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Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les rencontres entre missionnaires protestants et populations autochtones de la Côte-Ouest du Canada s’élaborèrent autour d’attentes et de présupposés culturels, de rapports de pouvoir changeants, inégaux et d’incompréhensions mutuelles résultant de diverses expériences passées. Les Autochtones prirent l’initiative et endossèrent des rôles de leadership au sein de l’activité missionnaire, structurant et définissant les processus de leur propre christianisation. Dans son ouvrage, Neylan recense les différentes formes de l’entreprise missionnaire, s’attardant à ces négociations constantes de diverses formes identitaires et d’éléments signifiants du discours protestant se modulant au rythme des individualités.
Au sein des sociétés tsimshians coexistaient de vieilles et de nouvelles formes d’expressions religieuses, s’enrichissant des expériences de médiateurs ou d’interprètes spirituels de diverses formes de pouvoir. Au coeur de l’étude, ces chamans, prophètes, catéchistes autochtones et missionnaires furent en fait acteurs et témoins de syncrétismes, de convergences de pratiques, de principes similaires ou identiques, et de dualisme. Ils reconnaissaient l’indépendance des deux systèmes religieux mais les vivaient simultanément, dans une certaine harmonie. Neylan examine ainsi les possibilités de nouvelles identités « religieuses » découlant de ce contact culturel, où la conversion chrétienne se révélait d’un tout autre ordre que la vision occidentale de la chose. L’auteur démontre que cette conversion ne constituait pas le remplacement d’un système préexistant, mais que le christianisme devint une expérience autochtone unique et authentique.
La Lumière (goy’pa), perçue dans la tradition tsimshian comme un pouvoir transformationnel, et un concept intimement lié au Paradis (laxha), autre pouvoir spirituel contrôlant les destinées des mortels tout en les assistant fréquemment par l’entremise d’aides spirituels, trouvèrent un écho direct en la lumière divine chrétienne, humblement révélée aux incroyants et autres païens, leur fournissant les clés d’un paradis éternel. Les rituels tsimshian célébrèrent ainsi le pouvoir transformationnel des forces spirituelles chrétiennes, le Père, le Fils et le Saint Esprit, qui s’activaient par l’entremise des missionnaires, chamans d’une autre culture.
L’auteur souligne deux caractéristiques de la « religion » des Tsimshian qui facilitèrent l’intégration du christianisme. La longue tradition mythologique et historique amérindienne d’emprunts de formes et de croyances religieuses à d’autres cultures et territoires imprégnait quotidiennement tous les aspects de la culture tsimshian ; cela se combinait au dynamisme intrinsèque du sacré actif autochtone. Leur cosmologie ne séparant pas les mondes spirituel et matériel, l’attrait du christianisme ne reposa donc pas uniquement sur son pouvoir spirituel, mais également sur son accès aux sphères économiques, politiques et sociales de la culture eurocanadienne.
Le chapitre 2 décrit les comportements missionnaires sur la Côte Ouest ; le chapitre 3 explore comment la littérature missionnaire idéalisa les autochtones chrétiens, créant des archétypes de fidèles serveurs ; le chapitre 4 aborde les restrictions socioculturelles qu’encouragèrent les missionnaires, au détriment des femmes notamment, en introduisant le patriarcat, les valeurs sociales occidentales et ses définitions de la famille. Et pourtant, à travers leur adhésion au christianisme, certaines femmes, comme certains hommes, maintin-rent et renforcèrent leurs rôles traditionnels de chamans ou de leaders politiques. Le cinquième chapitre s’interroge sur ce que pensaient ces nouveaux convertis de leur propre conversion, comment elle s’intégrait à leur identité complexe entremêlée de concepts de maisons, d’armoiries claniques, de pouvoirs spirituels et de privilèges. Neylan consacre ainsi son chapitre 6 aux journaux d’un « missionnaire » tsimshian qui, de façon quasi quotidienne et pendant près de cinquante ans, y relata ses réflexions sur ce que signifiait être à la fois tsimshian et chrétien, sur le quotidien et les comportements malhonnêtes des missions, etc. Le chapitre 7 examine les formes de propagation autochtones du pouvoir chrétien, à travers les prophètes, les renouveaux religieux et les évangélistes. Enfin, au chapitre neuf, l’auteur décrit les transformations d’espaces physiques communautaires autochtones, abordant autant les villages traditionnels que les faux-semblants autochtones de vie urbaine à la victorienne.
Les missionnaires parvinrent certes avec un succès mitigé à proscrire les formes religieuses traditionnelles, du moins dans la sphère publique ; mais le discours et les comportements autochtones entourant le christianisme illustrent une compréhension et une interprétation véritables du message évangélique, et non une simple imitation des modèles eurocanadiens. Neylan souligne, avant de conclure, que l’introduction d’un système légal compétitif, de l’Indian Act et de l’interdiction du potlatch, attaquèrent plus gravement la société tsimshian que ne le firent les missions protestantes (p. 265).