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Pilier de l’École française, en particulier de l’Année sociologique, fondateur de l’Institut d’ethnologie, président de la Ve section de l’École Pratique des Hautes Études, puis nommé au Collège de France (en 1930), Marcel Mauss a exercé une formidable influence sur le développement de la sociologie et de l’anthropologie en France, bien sûr, mais aussi en Angleterre et, plus tardivement, aux États-Unis. Depuis une douzaine d’années, son oeuvre fait l’objet d’un regain d’attention. Parmi les diverses publications, comptons une biographie plus factuelle qu’intellectuelle de Fournier, des Lettres à Marcel Mauss révélant une relation avunculaire difficile, parfois vraiment pénible, Durkheim exigeant beaucoup de son neveu, y compris une forme de confession permanente dans son rapport au travail. Et des études systématiques, comme celles de Karsenti sur le fait social total, ou sur le parcours intellectuel, riche et complexe, qui y mène, incluant les débats qui l’ont nourri. Après un ouvrage sur l’apport de Mauss à l’étude du symbolisme, Tarot offre maintenant une introduction à l’oeuvre entière dans laquelle les aspects positifs (écrits sociologiques au sens strict) et normatifs (écrits politiques et vie militante) se conjuguent sous un même mode.
L’auteur insiste sur la filiation intellectuelle qui va de l’oncle au neveu. En dépit de la distance qui sépare leur conceptualisation respective du social, Mauss s’est en effet toujours réclamé de Durkheim, notamment au plan de la méthode. Ce qui ne l’a pas empêché de la bonifier : qui donne priorité aux faits doit s’y adapter! Mais l’originalité de Mauss tient à son usage du « primitif » : cherchant moins à mettre au jour des origines lointaines, il s’intéresse aux formes religieuses pour en dégager des « réseaux de sens » (p. 50), s’éloignant alors du sacré et de l’explication causale, pour se rapprocher du symbolique et de la compréhension des systèmes de signes. Le social ne se réduit plus à l’obligatoire, ni à ce qui résulte d’une action consciente mais, les incluant tous les deux, remonte au système symbolique qu’ils présupposent. De l’idée de contrainte comme concept central, on passe ainsi à celle d’attente collective, fondement de toute institution.
La grande contribution de Mauss, Essai sur le don, a clairement mis en lumière une différence intellectuelle entre les « primitifs » et « nous » ; chez « eux », les relations des hommes aux choses (l’économique) ne sont pas radicalement distinctes des relations sociales : hommes et choses appartiennent au même système. Pour saisir la cohérence interne de ce fait, nos catégories de pensée, tributaires du cloisonnement scientifique, sont largement inadéquates, et doivent être rénovées – une conclusion dont Tarot ne prend pas suffisamment acte, à mon avis. C’est pourtant là qu’affleure l’humanisme élargi de Mauss chez qui la comparaison des civilisations jette un nouvel éclairage, critique, sur la nôtre.
Si Mauss soulignait les limites de l’intervention sociale et politique – les routes qui mènent à l’art de la vie en commun sont si peu connues, et sur de si courtes distances… –, il n’a lui-même cessé de militer. C’est, disait-il, que la nature de l’écart entre idéal et fait n’étant pas donnée a priori, le jeu entre le souhaitable et le possible doit être livré, non sans précaution, à l’expérimentation sociale. Tarot termine en soulignant l’actualité de cette pensée qui sait agrandir l’action politique et qui, pour peu qu’on s’en inspire, saurait renouveler notre compréhension des nombreux phénomènes liés à la mondialisation. Enfin, la petite synthèse est agrémentée – la collection le veut – d’encarts tout à fait pertinents sur des personnages ayant influencé Mauss (Smith et Frazer, Jaurès, Meillet et Saussure, etc.), ou reproduisant de courts extraits de son oeuvre.
Appendices
Références
- Durkheim É., 1998, Lettres à Marcel Mauss, présentation de P. Besnard et M. Fournier. Paris, Presses Universitaires de France.
- Fournier M., 1994, Marcel Mauss. Paris, Fayard.
- Karsenti B., 1994, Marcel Mauss. Le fait social total. Paris, Presses Universitaires de France.
- —, 1997, L’homme total. Sociologie, anthropologie et philosophie chez Marcel Mauss. Paris, Presses Universitaires de France.
- Mauss M., 1997, Écrits politiques. Paris, Fayard.
- Tarot C., 1999, De Durkheim à Mauss, l’invention du symbolisme. Sociologie et science des religions. Paris, La Découverte-MAUSS.