrait avoir des incidences sur notre façon de conceptualiser la culture. Alors que la notion anthropologique de la culture prend de l’importance au sein des politiques culturelles, du tourisme et des médias de masse, le métier d’anthropologue se diversifie aussi. Ces deux mouvements devraient-ils nécessairement évoluer de façon parallèle? Si oui, comment? Le défi est de résister à la tentation de penser que cette mobilisation de la culture mène nécessairement à l’aliénation, qu’elle soit collective ou individuelle. En fait, il en est tout autrement : les textes de ce numéro montrent que la mise en public de la culture représente autant de pièges que de possibilités. Notre petite idée de « culture », devenue grande, a tracé un itinéraire parfois surprenant et dont certains virages sont davantage source de consolation que d’autres. Maintenant que la poussière soulevée par le postmodernisme commence à retomber, chacun doit regarder autour de lui pour décider quoi faire de notre patrimoine disciplinaire. Si nous voulons que notre travail reste pertinent, il faudra non seulement s’ouvrir à d’autres utilisations du concept, mais aussi participer à la vie publique de ce golem que nous avons créé [CW, sons : « golem »]. Les anthropologues semblent prendre du plaisir à citer le fameux texte de Kroeber et Kluckhohn (1952) qui permet de montrer à quel point le concept fondateur de leur discipline est complexe. Et pourtant, l’anthropologie s’érige depuis près d’un siècle sous la bannière de « la » culture, et nous travaillons (du moins en ethnologie) avec une définition qui a relativement peu changé. Quand les anthropologues parlent entre eux, le cadre théorique employé ou l’explication de tel ou tel phénomène humain peut être une source de divergence d’opinions, mais quand ils emploient le mot « culture », les anthropologues parlent généralement d’une seule et même chose : la culture consiste en un ensemble de pratiques, croyances et valeurs qui sont acquises socialement et qui servent à renforcer l’identité d’un groupe. La version standard de l’histoire du concept de « culture » en anthropologie propose un passage d’une définition universaliste de la culture à une définition pluraliste, ce passage correspondant à la rupture historique entre les lettres (humanities) et les sciences sociales. En réalité, l’évolution du terme est beaucoup plus complexe, non seulement parce que plusieurs mouvements artistiques et intellectuels du 20e siècle se sont inspirés d’une notion anthropologique de la culture, mais aussi parce que cette évolution n’était ni linéaire ni nécessairement universelle. …

Appendices