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L’Homme, « Espèces d’objets », no 170, avril-juin 2004, 250 p.[Record]

  • Élise Dubuc

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  • Élise Dubuc
    Département des arts et lettres
    Université du Québec à Chicoutimi
    555, boulevard de l’Université
    Chicoutimi (Québec) G7H 2B1
    Canada

Après avoir été longtemps délaissées, la considération de l’objet et la réflexion théorique sur sa signification refont surface dans les préoccupations des anthropologues . On aura vu depuis plusieurs années déjà une littérature anglo-saxonne y faire écho et développer au passage un discours critique sur la société de consommation, l’objet devenu roi et le musée, sa consécration. Il est intéressant d’observer comment cette perspective se traduit dans la sphère francophone. Dans son édition du printemps 2004, la revue L’Homme présente un dossier intitulé « Espèce d’objets ». À l’ombre du décès de Jean Bazin, survenu en décembre 2001, qui en avait formulé le projet, Jean Jamin relate en ouverture comment s’est manifesté le besoin de redéfinir la notion d’objet au cours des années 1990. La destinée incertaine des collections ethnographiques du Musée de l’Homme à Paris et leur transfert à une nouvelle institution, le Musée du quai Branly suscita alors toute une effervescence intellectuelle. Une dizaine d’auteurs participent à la réflexion. Dans ce numéro, L’Homme offre un florilège de réflexions sur les différents types d’objets, ou plutôt sur le regard historiquement construit qui les caractérise. Un article de Jean Bazin publié en 1992 est présenté en guise d’introduction. On nous invite à y lire a posteriori l’origine de son questionnement sur l’objet. L’intérêt pour la constitution de la royauté exprimée dans les rituels funéraires (alors que ces derniers se théâtralisent en des pratiques de la substantiation) indique la perspective adoptée, celle des enjeux politiques et symboliques que sous-tend l’utilisation des objets. Un texte ultérieur de Bazin (paru en 2002) aide cependant à comprendre plus précisément les intentions de l’auteur, comme le souligne Jean Jamin en présentation. Dans un article publié in memoriam par le Musée d’ethnographie de Neuchâtel, Le musée cannibale, Bazin en appelle à un renouvellement radical de l’appréhension de l’objet par les anthropologues – nécessaire rénovation d’une idée trop engluée, selon lui, dans les pratiques de l’ethnologie française du début du XXe siècle. Ce qui y fait écran est la cristallisation dans le concept de l’objet « témoin » comme l’a avancé Griaule, notamment à travers les Instructions sommaires pour les collectionneurs d’objets ethnographiques. Le projet initial, immense – impossible certainement – de collectionner non pas un type d’objet, mais bien l’aire de vie d’une population et l’ensemble des activités humaines que l’on peut y observer est remis en cause, tout comme les choix arbitraires sur lesquels se sera bâti le discours ethnographique, « scientifique » espérait-on à l’époque. C’était « collecter systématiquement n’importe quoi » dira Bazin non sans pointe d’humour (2002 : 282). Le renoncement aux critères de sélection de l’étrange et de l’extraordinaire pour se différencier des cabinets de curiosité, repoussant l’esthétique et son contraire, le « mauvais goût », aura finalement abouti à une définition bien réduite de la réalité. L’invitation faite aux collaborateurs du dossier de L’Homme cherche à sortir de ce carcan. Le résultat s’inscrit dans une optique tout à fait différente de celle qu’auraient pu avoir des auteurs vivant dans les pays du Nouveau-Monde (Canada, États-Unis, Nouvelle-Zélande, Australie), où s’affrontent les communautés : les tensions de frontières et d’occupation d’un même territoire se transposent dans le milieu anthropologique en partageant l’autorité du discours avec les peuples et les cultures dont il est question. L’importance de la contribution du dossier de L’Homme se situe ailleurs. Chacun à sa manière, les auteurs s’intéressent à l’instrumentalisation des objets non seulement dans les pratiques culturelles des sociétés sur lesquelles ils se penchent, mais également telle qu’elle se traduit à l’époque actuelle, dans la « tribu » des anthropologues pourrait-on dire, entre la …

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