Le concept de culture, les termes qui lui sont associés (interculturel, multiculturel) et la politique qui s’est développée autour du multiculturalisme évoquent spontanément, dans le contexte du Canada, la question du respect des identités ethnoculturelles des citoyens canadiens, quels que soient leur pays d’origine, leur religion et leur système de valeurs. La politique du multiculturalisme ne s’oppose nullement à ce que les différentes religions puissent s’exprimer librement dans l’espace de la cité, à l’école et dans les institutions publiques, même si les pays occidentaux sont souvent devenus, dans les faits, des sociétés profondément séculières et postreligieuses. Il me semble urgent de poser à nouveau la question de la religion et d’envisager ses liens avec le politique, la démocratie et la citoyenneté. D’autant plus qu’un nombre élevé d’immigrants tendent, en Amérique du Nord, à accéder à la citoyenneté en passant par l’appartenance à des Églises et groupes religieux qui servent à certains d’entre eux de voie d’insertion pour trouver une place dans la société d’ici et y jouer un rôle en tant que citoyens. En chassant le religieux de nos pratiques publiques institutionnelles, nos sociétés se sont privées, me semble-t-il, de repères utiles pour penser le mode d’entrée dans la citoyenneté que choisissent certains de nos compatriotes, particulièrement les néo-Québécois issus de pays d’Afrique, des Antilles, d’Amérique latine et du sud-est de l’Asie. Les immigrants sont souvent porteurs, on le sait, d’autres valeurs et pratiques pour ce qui touche à la vie de famille, aux rapports de couple, aux modes d’éducation des enfants, au rôle de l’école, à la place du travail ; de plus, pour de nombreux immigrants, la religion représente quelque chose d’important à travers laquelle ils élaborent des stratégies leur permettant de s’inscrire éventuellement dans notre vie démocratique. On peut s’étonner qu’ils recourent ainsi à des groupes religieux pour les aider à bâtir leur identité de citoyen dans une société d’accueil qui se présente souvent sous le signe de la postreligion. Quand les immigrants non occidentaux ont pris le chemin les conduisant vers d’autres pays, quand ils se sont mis à parler leur deuxième ou leur troisième langue, quand ils ont été forcés de réinventer leurs liens avec les valeurs du monde auquel ils ont tourné le dos et surtout quand ils ont dû faire de leur expérience migratoire la matière même de leur quotidienneté, on peut dire que c’est alors que de nouvelles formes de citoyenneté ont pu apparaître dans les pays dans lesquels ils sont venus s’installer, notamment dans les pays occidentaux de forte immigration. Certains néo-Québécois ne semblent pouvoir accéder à la citoyenneté qu’en instaurant, surtout dans le cas des immigrants d’origine africaine, antillaise et asiatique, un retour vers leur héritage religieux qu’ils recomposent pour lui donner sens dans l’espace de la société d’accueil. Pour comprendre les voies d’accès à la citoyenneté qui passent par les églises et les groupes religieux, il faut interroger les formes que le religieux a prises dans les démocraties laïques de l’Occident. C’est ce que j’essaie de faire dans les pages qui suivent. Je le fais en situant mes réflexions sur l’horizon d’une interrogation fondamentale au sujet du rôle que la religion peut jouer, dans une société décrite comme postreligieuse, en tant que voie d’accès vers la citoyenneté pour des immigrants d’origine africaine, antillaise et asiatique. Côté « terrain », j’évoque la formidable créativité religieuse des populations migrantes, le bricolage rituel auquel les leaders religieux s’adonnent, la multiplication des petites églises que les immigrants fréquentent et le souci du thérapeutique qu’elles placent au coeur de leurs rituels. Le recours au religieux surprend d’autant plus que notre société se donne, en …
Appendices
Références
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