PrésentationÀ travers la forêt, vers une nouvelle anthropologie environnementale[Record]

  • Rebecca Hardin

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  • Rebecca Hardin
    Department of Anthropology
    McGill University
    Montréal (Québec) H3A 2T7
    Canada
    et
    Department of Anthropology and
    School of Natural Resources and Environment
    University of Michigan
    1085 S. University Avenue
    Ann Arbor, MI 48109-1107

Depuis longtemps, et dans la plupart des sociétés, la forêt est le contexte écologique le moins gouvernable, le plus terrifiant, le plus magique. D’ailleurs, les peintures, tapisseries, trophées, récits, chants, céramiques et contes de multiples cultures montrent la forêt comme un domaine puissant et capable de renverser tout ordre social, même si elle apparaît parfois conquise, consommée, et convertie – moins vivante que simple décor des drames de pouvoir. Zone de conflit et de mystère pendant le Moyen âge (Fournier 1990), aire de richesses et de résistance à l’époque des explorations et exploitations coloniales (Harms 1981 ; Taussig 1987), abri des milices et des rebelles des guerillas pendant la période postcoloniale (Sassine 1976), la forêt – plus particulièrement la forêt tropicale – est aujourd’hui un terrain contesté. Dans l’imaginaire global actuel, elle évoque à la fois un espace d’opportunité économique et une zone de dangers potentiels – viraux ou géopolitiques (Zerner 2003). La forêt tropicale constitue ainsi de nos jours un champ social sans équivalent pour la confrontation entre différentes versions de l’horizon économique, politique et environnemental de la planète. Mais elle est aussi un écosystème complexe, qui s’étend sur plusieurs continents. L’anthropologie a mis en évidence la diversité de ses écologies micro-régionales et de ses sociétés humaines avec leurs façons d’exploiter la forêt à travers le temps. Nous pouvons identifier certaines tendances et questions communes à ces travaux scientifiques. La plupart du temps, les premiers ouvrages ethnologiques sur une région donnée ont présenté des peuples de la forêt dans un splendide isolement, en s’attardant surtout à décrire leur intégration avec leur environnement naturel ; en fait, ces ouvrages furent souvent complétés et enrichis par des travaux ultérieurs consacrés à la description des interactions complexes entre différentes populations forestières. Ces tendances s’inscrivent dans des débats anthropologiques sur la façon dont les hommes ont évolué en forêt, et elles explorent les causes et conséquences de la marginalisation des peuples de forêt dans le cadre des actuels systèmes économiques globaux. Ces débats intellectuels et théoriques se sont parfois traduits dans les luttes entre différents acteurs pour l’emprise territoriale sur les forêts. Par exemple, l’histoire des Huaroni en Amazonie illustre la capacité des peuples indigènes à devenir des célébrités internationales (Kane 1995), sans pour autant pouvoir acquérir les droits fonciers et le statut social qui leur permettraient de mieux garantir leur accès aux ressources de la forêt. Pour qu’ils y parviennent, il faudrait transformer certaines conceptions de la « forêt vierge », qui ont constitué la base des missions – les missions civilisatrices et capitalistes dans les forêts coloniales et les missions modernistes et nationalistes dans les forêts postcoloniales. Plusieurs travaux récents s’attaquent d’ailleurs aux images puissantes d’une forêt « féminisée » qui est considérée comme dangereuse et difficile à gouverner, mais à la fois vide et prête à se faire pénétrer et valoriser par ceux qui ne la connaissent qu’à peine (Sawyer et Agrawal 1997 ; Slater 2003). Les nouvelles politiques de gestion des forêts tropicales émanent des interactions entre ces différents savoirs culturels et scientifiques. Plus concrètement, elles sont formulées dans les espaces culturels et institutionnels des organismes bi- et multilatéraux, où les impératifs des experts et administrateurs de l’époque coloniale se heurtent aujourd’hui aux dynamiques activistes et capitalistes. Ainsi façonnées en tant que « politiques environnementales », elles sont ensuite transplantées et appliquées dans des régions aussi distinctes que le Bassin du Congo en Afrique, les montagnes de l’Inde et le Népal. Ces nouvelles politiques reflètent ainsi les particularités des structures étatiques variées, des climats et des contextes sociaux très distincts. Les prescriptions pour utiliser ces forêts si diverses présentent …

Appendices