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Depuis une dizaine d’années maintenant, les historiens nous ont habitués à saisir les relations entre les peuples autochtones et les colons européens, au moment de la Conquête des Amériques, selon une perspective beaucoup plus dynamique que par le passé. L’autochtone n’a pas été cet être passif, dépassé par des événements qu’il ne comprenait guère et qu’il maîtrisait plus mal encore, ni l’Européen cet individu farouche, résolu, insensible à la rigueur des conditions du continent comme aux réalités des nations indigènes. Il serait fastidieux d’énumérer ici les très nombreux travaux ayant réhabilité la figure de l’autochtone dans l’historiographie canadienne, à commencer par ceux de l’anthropologue Bruce Trigger ou du sociologue Denys Delâge, eux qui publièrent des ouvrages au début des années 1980 afin de démontrer le rôle actif et dynamique joué par les tribus autochtones tout au long du régime de la Nouvelle-France. D’un autre côté, on sait aujourd’hui à quel point les missionnaires, officiers et coureurs de bois de la colonie ont vécu leurs relations avec les peuplades amérindiennes sur le mode de l’emprunt ou de l’accommodement culturel, tout autant, dans certains cas, que sur le mode de la francisation ou de l’évangélisation des « Sauvages ».
Mais s’il est vrai que les puissances européennes ont emprunté aux peuples amérindiens plusieurs pratiques, il nous faut rajouter aussitôt qu’elles ont conquis leur « pays » ; et s’il est vrai que les nations autochtones ont fait preuve de sagesse et de diplomatie dans leurs relations avec l’autorité coloniale, les forces historiques en présence étaient trop manifestes et trop implacables, soulignons-le, pour ne pas les réduire bientôt à l’insignifiance. C’est dire que les termes – ou la logique – de l’échange n’étaient pas commensurables et qu’une vue au ras des pâquerettes risque de nous laisser une impression trompeuse de cette fameuse rencontre des deux mondes. Il nous semble que le remarquable ouvrage de Gilles Havard, Empire et métissages. Indiens et Français dans le Pays d’en Haut (2003), première tentative d’envergure visant à préciser les tenants et aboutissants de la Conquête de l’Ouest par les agents de la Nouvelle-France, permet justement d’éviter les pièges d’une analyse trop anecdotique de l’échange au XVIIe siècle. Critiquant The Middle Ground, de Richard White (1991), Havard cherche à démontrer que la logique de conquête était déjà inscrite dans les relations nouées entre Indiens des Grands Lacs et Français au moment de l’établissement de la colonie. Il lui paraît angélique de prétendre que les Pays d’en Haut étaient alors affranchis des rapports de force, des influences culturelles et des tentatives d’assujettissement qui allaient à terme broyer l’indépendance des nations autochtones.
L’équilibre du XVIIe siècle n’était pas seulement fragile, selon Havard, il contenait en germe les conditions du refoulement et de la réduction des « Sauvages ». La démonstration de l’auteur, étalée sur près de 800 pages, est appuyée sur les sources les plus diverses et les plus probantes. Il ne s’agit donc pas ici de critiquer Havard sur le fond. Ce que nous reprocherons à Gilles Havard dans cette note critique, c’est seulement de ne pas avoir appuyé son interprétation du refoulement des Indiens sur une réflexion globale portant sur les rapports à l’altérité de chaque culture, indienne et française. Certes, il mentionne, comme en passant, la capacité unique de la culture européenne de se prendre réellement pour objet : seulement, pour justifier cette affirmation, il ne trouve pas mieux que de rappeler les lectures des classiques grecs et latins par les missionnaires, ce qui fera sûrement sourire. C’est pourtant là, dans cette capacité d’objectivation, nous en convenons avec Havard, que loge la grande divergence sociétale entre nations européennes et peuples autochtones.
Pour comprendre l’histoire des relations euro-autochtones, et éclairer la force irrésistible du processus de colonisation, il paraît indispensable de mettre en relief deux différences majeures entre les deux sociétés, qui tiennent à leurs objectifs et à leurs moyens. La première a trait à la logique d’empire : les Européens sont en effet animés par un désir de subjugation de l’Autre, quand les autochtones n’envisagent leur relation avec les premiers qu’en terme d’alliance (ou de guerre). Les Indiens des Pays d’en Haut, le plus souvent, perçoivent les Français comme des alliés et des protecteurs : loin de vouloir assujettir Onontio, ils se placent sous son ombre tutélaire. À cette différence fondamentale s’en ajoute une autre, qui met aussi en valeur une faiblesse relative des sociétés indiennes par rapport aux sociétés occidentales : il s’agit de la capacité supérieure des Européens à manipuler la culture de l’Autre.
