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Recherches Féministes est publié par le Groupe de Recherche Multidisciplinaire Féministe (GREMF) de l’Université Laval qui a pour objectif principal d’analyser les changements dans les rapports sociaux de sexe. Ce volume hors thème rassemble six contributions de chercheuses universitaires et abordent des problématiques nouvelles telles que l’immigration féminine et le télétravail, ainsi que des thèmes plus classiques comme l’analyse de la violence faite aux femmes, les inégalités persistantes dans les domaines de la santé reproductive et des petits métiers féminins.
L’excellent article de Marie-Claire Belleau traite des inégalités engendrées par la mondialisation des pratiques des « promises par correspondance » (mail order brides). Dans cette étude, l’auteure centre sa recherche sur l’Amérique du Nord en analysant le discours des catalogues et des agences qui fleurissent sur Internet et qui, sous couvert de promesses de « mariages interculturels », légalisent en toute impunité la traite des êtres humains. L’article dénonce avec vigueur les inégalités dont sont victimes les « promises » issues de pays en crise économique, la politique d’immigration restrictive des pays riches, la marchandisation des femmes, les pratiques quasi policières employées par les maris-consommateurs pour s’assurer de la bonne santé physique et morale de leur promise et les stéréotypes ethniques déployés par les agences renforçant l’image de femmes dépendantes, soumises et fragiles. L’article démontre les dépendances et chantages de toutes sortes à l’arrivée dans le pays d’accueil et les rapports de subordination psychologique et physique dont sont victimes ces jeunes femmes. Si cette pratique de promises par correspondance a été lancée dans le but moraliste de faire perdurer l’image de la famille traditionnelle, elle a été néanmoins rapidement maîtrisée par des proxénètes qui en font une activité très lucrative. Si cette étude apporte un regard nouveau sur ces nouvelles filières de l’immigration clandestine et les inégalités dont souffrent ces « promises », on peut cependant regretter l’absence d’une étude complémentaire de terrain laissant la parole aux promises et aux épouses, étude qui aurait peut-être permis de faire apparaître une vision plus nuancée des inégalités dans les rapports sociaux de sexe.
La contribution de Dominique Damant, Judith Paquet et Jo Bélanger, chercheuses engagées dans le Centre de recherche sur la violence familiale et la violence faite aux femmes, revoit le concept ambigu et souvent galvaudé de l’empowerment dans le but de mieux appréhender les violences faites aux femmes dans le cadre familial ou conjugal. Ce concept utilisé ad nauseam par les services psychosociaux et les agences de développement a été longtemps conçu soit comme une version réorganisée de l’autogestion soit comme argument pour cristalliser les revendications visant à réduire l’oppression des démunis par les nantis. Aujourd’hui, la notion d’empowerment est entendue de manière quasi consensuelle par la communauté concernée comme celle d’un affranchissement individuel et collectif et qui s’applique à la majorité des secteurs d’intérêt associés aux sciences humaines. Les auteures décrivent les trois paradigmes qui influent sur la définition de l’empowerment : le paradigme technocratique inspiré du courant individualiste méthodologique, le paradigme écologique qui met l’accent sur la transformation du contexte après la compréhension du problème et le paradigme structurel qui met l’accent sur l’inégalité des forces sociales et des rapports sociaux. Les auteures défendent la perspective structurelle de l’empowerment et considèrent que le manque de pouvoir des femmes est causé par des arrangements sociaux inéquitables plutôt que par un déficit personnel. À partir de l’analyse du discours de femmes victimes de ce type de violences, les auteures proposent un schéma multidimensionnel du processus basé sur les sentiments, les aspects cognitifs et les comportements.
Arlette Gautier s’intéresse aux législations et régulations qui ont été édictées par les pouvoirs coloniaux en place en Afrique sub-saharienne en fonction de leurs intérêts politico-économiques. Elle rappelle que le droit coutumier a été « inventé » par les législateurs coloniaux avec la collaboration de notables masculins âgés et a de ce fait contribué à introduire une certaine rigidité dans les lois coutumières là où il y avait souplesse. L’appropriation par le pouvoir masculin des capacités reproductives des femmes en Afrique sub-saharienne a été générale mais la comparaison entre pays francophones et anglophones montre, selon l’auteure, une nette différence entre les pays anglophones de l’Afrique de l’Est – où la colonisation fut moins nataliste et a permis une plus grande autonomie des femmes – et les pays francophones qui subissent encore l’influence du Code Napoléon et où la libéralisation des politiques est plus lente. Malgré les efforts de libéralisation réalisés depuis les années 1990 par tous les pays d’Afrique sub-saharienne, l’auteure affirme que le contrôle de la santé reproductive des femmes est encore fortement lié au contrôle masculin, l’autorisation du conjoint étant souvent exigée pour l’accès à la contraception.
