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La littérature éthique internationale sur le don d’organes est abondante et impossible à suivre dans toutes ses dimensions. En même temps, les études sociologiques, ethnologiques et anthropologiques sur le même sujet deviennent de plus en plus nombreuses, mais ne sont pas toujours prises en compte par les spécialistes de l’éthique appliquée. Il importe donc de saluer tout effort entrepris afin de relier ces différentes approches.
Le questionnement éthique le plus pointu dans le débat actuel semble concerner uniquement le choix entre le consentement explicite et le consentement présumé. Or, une telle manière de faire tend à réduire l’éthique à des considérants quasi juridiques, le bio-droit venant prématurément trancher les questions bioéthiques (une tendance hélas dominante en Amérique du Nord et que les auteurs francophones des deux côtés de l’Atlantique auraient tout intérêt à remettre en cause). Le rôle des représentations anthropologiques, culturelles et religieuses dans la discussion éthique a été longtemps sous-estimé.
Dans ce contexte, nous pouvons dire que l’ouvrage de Claire Boileau est le bienvenu. Cette excellente étude ethnologique aborde en effet de manière fort pertinente les enjeux culturels et symboliques du don d’organes. Sur la base d’études de terrain et d’une riche documentation, l’auteure attire l’attention sur certaines contradictions patentes dans le débat éthique et socio-économique au sujet des transplantations. La tension entre les notions de don et de prélèvement s’avère particulièrement frappante. À première vue, on pourrait croire qu’il s’agit d’une seule et même réalité. Or le langage du prélèvement adopte tacitement le point de vue des équipes chirurgicales et axe la discussion sur les organes comme tels. La métaphore du don, au contraire, implique l’existence de sujets capables d’échanges et de communication. Mais, comme nous le savons bien, des motifs éthiques honorables incitent à interdire toute communication entre le donneur (ou sa famille) et le receveur, de même que toute collusion entre les équipes chirurgicales dont les fonctions sont bien distinctes (prélever ou greffer). Le recours au langage empathique du don n’est donc pas toujours suivi d’effets sociaux réels. L’étude souligne à juste titre que la symbolique du don, si fortement revendiquée dans ce domaine, serait mise en échec par une valorisation (finalement très utilitaire) du consentement présumé des donneurs.
L’ouvrage analyse en profondeur la révolution anthropologique provoquée par la transplantation dans la conception même de la mort et du mourir. Il ne suffit pas à cet égard d’en rester à une vision pauvre de la mort et de sa définition technique, mais de prendre toute la mesure de l’imaginaire de la mort et de ses transformations sociales, psychiques et symboliques.
Une des parties les plus passionnantes du livre est celle qui s’intéresse à l’imaginaire anthropologique en jeu dans la question des transplantations d’organes. L’interface entre le corps, la mort et le don pose en effet la question du statut du corps et de sa relation avec la personne.
D’autres aspects captivants du livre portent sur la force vive du greffon (l’organe est plus que du matériau biologique, il charrie des bouts d’identité personnelle, pour ainsi dire) ainsi que sur les dérives liées à la commercialisation. L’auteure déconstruit et démythifie aussi avec finesse les rumeurs véhiculées au sujet du vol d’organes.
L’approche se limite pour des raisons compréhensibles au don d’organes à partir de donneurs décédés ; le débat éthique actuel s’est en partie déplacé sur la question du don d’organes entre vifs, question qui pose à son tour des questions ethnologiques et anthropologiques décisives. Cet ouvrage nous paraît se recommander tout particulièrement auprès des acteurs de soins et de thérapeutique, y compris les psychologues et les accompagnateurs spirituels.