Havard 2003 : 398
Nous sommes d’autant plus en accord avec ce genre de réflexion que nous avons publié avec Denys Delâge, il y a quelques années, un texte qui présente cette thèse point pour point.
In spite of the Amerindians’ great reflexive capacities, écrivions-nous en 2001, it was the Europeans who developed an ethnographic perspective (and an ethnographic literature) on Amerindians, as they had on people from Antiquity or from other continents. This led to descriptions and comparisons for which the objectivization of culture was essential. Everything became an object of discussion for observers who conceived society as a modifiable, transformable, and manipulable given.
Delâge et Warren 2001 : 306
Et nous trouvions la raison de cette capacité nouvelle à manipuler les êtres et les cultures (nouvelle par sa radicalité tout au moins) dans une matrice sociétale à proprement dire réflexive, la société moderne devenant à elle-même son objet, sa propre étrangeté, sa propre question.
Now, what is specific to Reason is that it makes explicit the constructed character of culture by making each thing an object of investigation and of analysis. So-called archaic societies certainly know culture’s double-sidedness - through myth, for example - but in contrast to modern societies, they receive culture as a fact of eternity that transcends the limits of knowledge. Reason, however, since it is constitutive of human nature, allows man to objectify himself ; in other words, it allows the subject of reason to become - to himself - an object (Dumont 1968).
Delâge et Warren 2001 : 307
Mais, une fois affirmée une telle perspective, encore reste-t-il à comprendre la dynamique ayant pu légitimer cette objectivation du monde.
On a insisté longuement sur la tolérance des sauvages et sur le métissage des Européens. D’une part, on a dit que les autochtones avaient su accueillir dans leurs villages des missionnaires et des coureurs de bois, et l’on a insisté, avec raison, sur leur ouverture et, dans certains cas, leur facilité à accepter en leur sein les éléments étrangers. D’autre part, on a donné plusieurs exemples de l’hybridation des Français, eux qui n’ont pas hésité à incorporer à leurs pratiques des usages et des croyances autochtones. Encore nous faut-il comprendre pourquoi : pourquoi les sociétés modernes, ce qui paraît contre-intuitif, nous paraissent davantage intolérantes et pourquoi des sociétés culturelles-symboliques nous paraissent, en revanche, moins ouvertes au métissage. Il ne s’agit pas ici de nier, que cela soit clair, ni le métissage des Indiens (ce que démontre entre autres l’utilisation de nombreux produits made in Europe), ni la tolérance des Européens (dont un des signes est l’intermariage et les divers phénomènes courants d’« ensauvagement »), et ce depuis les premiers contacts entre Français et Micmacs ou Montagnais. Le but fixé dans cette note critique consiste simplement à bâtir des idéaux-types, tout en soulignant le caractère en partie arbitraire, sinon toujours absolu, de ceux-ci.
La thèse que nous formulerons brièvement dans ce texte se décline en deux arguments. D’un côté, que les Européens ont pratiqué le métissage davantage que les Amérindiens pour des raisons qui tenaient autant au contexte des forces continentales qu’à la logique même de leur culture. De l’autre côté, que les autochtones ont été davantage tolérants, et ce pour des raisons exactement symétriques. Mais alors la question se pose : pourquoi donc les peuples autochtones seraient-ils moins susceptibles que d’autres de favoriser le métissage? La réponse, comme nous venons de le mentionner, réside dans leur rapport au monde. Pour mieux illustrer ce principe général, retournons à une des idées-maîtresses du père de l’anthropologie contemporaine, Marcel Mauss.
Au dire de Marcel Mauss, les peuples indigènes ont ceci en commun qu’ils sécrètent des phénomènes sociaux totaux, « c’est-à-dire qu’ils mettent en branle dans certains cas la totalité de la société et de ses institutions […] » (Mauss 2001 : 102). Ces phénomènes sont indissolublement à la fois juridiques, économiques, religieux et esthétiques. Les idées de juste, d’utilité, de sacré et de beauté s’emmêlent jusqu’à devenir parfois indistinctes. « Ce sont donc plus que des thèmes, plus que des éléments d’institutions, plus que des institutions complexes, plus même que des systèmes d’institutions divisés par exemple en religion, droit, économie, etc. Ce sont des “touts”, des systèmes sociaux entiers […] » (ibid : 103). Il y a là, il nous semble, une intuition particulièrement féconde pour qui veut comprendre les rapports que les sociétés culturelles-symboliques, selon la définition du sociologue Michel Freitag (1986), entretiennent avec le monde (Tarot 1996). Rien, par exemple, n’est plus technique que la fabrication d’un canot d’écorce, dont les matériaux aussi bien que la forme et le poids sont parfaitement bien adaptés aux différents usages auxquels les plient les voyageurs autochtones ramant et portageant à travers lacs, rivières et montagnes. La confection de ce moyen de transport n’en est pas moins inscrite à l’intérieur d’un rite élaboré qu’il est impossible de détacher, même par principe ou par hypothèse, de la fabrication de l’objet. Le canot est donc, pour parler le langage de Marcel Mauss, un phénomène social total, dans la mesure où il participe de plusieurs sphères (esthétique, religieuse, etc.) que les modernes ont appris à distinguer.