Un autre article concernant les inégalités subies par les femmes dans le domaine de la santé reproductive fait état d’une enquête de terrain menée au Québec par Catherine Des Rivières Pigeon, Francine Descarries, Lise Coulet et Louise Séguin auprès de femmes venant d’accoucher puis revues en consultation six mois plus tard. Les résultats de l’enquête montrent clairement que l’effet du partage des tâches est – indépendamment de toutes les autres variables – le facteur influant le plus sur la santé psychologique des mères de jeunes enfants, qu’elles travaillent ou non à l’extérieur de la maison. Les auteures émettent l’hypothèse qu’un partage inégalitaire des tâches domestiques serait à l’origine de symptômes dépressifs chez les mères de jeunes enfants.
Les deux articles suivants concernent le travail des femmes. L’étude menée par Diane-Gabrielle Tremblay concerne le télétravail, son impact sur l’organisation du travail des femmes et l’articulation emploi-famille. L’auteure fait une revue de la littérature concernant cette nouvelle forme de travail qui emploie, selon les chiffres du recensement de 2001, 8 % des actifs au Québec. Les définitions du télétravail sont nombreuses et renvoient généralement au « travail à domicile », mais le travail mobile comme la vente à domicile et le télécentre (bureau satellite) sont parfois inclus dans la définition. L’auteure propose les résultats de son enquête qui combine sondage téléphonique et étude de cas par entretiens approfondis visant à évaluer la satisfaction globale des télétravailleuses qui sont à domicile avec un ordinateur. L’hypothèse de l’auteure selon laquelle il existe une différenciation selon les sexes dans l’autonomie et les tâches effectuées est confirmée. Par contre, la satisfaction est quasi générale chez les télétravailleurs et télétravailleuses (entre 63 et 68 %) et ne montre pas de différences significatives selon le sexe. Tous et toutes expriment leur satisfaction à pouvoir concilier emploi et famille, à améliorer leur rendement et à diminuer leur stress. Comme la majorité des employés d’autres secteurs souhaitent accéder à cette forme de travail, cela permet de penser à son expansion rapide dans l’avenir surtout dans le domaine des technologies de l’information.
La recherche de Liane Mozere s’inscrit dans une réflexion concernant les compétences nécessaires et attendues dans l’exercice des « petits métiers féminins » relevant de la socialisation des jeunes enfants et qui font l’objet d’une disqualification sociale évidente. La recherche socio-anthropologique a été menée dans une banlieue parisienne auprès d’assistantes maternelles agréées. La chercheuse s’interroge sur la manière dont se configurent les compétences dans ce métier qui requiert des compétences différentes de celles qui sont acquises au cours de la socialisation primaire. L’analyse de trajectoires individuelles démontre qu’une certaine disponibilité, une « attention flottante », la maîtrise des codes langagiers et des usages corporels constituent un dispositif de travail, une démarche réflexive qui relève d’une construction pragmatique d’expériences successives. C’est l’usage adéquat des compétences maternelles, sociales et subjectives qui fait la différence et favorise l’accès au métier. C’est l’engagement, la mobilisation, la flexibilité, l’aisance, l’entregent, la capacité à faire le bilan des expériences acquises, la flexibilité devant la diversité des situations, enfin cette visibilité sociale, qui permettent de reconnaître ces compétences et d’amorcer un processus de professionnalisation. L’auteure s’interroge, à la lumière de ses résultats, sur le devenir de ces femmes qui exercent des « petits métiers au féminin » impliquant une soumission économique, culturelle et subjective aux normes sociales les plus conservatrices en ce qui concerne les rapports sociaux de genre tout en laissant entrevoir la possibilité d’une ascension sociale à partir de cet accès au marché du travail.
La revue présente également des comptes rendus de travaux originaux tels que la contribution des femmes au développement de l’Afrique publié par le Musée de la Civilisation de Québec, un ouvrage proposant une relecture du Deuxième sexe et un ouvrage tiré d’une thèse sur le travail domestique au XIXe, travaux de grande utilité pour qui travaille sur les rapports sociaux de genre.