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Itinéraires en anthropologie politique[Record]

  • Marc Abélès

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  • Marc Abélès
    Laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales — LAIOS
    Maison des sciences de l’homme
    54, boulevard Raspail
    75270 Paris, cedex 06
    France

J’ai pris pour thème de cette conférence mes itinéraires en anthropologie politique. Pourquoi itinéraires : parce qu’il est des moments où l’on a le sentiment d’avoir accompli un certain parcours et en même temps besoin et envie de faire le point tout en faisant apparaître les perspectives nouvelles qui se dessinent. Pourquoi itinéraires au pluriel? C’est qu’à la différence d’autres collègues, j’ai été amené à travailler sur différents types de terrains, à emprunter des chemins de traverse. Pour moi ces explorations ont constitué matière permanente à renouveler mon travail de recherche. Ces trente années d’efforts continus pour comprendre un peu mieux ce qu’il en est du politique m’ont aussi appris à mieux mesurer les atouts et les limites de l’approche anthropologique. Qu’est-ce qu’un anthropologue aujourd’hui dans une société prise dans la tourmente de la mondialisation, et qui peine à se trouver de nouveaux repères? En quoi l’anthropologie peut-elle nous aider à penser une situation inédite à bien des égards, notamment dans le domaine du politique? Ce sont ces questions que je voudrais aborder ici avec le souci de ne pas réduire l’anthropologie à une technè disciplinaire et de l’envisager plutôt comme un mode d’approche du réel qui peut éclairer notre appréhension des choses. Or aujourd’hui dans notre domaine, la tendance est plutôt au découpage, voire au saucissonnage, des perspectives. Alors qu’on parle d’interdisciplinarité, on observe à quel point les cloisonnements sont rigides entre les disciplines. La connaissance s’est en quelque sorte territorialisée en espaces distincts et rigidifiés. Les anthropologues en savent quelque chose. J’ai fait partie de commissions d’évaluation où souvent seul s’exprime sur un dossier le (ou les) « spécialiste » de l’aire culturelle concernée. Divisions entre aires culturelles, spécialisation des champs (parenté, politique, religion, médecine, etc.), tout implique une sorte de technicisation qui a bien sûr des côtés positifs, mais qui a parfois pour contrepartie de bloquer le mouvement plus global de la pensée. C’est un peu la ruse de la raison technocratique, telle que l’ont dénoncée Adorno et Horkheimer dans La dialectique de la raison, où ils montraient comment l’emprise de la raison technicienne aboutit à perdre « l’élément de réflexion sur soi » et à réifier l’acte même de penser. « Devant la raison [technicienne], écrivaient-ils, les concepts sont dans la même situation que les rentiers devant les trusts industriels : ils ne se sentent pas en sécurité » (1946 : 39). Comment donc essayer de développer une pensée anthropologique sans pour autant renoncer à la spécificité de nos modes d’analyse? Pour donner un aperçu de cette orientation, je procéderai en prenant quelques exemples qui me paraissent significatifs de cet être-au-monde très particulier qui est propre à l’anthropologue. Mais d’abord il me faut préciser qu’en centrant mes recherches sur le politique en France et en Europe et plus récemment sur les rapports entre privé et public aux États-Unis, j’ai fait un choix. Celui de privilégier des questions qui me concernent directement en tant que citoyen, plutôt que de me situer en observateur de situations dont je ne me sentirais pas en quelque sorte partie prenante. Dans mes travaux les plus récents, j’ai choisi délibérément d’étudier un haut lieu de la politique nationale, l’Assemblée nationale française, et un centre mondialement reconnu en matière d’innovation technologique, la Silicon Valley (Abélès 2002). J’ai considéré comme priorité l’étude du pouvoir politique et économique. J’aurais très bien pu opter pour un autre genre de terrain : m’intéresser aux rapports interethniques en Europe ou aux États-Unis, ou aux laboratoires de pointe, ou aux cités HLM et à la nouvelle pauvreté. Je cite ces thèmes, simplement parce qu’ils ont fait l’objet de …

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