La religion, à l’évidence, informe l’ensemble des sphères de la vie des sociétés culturelles-symboliques. Les exemples abondent. Contentons-nous d’en donner un ou deux, tirés de My life with the Eskimo, de l’explorateur Stefansson. Le docteur Marsh, pasteur d’une petite communauté innu à Point Barrow, était, au tout début du siècle, confondu par l’orthodoxie de ses ouailles, lesquelles s’obstinaient à ne pas pêcher le dimanche, alors que la saison était si courte et que, devant retirer leurs filets de l’eau le samedi et les remettre le lundi suivant, ils ne perdaient pas seulement une journée mais près de deux jours et demi. Habitués à respecter les tabous traditionnels, ils ne pouvaient imaginer que l’irrespect de la « journée du Seigneur » ne leur apporte pas la damnation éternelle. Voulant leur faire comprendre le peu de fondement de leurs craintes, la pasteur Marsh se mit à travailler de manière ostentatoire le dimanche durant la saison de la pêche, mais en vain, il ne les convainquit pas de renoncer temporairement à cet interdit. Quelques-uns entretinrent l’idée qu’il possédait quelque talisman qui le prémunissait contre les conséquences de cette transgression, alors que d’autres, persuadés qu’il n’était pas un homme de Dieu et qu’il cherchait à attirer le malheur sur la communauté, réclamèrent son remplacement dans une lettre envoyée à ses supérieurs religieux. Il faut dire que la situation s’était aggravée entre-temps, puisque le pasteur s’était révélé incapable de faire lever un vent nord-est lors de la saison de la chasse à la baleine.
They wanted a change of wind, and they began to mutter among themselves that this was a fine sort of missionary to have, who was unable to control the winds and help them in whaling. They reminded themselves how their own medicine men had been able not only to control the comings and goings of the whales, but had even been able to make the whales willing to be killed. They also inquired from their countrymen in other districts, who reported that the missionaries whom they had assured them that, if they prayed to God in the right way, He would do for them whatever they asked Him. That was the kind of missionary to have, and why could not they, too, have such a missionary? And so they formulated charges which were written down by the scholars among them and forwarded to the Board of Home Missions of the Presbyterian Church, in New York.
Stefansson 1966 : 96
Ce passage, intrigant du strict point de vue de la rationalité économique, fait parfaitement sens du point de vue d’un phénomène social total. Le tabou ne saurait être enfreint pour des raisons économiques parce qu’il est toujours déjà économique : si l’on tue des baleines un dimanche, les baleines ne viendront plus se laisser tuer les autres jours. Réciproquement, la puissance religieuse inclut aussi les dimensions économiques de l’existence : considéré comme l’égal d’un chaman, un pasteur doit être en mesure d’assurer la survivance du groupe par la maîtrise des forces de l’univers. Le phénomène est bien entendu également esthétique, comme il est juridique, ce que révèle la sanction que les habitants de Point Barrow voulurent attirer sur leur pasteur.
Or, parce que, dans la culture autochtone des Amériques, les réalités sociales sont des phénomènes totaux, il s’ensuit que les échanges des marchands, des missionnaires et des diplomates européens avec eux devaient accepter ce holisme[1], au risque, autrement, de susciter une série d’incompréhensions préjudiciables à l’échange. Par exemple, lors de la Grande paix de Montréal de 1701, le gouverneur français et sa suite se plièrent de bonne grâce à un rituel des alliances qui leur était étranger, sachant que le refus de s’en remettre à cet ensemble de symboles signifierait la rupture des négociations. Ils le comprenaient mal, mais ils finirent par accepter l’entrelacement du domaine militaire avec les domaines religieux et familial. Nous ne disons pas que cet entrelacement était tout à fait étranger à la culture française d’alors mais, comme Havard, nous insisterons sur le fait que, si c’était le cas, comme ce l’est en partie encore, ce l’était à un bien moindre degré que pour les peuples de ce continent. S’il y a une différence, elle est de degré et non de nature. L’économie, si elle n’existe pas comme sphère distincte, existe comme réalité chez les nations amérindiennes à l’époque de la Conquête, cependant la rationalité économique dont ils font preuve n’arrive jamais à s’émanciper de la société dans son ensemble et à profaner véritablement d’autres sphères de l’existence commune. Cela, il va de soi, vaut pour toutes les autres sphères de l’existence autochtone[2].
