PrésentationLe mythe aujourd’hui[Record]

  • John Leavitt

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  • John Leavitt
    Département d’anthropologie
    Université de Montréal
    C.P. 6128, succursale Centre-ville
    Montréal (Québec) H3C 3J7
    Canada

Depuis le début de la modernité, les penseurs occidentaux découvrent chez tous les peuples des récits jugés importants, récits fondateurs ou exemplaires, qui sont préservés à travers les générations, qui se démarquent par leur élaboration poétique ou par leur mise en scène rituelle, qui sont composés de situations, êtres, événements en dehors des règles réelles et de l’expérience quotidienne de la société en question. De tels récits, qui semblent correspondre à un type déjà connu chez les Grecs et les Romains, s’appellent « fable » (tiré du latin) ou « mythe » (tiré du grec) – un système de mythes ou une doctrine sur eux constituant une mythologie. En fait, c’est ce dernier mot qui est le premier emprunté par les langues modernes, apparaissant en français dès 1403 et en anglais dès 1462, tandis que le mot mythe n’est attesté en français qu’en 1803 et en anglais en 1838, dans une forme écrite d’abord « mythe » et qui semble un emprunt du français. Avant le XIXe siècle, la mythologie était composée de fables, mot emprunté au latin par le français (dès 1158) et au français par l’anglais. De tels récits, fables ou mythes, qui présentent une invention du monde différente de celle de leurs lecteurs occidentaux, étaient considérés comme faux, une multitude de faussetés fabuleuses ou mythiques face à une unique histoire véridique, soit biblique, soit scientifique (Detienne 1981 : 15-16). Voilà le paradoxe au coeur du mot mythe dans son acception moderne : dire d’une histoire qu’elle est un mythe équivaut à l’appeler mensonge, mais un mensonge que l’autre prend pour vrai ; le mythe est donc la vérité crue de l’autre (Pouillon 1993 [1980]). Insistons sur la spécificité et la complexité du concept : la notion moderne de mythe est précisément une notion occidentale moderne et fait partie de ses modes de pensée. C’est aussi une notion fort complexe : un récit que les gens croient – mais pas le locuteur lui-même ; un mensonge donc important, fondateur, mystique, un grand mensonge, qui peut mériter le respect et certainement l’étude. À des époques moins rigides quant à l’importance d’une seule vérité vraie, telles le Romantisme du début du XIXe siècle ou bien notre postmodernité et ses courants Nouvel-Âge, le mythe, déclaré comme tel, devient objet d’admiration, d’adhésion pour certains sous-groupes sociaux. Cette notion complexe ne se trouve pas dans toutes les sociétés, loin de là. Il ne correspond qu’en partie aux usages changeants du terme grec muthos (Detienne 1981 : 93-115, Lincoln 1999 : 3-43) et ne recouvre que très partiellement les termes que donnent les locuteurs de langues non occidentales à leurs propres récits que nous appelons des mythes. Tout le domaine de l’ethnopoétique comparée des genres (voir, par exemple, Gossen 1977) témoigne du caractère local du concept de mythe, comme de ceux de conte ou d’anecdote. Paradoxalement, une des facettes importantes du concept moderne du mythe est précisément l’impression que c’est quelque chose qui existe partout : partout il y a des histoires importantes qui mettent en place des personnages et des événements que nous dirions miraculeux ou impossibles. Distinguer ou ne pas distinguer de telles histoires des autres, s’interroger sur leurs traits, surtout leurs traits choquants ou insolites, ainsi que sur les parallèles qui semblent exister entre de telles histoires dans différentes parties du monde, à différentes périodes historiques, voilà les questions que se sont posées les mythographes modernes, en anthropologie, en philosophie, en philologie classique ou autre, en psychologie, en histoire des religions, depuis au moins le XVIIIe siècle (voir, par exemple, Starobinski 1977), les réponses comme leurs présupposés changeant …

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