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Arachu Castro et Merrill Singer (dir.), Unhealthy Health Policy. A Critical Anthropological Examination. Walnut Creek, New York, Toronto, Oxford, Altamira Press, 2004, 387 p., réf., index.[Record]

  • Raymond Massé

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  • Raymond Massé
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

Depuis le début des années 1980, et tout particulièrement au cours des dix dernières années, l’anthropologie médicale américaine est marquée par l’émergence d’un courant qui se définit lui-même comme critique. Pour réagir aux approches classiques qui mettaient l’accent sur l’analyse des constructions socioculturelles du sens de la maladie, des soins et des soignants, cette critical medical anthropology s’intéresse d’abord aux conséquences des inégalités sociales (ethniques, de genre, de classe sociale, internationales) sur la distribution et la transmission des maladies. Le présent ouvrage s’inscrit dans cette tendance critique. L’accent est toutefois déporté vers les séquelles des politiques de santé, nationales et internationales qui, loin de lutter contre les effets de ces inégalités, s’en feraient les courroies de transmission et de reproduction. Les politiques de santé censées contribuer à améliorer la santé des populations reproduisent en fait les inégalités face à la maladie et deviennent pathogènes. Le rôle des anthropologues n’est plus seulement, selon les éditeurs de l’ouvrage, de contribuer à rendre les politiques plus efficaces (en informant les planificateurs sur les déterminants sociaux et culturels locaux du recours aux soins). Ils devraient plutôt critiquer les impacts négatifs, prévus ou imprévus, des politiques sur la vie et le bien-être des populations. Le présent ouvrage se donne donc comme objectif de transcender une anthropologie « dans » les politiques en faveur d’une anthropologie « des » politiques. Chacune à sa façon, les vingt-trois contributions regroupées ici illustrent, pour les sociétés du Nord et celles du Sud, de quelles façons les politiques de santé publique constituent une menace structurelle pour la santé des populations vulnérables et marginalisées. La notion de politique renvoie ici aux lois et autres guides d’action codifiés ainsi qu’aux politiques implicites dans les actions programmées qui ont un lien indirect mais réel sur la santé. En ce sens, chacune des contributions montre que ces politiques sont élaborées sous l’influence de plusieurs facteurs extérieurs à la santé elle-même, voire en l’absence de toute véritable préoccupation pour la santé publique. Reflétant les conflits de pouvoir entre classes sociales ou groupes d’intérêts, les politiques de santé reproduisent la violence structurelle enracinée historiquement dans les processus économiques et politiques. Dans la première partie, les textes illustrent la distance séparant les politiques de santé telles que les élaborent les institutions internationales et les réalités locales, particulièrement en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Par d’exemple, selon Arachu Castro et Paul Farmer, comparant Haïti et Cuba, l’inefficacité des politiques internationales de lutte contre le sida en Haïti peut être attribuée au mauvais usage des outils d’analyse de type coût-bénéfice et à la politisation des arguments de la communauté internationale pour justifier ou non l’aide aux pays pauvres ; de leur côté, les succès cubains s’expliquent par une politique nationale efficace. D’autres analyses illustrent les effets des politiques des institutions financières internationales sur la tendance à privatiser les systèmes de santé en Amérique latine (Francisco Armada et Carles Muntaner) et en Inde (Imrana Qadeer et Nalini Visvanathan), politiques qui servent plus les intérêts des corporations nationales et internationales que ceux de la santé des populations. Dans la même ligne de pensée, James Pfeiffer montre que ces mêmes politiques internationales axées sur l’impératif des « ajustements économiques structurels » ont résulté en une fragmentation des services de santé au Mozambique. Ces politiques entraînent aussi la disqualification du travail des sages femmes au Pakistan (Fouzieyha Towghi), celles des soins de santé primaires au Chili (Joan Paluzzi), ou l’inefficacité des pratiques de contrôle des naissances au Mexique (Arachu Castro). Pour sa part Alice Desclaux analyse les effets néfastes des politiques de frais minimaux sur l’accès aux traitements antirétroviraux en Afrique. …