Il en va autrement chez les Français de la colonie, bien que ceux-ci – nous venons de le mentionner – vivent dans un syncrétisme qui n’est pas aussi éloigné que l’on pourrait le prétendre des pratiques et des valeurs de la société à laquelle ils s’opposent. La méthode de l’idéal-type permet néanmoins de marquer une distance, une distance déjà assez bien indiquée dans le discours des autochtones eux-mêmes lorsqu’ils réclament, devant les pouvoirs coloniaux, qu’on leur procure « un interprète, un jésuite et un forgeron » (La Potherie 1722 : 214-215)[3]. Jamais on n’entend les colonisateurs français faire en retour de telles réclamations, et pour cause : les peuples autochtones, confrontés au complexe fort-comptoir-mission, ont parfaitement saisi l’autonomie croissante des sphères d’activité chez les peuples modernes entre l’officier, le marchand et le missionnaire.
La société moderne force en effet le repliement sur elle-même de chacune des sphères de l’activité humaine. Ce procès général de civilisation est visible d’abord, sans doute, dans le domaine économique où les valeurs religieuses, les prescriptions morales et les considérations esthétiques finissent par être refoulées en dehors de la logique productive du capitalisme. Le marchand n’a d’autres mobiles que le profit, et ce dernier subordonne par conséquent à sa puissance toute autre valeur qui lui semble extérieure. Il y a comme une frontière, invisible et pourtant palpable, qui s’instaure entre l’espace du capital et les autres espaces sociaux, dont, au premier chef sans doute, l’espace religieux, puisqu’une des conséquences de cette domination nouvelle du capitalisme consiste en la profanation des choses par et dans un procès incessant de marchandisation du monde. Si, comme on le dit, un commerçant finirait par « vendre sa mère » du moment qu’il pourrait en tirer un bon profit, c’est que les liens filiaux participent désormais d’une réalité devenue étrangère à celle de l’accumulation et de la reproduction du capital.
Au moment de la Conquête du Nouveau monde, la modernité est assez avancée en France pour avoir opéré une première autonomisation des sphères d’activité selon un mouvement qui ira s’accentuant. Selon Georges Dumézil, la civilisation indo-européenne est structurée selon une division tripartite entre trois fonctions hiérarchisées : souveraineté spirituelle, force et fécondité, soit le prêtre, le militaire et le paysan. Cette hiérarchie existait aussi, en quelque sorte, chez les sociétés autochtones, mais selon une tension qui était loin d’être aussi exacerbée que chez la société française, où à ces trois fonctions s’était ajoutée la fonction productive du capitalisme. À l’époque de la Nouvelle-France, il y a trois pouvoirs en concurrence, à savoir le pouvoir religieux, le pouvoir monarchique et le pouvoir économique, et ces trois pouvoirs sont en constante lutte pour la préservation de leur autonomie face aux velléités d’assujettissement des autres. On se souvient encore des querelles, ayant défrayé la chronique de la Nouvelle-France, entre le gouverneur et le clergé, entre le clergé et les marchands ou encore entre les coureurs de bois et le gouverneur. Les alliances, toujours fragiles, ne tenaient qu’à la concordance des intérêts de chacun des trois groupes, mais une concordance qui était tout de même renforcée par le fait que l’ordre social des groupes avec lesquels devaient être menées de continuelles négociations, à savoir les nations autochtones, reposait sur des phénomènes sociaux totaux, ce qui resserrait les liens entre les trois pouvoirs en Nouvelle-France. Comme condition du commerce avec les Français, par exemple, les Hurons demandaient une aide militaire, et les traités signés étaient facilités par la prise d’otage et l’adoption de personnes, exigence à laquelle se pliaient les missionnaires jésuites. La compétition entre le pouvoir religieux, le pouvoir politique et le pouvoir économique ne pouvait donc être aussi exacerbée qu’en d’autres contextes. Si par exemple sous Louis XIV, il était généralement interdit aux militaires de commercer, les commandants profitaient allégrement de ce commerce, non seulement par cupidité et convoitise, mais également par souci de pragmatisme, sachant qu’ils ne pourraient garder leur ascendant sur les soldats autrement, eux que l’on arrivait mal à distinguer parfois de simples coureurs de bois.
