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Ce livre de belle facture est publié dans la collection Intercultures, dirigée par Laurier Turgeon, dont la politique est de réunir des perspectives interdisciplinaires dans le but d’interpréter le monde comme un lieu de contacts et d’échanges entre les cultures perçues comme des ensembles ouverts et interactifs. C’est précisément dans cette optique que s’inscrit la démarche du professeur Shenwen Li, lui-même exemple fructueux du syncrétisme culturel contemporain, puisqu’il a d’abord fait des études de maîtrise sur la Chine du dix-septième siècle à l’Université de Nankai (Tianjin) avant de mener à bien à l’Université Laval ses recherches doctorales dont le présent ouvrage constitue la version remaniée.
L’objectif de l’étude est clairement défini. Il s’agit de comparer les moyens et les résultats de l’action missionnaire catholique dans deux milieux d’accueil situés aux antipodes : la Chine et la Nouvelle-France. Pour y arriver, l’auteur a judicieusement choisi l’action menée par les Jésuites français qui avaient en commun l’origine, la formation et la vision du monde et qui, de surcroît, ont laissé des témoignages d’une qualité exceptionnelle sur leurs expériences, notamment leurs Relations sur l’univers des Amérindiens et leurs Lettres édifiantes sur l’Empire du Milieu. Dès l’introduction d’ailleurs, Li fait la démonstration convaincante de son aisance dans les sources, européennes et chinoises, qui fournissent la matière première de sa documentation, et de sa connaissance des travaux les plus spécialisés sur les phénomènes de conversion et d’acculturation.
L’ouvrage est divisé en quatre parties. Fort brève, la première partie rappelle en gros la formation des membres de la Compagnie de Jésus et leur faculté spéciale d’adaptation aux cultures d’outre-mer. La deuxième partie retrace les efforts apostoliques des missionnaires pour arracher les « sauvages » de la Nouvelle-France à leurs croyances et à leurs pratiques. Quelle que soit la tactique utilisée sur le terrain, l’offensive d’ensemble contre les moeurs traditionnelles (rituels, chamanisme, sexualité) doit ici s’accompagner de manoeuvres de séduction qui incluent l’apprentissage de la langue, la guérison par miracle et la distribution de cadeaux. Dans la troisième partie, le lecteur est transporté dans la civilisation chinoise que les Jésuites abordent sous un angle bien différent, persuadés qu’ils sont d’avoir à déployer toute leur science et toute leur érudition pour se faire une niche dans la triade des doctrines bouddhiste, taoïste et confucianiste occupant l’univers mental des Chinois. C’est donc en s’« enchinoisant » que les missionnaires, lettrés, artistes, diplomates, vont mettre leurs talents au service de l’Évangile. Comme chez les Autochtones nord-américains, les présents et les miracles vont servir à gagner des âmes, mais le désir de concilier le message chrétien et la culture chinoise, en particulier le culte des ancêtres, va entraîner les Jésuites à leur perte dans la « querelle des rites ».
C’est la quatrième et dernière partie qui révèle surtout la richesse de l’analyse, car elle passe en revue toute la gamme des réactions chinoises et amérindiennes à la propagation de la religion chrétienne. Utilisant les concepts et les approches de l’ethnologie, l’auteur nous entraîne dans la chaîne des contacts qui va de la résistance, assortie de doutes, de réfutations et de rejets plus ou moins violents, à la transformation en « vrays chrestiens », fort peu nombreux, qui intériorisent les plus grandes vertus au prix même de leur vie. Entre ces extrêmes se glissent les scénarios très intéressants des conversions « à demy » et des manifestations de syncrétisme. Celles-là décrivent les calculs des néophytes qui ont un motif particulier pour adhérer à la nouvelle foi (la protection des Français, la crainte de la transmigration) alors que celles-ci sont l’aboutissement d’un bagage d’analogies et de confusions entre le paradis du christianisme et le panthéon des esprits autochtones ou des divinités bouddhistes. Quant des convertis amérindiens continuent de croire aux songes et de vénérer leurs défunts et que certains de leurs homologues chinois restent attachés au précepte de la piété filiale (xiào), le métissage qui en résulte traduit le dynamisme des interactions entre message chrétien et milieu d’accueil. Au total, quels que soient les écarts entre les résultats et les ambitions des missionnaires jésuites au dix-septième siècle, ceux-ci apparaissent comme des acteurs de premier plan à titre de médiateurs entre les cultures de l’Europe « chrétienne », de l’Amérique « sauvage » et de la Chine « civilisée ».
Le mérite premier du livre de Shenwen Li est de nous convaincre, s’il le fallait encore, que l’approche comparative demeure essentielle pour comprendre les phénomènes de société au sens large dans les sciences humaines. À cet égard, la portée de son travail dépasse largement la compréhension de l’oeuvre des Jésuites français au dix-septième siècle. Et l’auteur est parvenu à tirer parti d’une belle érudition, dont témoigne sa bibliographie, pour produire un exposé très conséquent dans une langue impeccable, tout en agrémentant son parcours d’une iconographie appropriée. Beau spécimen de syncrétisme sino-occidental.