L’autonomisation ici évoquée favorise deux attitudes proprement modernes, à savoir : une certaine distanciation face aux réalités du monde et un certain relativisme. Ce sont ces deux attitudes qui permettent de mieux comprendre pourquoi les nations européennes furent davantage ouvertes au métissage et les peuples autochtones (en un sens qu’il nous faudra préciser) plus tolérants. La prise de distance procède, en effet, d’une instrumentalisation par une sphère des valeurs et des institutions valorisées par une autre sphère. Une société moderne pourra à l’évidence davantage se plier à cette instrumentalisation dans la mesure où les sphères d’activité, désormais autonomisée, y sont déjà devenues étrangères à toutes les autres. C’est sur ce phénomène que Gilles Havard insiste longuement dans son ouvrage, collectionnant les exemples (par exemple, le peu d’effort déployé par les autochtones pour apprendre la langue française) qui démontrent une moindre volonté de s’assimiler les techniques de l’Autre pour mieux le manipuler.
L’Indien, à la différence du Français, n’entend pas manipuler mais simplement imiter. Cela ne signifie pas qu’il est plus naïf (ce serait le juger du point de vue occidental) mais que sa culture ne le porte pas à subjuguer son partenaire ; il cherche en l’imitant à en faire un allié, à l’intégrer en absorbant et en s’appropriant sa différence, en somme en l’adoptant comme l’un des siens.
Havard 2003 : 759
Cette différence, ce nous semble, se saisit plus facilement, quand on la replace à l’intérieur de l’opposition entre société autonomisée et société holiste dont nous avons fait la base de notre idéal-type. Les sociétés dont les sphères d’activité ont été plus fortement autonomisées peuvent en effet manipuler plus aisément les cultures étrangères, et ce à partir d’une objectivation qui existe au sein même de leur dynamique d’auto-reproduction.
Ainsi, le capitaliste pourra instrumentaliser, coloniser et exploiter les valeurs religieuses en vendant aux chrétiens, au prix fort, des bibles qui ne l’intéressent pas et qu’il ne lira jamais. Le pouvoir politique pourra aussi se servir des rituels autochtones pour asseoir une domination qui n’a cure des formes d’expression culturelle de l’alliance. Charlevoix raconte par exemple que les délégués français envoyés négocier la Grande paix de Montréal s’étaient beaucoup moqués des cérémonies auxquelles ils s’étaient toutefois soumis de bonne grâce, entendu que, à leurs yeux, le sacrifice n’était pas si considérable en proportion des gains de la paix avec les nations iroquoises.
Cette cérémonie, écrit Charlevoix, toute sérieuse qu’elle étoit de la part des Sauvages, fut pour les Français une espèce de comédie, qui les réjouit beaucoup. La plûpart des Députés, surtout ceux des Nations les plus éloignées, s’étoient habillés & parés d’une manière tout-à-fait grotesque, & qui faisoit un contraste fort plaisant avec la gravité et le sérieux, qu’ils affectoient.
Charlevoix 1744 : 281
Tout catholiques et vertueux qu’ils fussent, les missionnaires pratiquaient le jeu de la dissimulation et de la manipulation aussi bien que les diplomates de cour. C’était par l’étude minutieuse des moeurs et des croyances qu’ils s’imaginaient pouvoir mieux asseoir leur entreprise de conversion. Il convient, écrivait le père Mercier en 1668, de « se faire sauvages avec les sauvages » comme on est romain avec les romains, c’est-à-dire de « s’accommoder à leurs façons, pour ridicules qu’elles paroissent, afin de les attirer aux nostres. Et comme Dieu s’est fait homme, pour faire les hommes des Dieux, un missionnaire ne craint pas de se faire, pour ainsi dire, sauvage avec eux, pour les faire chrétiens » (Cité par Havard 2003 : 686).
La fourberie, la ruse, la traîtrise, la dissimulation et la roublardise, cela n’est pas l’apanage des seuls Européens, mais des moyens dont les colonisateurs européens ont dénoncé à répétition l’usage par les autochtones. Nous ne nierons pas que les autochtones ont su utiliser à leurs fins les rites et les normes des Français, un fait sur lequel White a justement insisté quand il a rappelé leur capacité à manier les catégories culturelles européennes (ce dont on trouve moins de témoignages dans les documents européens pour une raison toute simple ; on est plus susceptible de rapporter des exemples où l’on manipule les gens que des exemples où l’on est soi-même manipulé, non seulement par souci de conserver son honneur, mais par aveuglement : celui qui est dupé ne sait pas qu’il est dupe). Mais nous insisterons aussi bien sur le fait qu’ils n’ont pas su céder à ce penchant dans une même mesure. Rappelons-nous les Innus de Stefansson qui ne se donnaient pas la permission d’enfreindre le tabou du travail le dimanche, même lorsque la réalité économique aurait dû les forcer à le faire. Bien sûr, les peuples autochtones bricolent, rusent et négocient constamment avec les dieux, les forces de la nature, leurs ennemis et les normes de leur culture ; bien sûr, ils pratiquent allégrement, comme nous l’avons souligné, le braconnage culturel, mais cela se fait à l’intérieur d’un « monde plein »[4], un monde au sein duquel toute chose a sa place et tout être, sa fonction. C’est pourquoi l’appropriation se fait moins sous le mode du métissage – lequel n’est à l’évidence pas exclu – que sur celui du syncrétisme, les discours et les pratiques des Européens étant recontextualisés en fonction du code génésique général de la communauté. Et du syncrétisme au métissage, il y a toute la distance qui sépare le monde holiste des sociétés culturelles-symboliques du monde autonomisé des sociétés modernes.
Cela nous amène justement à aborder la question d’un certain relativisme des Européens, relativisme qui a de quoi surprendre ceux et celles qui se sont habitués à considérer les communautés autochtones comme beaucoup plus accueillantes que les sociétés européennes. Ceux-là ont raison. Le relativisme des Européens est non seulement limité, mais il alimente paradoxalement une intransigeance tout aussi grande, sinon supérieure. Ce fait que Havard laisse en suspens, nous devons chercher à le comprendre puisqu’il prend la figure d’un intéressant paradoxe.
D’un côté, insistons-y, les peuples autochtones atteignent, par l’adoption d’une conception holiste du monde, à un véritable relativisme. En effet, bien qu’elles soient intolérantes envers les nations voisines (les accusant, comme le rappelait Claude Lévi-Strauss, d’oeufs de pou et de fils du chien), les communautés autochtones savent davantage reconnaître la différence comme un tout, attitude qui est directement liée à l’idée des phénomènes sociaux totaux. C’est ainsi qu’on trouve chez certains représentants de ces communautés une expression magnifique de la diversité culturelle. Aoti Chabayua, disaient certains Indiens aux Euro-Canadiens qui cherchaient à leur imposer leurs coutumes et leurs valeurs : « Ceci n’est pas indien ». Comme le déclarait un chef indien à un missionnaire : « Le monde européen est différent du nôtre ; le dieu qui a créé votre monde… n’a pas créé le nôtre »[5]. C’est pourquoi, rajoutait le chef : « Vous pouvez avoir votre voie et nous aurons la nôtre ; tout le monde préfère ses manières de faire ». Ces remarques se retrouvent aussi dans les Relations des Jésuites : « Et quand nous leur prêchons un dieu créateur du ciel et de la terre et de toutes choses, de même quand nous leur parlons d’un enfer et d’un paradis et du reste de nos mystères, les opiniâtres répondent que cela est bon pour notre pays, non pour le leur ; et que chaque pays a ses façons de faire » (Lejeune 1635 : 117). Chez les peuples autochtones, ces mondes sont mis en parallèle ou juxtaposés, ce qui explique que quand les missionnaires montraient aux indigènes des globes terrestres, ceux-ci « demeuraient sans réplique » parce qu’ils avaient du monde une image pleine – au mieux pouvaient-ils s’imaginer que les Européens et eux avaient été créés par des divinités différentes.
Ce relativisme était d’exclusion ; chacun devait vivre dans son monde, à l’écart et à l’exclusion des autres. Le relativisme de la Nouvelle-France était différent – et, en ce sens, il était davantage moderne, c’est-à-dire intransigeant. Ayant commencé à autonomiser leurs sphères d’activités, les explorateurs européens pouvaient davantage considérer, du lieu de leur valeur privilégiée, toutes les autres valeurs comme relatives. On a ainsi souvent souligné la libéralité des missionnaires jésuites qui, après avoir côtoyé pendant de longues années les villages hurons, avaient fini par reconnaître la richesse et la grandeur de leur société et avaient pu écrire dans leurs Relations, que, hormis la croyance en Dieu, tout est relatif. Toutefois, cette reconnaissance se faisait sur la base, ironiquement, d’une absolutisation de la foi chrétienne qui rendait les missionnaires particulièrement prosélytes, sinon fanatiques.
Encore une fois, prenons l’exemple de l’économie, puisque le procès d’autonomisation du capital est central dans ce contexte où sont confrontés deux systèmes culturels, l’un holiste, l’autre fractionné. On trouvera ainsi très belle la parole des missionnaires qui prêchent le relativisme culturel jusqu’à ce qu’on se rappelle la parole des marchands de fourrure, pour qui, hormis le profit, tout est relatif. À cet égard, la vie de Radisson est particulièrement éclairante, lui qui, de Paris à Trois-Rivières, ou de l’Iroquoisie à Albany, Québec, Londres et la Baie d’Hudson, a chevauché des mondes culturels variés, instrumentalisant les valeurs de ses hôtes afin de les plier à une fin mercantile. Pour Pierre-Esprit Radisson aussi, tout était secondaire, sauf le prix des fourrures. Hormis le succès matériel, aurait-il pu dire, tout est relatif. Et le roi de France aurait pu également s’exclamer que, hormis l’alliance militaire ou la sujétion politique, tout est relatif.
Néanmoins, tout comme les prêtres jésuites qui participaient aux missions volantes, cette tolérance plus grande de chaque sphère sociale conduisait en contrepartie à une plus grande intolérance quand il s’agissait de défendre ce qui se posait comme l’absolu de la condition humaine : le profit, la foi ou la raison d’État. Les marchands pouvaient saccager l’environnement, trahir leur pays, mépriser les missionnaires et exploiter les peuples autochtones, tout leur semblait permis du moment qu’ils pouvaient écouler plus facilement leurs marchandises. On assistait, selon chaque logique sociale, à une absolutisation des pouvoirs, à une radicalisation des processus à travers lesquels chacune des sphères imposait ses principes et ses valeurs. La centralisation, la bureaucratisation, la rationalisation du pouvoir royal que l’on appelle absolutisme a son pendant au même moment dans l’Église catholique, ainsi que dans la création de grandes entreprises de commerce et de finance.
Le paradoxe, que Havard se trouve incapable d’expliquer, est donc que chaque sphère est désormais plus tolérante par rapport à toutes les autres, et moins tolérante en soi, nous voulons dire : prise en elle-même. L’accroissement du relativisme veut aussi dire que des mécanismes sévères d’exclusion seront mis en place pour pallier l’éclatement de l’unité de la culture traditionnelle : pour l’État, la prison ; pour l’Église, l’excommunication ; pour l’économie, la banqueroute, le chômage et la misère matérielle. Nous obtenons donc, en bout de course, l’image d’une société paradoxale : plus libérale et plus contraignante, plus ouverte et plus zélote, plus relativiste et plus prosélyte et propagandiste. L’un nous permet en effet de mieux comprendre l’autre : ce sont les deux côtés d’une même médaille.
Les Européens ont davantage été métissés que les autochtones, mais ce métissage, lorsqu’il n’a pas été jusqu’à l’abandon de la culture d’origine, ne devrait pas nous aveugler : en définitive, il n’a jamais été qu’instrumental. Le pouvoir colonial maniait les référents autochtones pour mieux asseoir sa domination et subjuguer le Pays d’en Haut. Il n’a jamais été sérieusement question d’en épouser les formes et d’en accepter les valeurs, ce qui explique pourquoi, en Nouvelle-France, puis au Canada, les traces d’acculturation disparurent aussi vite que s’évanouit l’alliance avec les autochtones. Voilà une accommodation bien curieuse, elle qui peut à la fois montrer les signes du plus grand respect pour la culture amérindienne et une indifférence qui va jusqu’au mépris. Il serait difficile d’y comprendre quoi que ce soit sans replacer cette relation dans une cadre plus large, qui insiste sur ce fait à proprement dire banal que la « rencontre de deux mondes » a été la rencontre d’un monde « total » et d’un monde « fracturé » entre des groupes à la fois hétérogènes et rivaux. Fortement insister sur les phénomènes de métissage nous cache ainsi peut-être l’essentiel, à savoir que ce métissage avait peu à voir avec une réelle appréciation des moeurs et valeurs des peuples autochtones du point de vue de la logique propre à chaque sphère sociale – bien que ne nous ne niions pas que les paysans (oralité, fête, etc.) et les aristocrates (chasse, bravoure guerrière, etc.) aient pu trouver des cousinages réels et profonds entre leur culture et celle des autochtones, et que l’ensauvagement des colons fût un phénomène bien réel. Le commerçant qui tolère le chamanisme dans son comptoir de traite ne pense qu’à ses peaux, comme le commandant qui accepte des rituels de torture dans son fort ne songe qu’à assurer sa puissance militaire, tout comme, enfin, le prêtre jésuite qui enseigne dans sa mission des prières en langue huronne ne rêve qu’à la conversion de ses ouailles : au sein de chaque système, la fin (que ce soit la fourrure, le territoire ou les âmes) pouvait justifier tous les moyens.
D’un autre côté, il était plus difficile de changer, même superficiellement, la culture autochtone, dans la mesure où cette culture holiste en quelque sorte assimilait, en en retraduisant immédiatement le sens, les valeurs et produits européens. Un religieux de la Nouvelle-France, découragé devant le peu de succès des missions jésuites, s’exclamait qu’il faudrait des siècles avant de croire pouvoir convertir les autochtones. En un sens, il avait raison. La culture des Indiens étant totale, c’est cette culture en totalité qu’il fallait changer, en pratiquant une sorte de génocide culturel selon le modèle de ce que tenteront plus tard les autorités coloniales britanniques à travers l’instauration d’un vaste système scolaire. Mais alors, les activités traditionnelles ne furent plus viables, et quand a été bouleversée la culture ancestrale et brisé en plusieurs morceaux épars ce qui se présentait, au moment de la Conquête, comme un système social total, c’est tout le rapport au monde qui s’en est trouvé profondément affecté. Et pour le pire. L’acculturation n’ayant pas pu être vécue sur le mode de l’appropriation pragmatique et de la manipulation, les Indiens ont été projetés dans un univers qu’ils ne savaient complètement maîtriser et dans lequel le racisme ambiant les situait immédiatement à un échelon inférieur de l’humanité. Le syncrétisme n’étant plus possible, ce fut, dans certains cas, l’éclatement pur et simple de la culture traditionnelle et communautaire auquel on assista, ce qui explique une part de la situation d’anomie dans laquelle bien des groupes indiens se retrouvent aujourd’hui. Parfois ce fut l’explosion, d’autres fois l’implosion, mais la conclusion fut à peu près toujours la même : l’incapacité chronique des autochtones à se fondre dans la culture européenne, à s’assimiler à la pièce ses valeurs et ses croyances, comme si, par cette incapacité, qui prit très souvent la forme d’un refus explicite et assumé, ils voulaient nous rappeler à une autre logique du monde, moins autonomisée sans soute, mais peut-être, pour autant, non moins nécessaire.
En conclusion, que dire? sinon rappeler que la typologie ici rapidement esquissée, étant idéale-typique, ne saurait servir de description à la réalité au moment de la Conquête. Elle peut permettre cependant de faire sens des rapports entre Européens et autochtones dépeints avec intelligence et finesse dans le magistral ouvrage de Gilles Havard. Les nations européennes furent davantage ouvertes au métissage, non seulement en raison du contexte de colonisation, mais aussi en vertu de la logique même de leur culture, alors que, pour les peuples autochtones, ce fut en quelque sorte l’exact contraire. « La manipulation des signes chrétiens – et par là leur assimilation – prouve la capacité d’improvisation des autochtones. On ne saurait pourtant réifier le middle ground en mode égalitaire d’objectivation de la culture de l’Autre. Si l’Amérindien peut faire preuve de relativisme culturel, il ne le fait pas au point de critiquer sa propre culture, c’est-à-dire d’en faire un objet » (Havard 2003 : 400). Il serait futile d’insister ici sur le fait que le rapport de force instauré en Nouvelle-France a éminemment coloré cette opposition. Cela est tellement évident que nous n’avons pas éprouvé le besoin d’y insister dans cette note critique. Il serait vain de vouloir nier à quel point la nécessité de s’allier les Indiens a joué un rôle important dans le genre de relations, davantage libérales et accueillantes, qui fut instauré dans les Pays d’en Haut au XVIIe siècle. Mais, toutes choses étant égales par ailleurs, il semble bien que la manipulation de la culture de l’Autre était davantage possible chez les nations européennes, qu’elles savaient davantage se prendre pour objet, parce qu’elles étaient déjà éclatées en elles-mêmes selon une logique qui ira en s’accentuant et qui situera d’abord la découverte de l’étranger au coeur de la dynamique occidentale. L’invention des catégories du sacré et du profane a été radicalisée dans et par cette fracture toujours plus grande entre la religion et le reste de la société, mais aussi les catégories du travail et du loisir, de la liberté et de l’autorité, ou du commerce et de la raison d’État, etc. Serait-ce trop dire que cette fracture a été l’occasion d’une rencontre tout à la fois atroce et féconde?
Appendices
Notes
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[1]
Lire à ce sujet les réflexions toujours actuelles de Louis Dumont dans Homo equalis (1967) et Homo hierarchicus (1977 et 1991). Sur l’actualité de Louis Dumont, en dépit de nombreuses critiques dont nous sommes parfaitement conscient, lire Vibert (2004).
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[2]
Par exemple, écrit Havard, « Le missionnaire n’est pas seulement perçu par les autochtones en tant que tel : son action est inséparable du commerce de la fourrure et de la diplomatie française » (2003 : 706).
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[3]
Un orateur ouiatanon réclament la venue dans leur village « d’un officier pour assister a leur conseil, d’un missionnaire pour les instruire et d’un forgeron pour raccommoder leurs armes » (cité par Havard 2003 : 234).
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[4]
L’expression est de Jean-Jacques Simard (1988 et 2004).
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[5]
« Telles sont nos coutumes ; votre monde est différent du nôtre. Le Dieu qui a fait le vôtre – disent-ils – n’a pas produit le nôtre » (Brébeuf 2000 : 212).
Références
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- —, 1977, Homo aequalis. 1 : Genèse et épanouissement de l’idéologie économique. Paris, Gallimard.
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- Stefansson V., 1966, My Life with the Eskimo. New York, Collier Books.
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- Vibert S., Louis Dumont, holisme et modernité. Paris, Michalon.
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